• Index des correspondances (de 1 à 115, classé par thème et par date)

    Archives de Chantilly,

    Les quatre tomes du comte  Boulay de La Meurthe, chez Picard, 1904, 1908, 1910, 1913.

    Ou sur Gallica :

     

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k556554

     

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55656g

     

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55663r

     

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k556643

     

    Certaines des correspondances ci-dessous sont dans leurs intégralitées et d'autres sont partielles.

    Enghien = Le duc d'Enghien.
    Bourbon = Le duc de Bourbon. (Père du duc d'Enghien)
    Condé = Le prince de Condé. (Grand-père du duc d'Enghien)

    Artois à Condé : 68,

    Berthier à Leval : 59,

    Bourbon à Condé : 95,

    Bourbon à Jacques : 96,

    Charlot à Moncey : 75,

    Chodron à Bourbon : 84,

    Chodron à Contye : 78, 80, 81, 85, 87,

    Condé à Charlotte de Rohan : 83,

    Condé à Enghien : 7, 13, 28, 30, 37, 39, 42, 46, 48, 51, 57, 61,

    Contye à Chodron : 79, 82,

    Contye à Jacques : 89,

    Enghien à Bourbon : 1, 2, 6, 12, 14, 15, 18, 19, 20, 21, 23, 24, 26, 32, 32, 33, 38, 40, 41, 43, 63, 64, 66, 70,

    Enghien à Charlotte de Rohan : 105,

    Enghien à Chodron : 11,

    Enghien à Condé : 4, 8, 9, 10, 16, 22, 29, 34, 36, 44, 45, 47, 49, 62,

    Enghien à Froelich : 69,

    Enghien à Jacques : 67, 72, 73,

    Enghien à Marans : 3, 5, 17, 27, 31, 35,

    Enghien à Ch. Stuart : 65,

    Enghien à Vauborel : 53,

    Desportes F à Réal : 56,

    Dusoulier à Contye : 74,

    Hulin à Réal : 113, 114,

    Instruction pour Briq : 50,

    Interrogatoire de Léridant du 10 mars 1804 : 54,

    Interrogatoire de Georges Cadoudal du 9 mars 1804 : entre 53 et 54

    Interrogatoire de Vaudricourt : 106,

    Jacques à Contye : 86, 88, 90, 91, 92,

    La princesse Louise à Bourbon : 25,

    Lamothe, maréchal des logis : 55,

    Louis XVIII à Marré Marbois : 94,

    Le duc d'Orléans à Saint-Jacques : 71,

    Mémoire de Carrié : 98,

    Ordener au Premier Consul : 101,

    Popp à Réal : 103,

    Premier Consul à Berthier : 58,

    Premier Consul à Réal : 102, 104, 110,  

    Premier Consul à Murat : 107,

    Puivert à Bourbon : 93,

    Réal à Harel : 109,

    Réal à Hulin : 111, 112,

    Réal à Murat : 108,

    Récit de Borgh : 100,

    Reçu de Réal le 23 mars 1804 : 115,

    Relation de Canone : 97,


    Relation du curé de Vincennes : 77,

    Relation de Schmitt : 99,

    Réal à Shée : 52,

    Talleyrand à Edelsheim : 60,

    Thumery à Contye : 76,

    * Voici quelques exemples pour des recherches aux archives de Chantilly :

    Charlotte de Rohan : Z7-L8-L69-L79...
    Roech : Z9-Z114...
    Fouquet : L11-L26-L32-L36-L109...
    Duc de Bourbon : Z7-Z8-Z9-Zvii-Z23-Z27-Z38-Z39-Z59-Z61-Z62-Z63-Z64-Z68-Z72-Z73-Z74-Z76-Z77-Z100...
    Y7-Y10-Y12-Y14-Y18-Y22...

    Il y a aux archives de Chantilly environ 39 correspondances entre les Condé et  le comte de Fouquet et également 11 avec madame d'Ecquevilly, de nombreuses  avec le  comte d'Ecquevilly.

     


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  • Pièces justificatives.

    L'argent, toujours l'argent !

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>1. Enghien à Bourbon.7 juin 1801.
    « Mais j'ai vu les Anglais, et tout ce que j'ai pu obtenir, c'est la certitude de la continuation de mon traitement jusqu'au 1° août, et encore à titre de prêt ou d'avance sur mon traitement à venir. Cela me donne du moins le temps d'attendre de vos nouvelles, et de celles de mon grand-père après son arrivée. Mais mes chevaux, que j'ai toujours gardé, restent à mon compte ; et c'est une forte dépense. Je vais me hâter de les vendre en grande partie. Pauvres vieux serviteurs ! Je les regretterai de tout mon cœur..»

    <o:p> </o:p>2. Enghien à Bourbon.29 septembre 1801.
    « J'attends avec impatience le premier résultat qui, je pense, sera de nous assurer de quoi vivre à chacun, mais peut-être faudra-t-il l'attendre longtemps ; et l'intervalle est assez pénible à passer, surtout lorsque l'on mange son fonds, comme je le fais en ce moment, et que le fonds est aussi court que le mien. Car mes économies ont été courtes, pendant la guerre, où ma position me nécessitait une dépense considérable ; et, aujourd'hui, chaque jour je dépense et ne reçois plus rien. Ma vie ici sera aussi économique que possible, et en même temps agréable. »
    « Il y a, dans nos environs, beaucoup d'émigrés ; plusieurs sans moyen, sans ressources. Je ne puis me refuser à faire passer à mon grand-père les suppliques de ceux qui me paraissent demander avec justice et discrétion. » 

    <o:p> </o:p>3. Enghien à Marans.6 octobre 1801.
    « Pourtant je viens de recevoir une lettre de mon père, qui me paraît croire que le quantum va être fixé. (Pension) Il me donne même un tarif dans lequel ma tante est comprise ».« J'entends bourdonner à mes oreilles des conversations qui me dégoûtent : l'intérêt, toujours l'intérêt : l'argent, toujours l'argent. »

    <o:p> </o:p>4. Enghien à Condé.30 octobre 1801.
    « Et puis nous lui devons encore la décision définitive de nos affaires pécuniaires que vous m'annoncer. Sans doute, j'ai tout lieu d'être content et je suis traité fort au-dessus de mon mérite. Avec de l'ordre et de l'économie mon père et moi nous serons bien. Mais vous, cher papa, avec votre maison nombreuse, vos charges, vos dettes, les intérêts que vous payer, les avances que vous avez faites de tous côtés. Je trouve que vous serez bien gêné surtout si vous vous décidez à passer l'hiver dans un pays aussi cher sous tous les rapports que doit l'être pour vous l'Angleterre. »

    <o:p> </o:p>5. Enghien à Marans.30 novembre 1801.
    « Et que puisque à présent je ne vois détruites aucunes des raisons d'honneurs qui nous ont fait abandonner notre patrie et notre fortune, pour rester fidèle à notre Roi et à nos serments. Pardonnez-moi cette réflexion, mais je ne vous cacherai pas ce que j'ai dit tout haut à qui a voulu l'entendre à plus forte raison, à vous pour qui j'ai estime et amitié.
    Donc je ne trouve rien de changer en 1801 à ce qui nous a forcés, par honneur, de tout abandonner en 1789, excepté l'opinion qui s'est avilie par le contact de nos ennemies et par les absurdes jugements et raisonnements de nos amis sur notre cause ».

     6. Enghien à Bourbon.2 février 1802.
    « Je ne vous cacherai pas que mon désir est de m'attacher au service de quelque puissance, tout le temps où mon Roi n'aura pas besoin de moi ; mais, si vous approuvez ce parti, je voudrais d'avance être assuré de conserver le traitement anglais, qui seul peut me donner la facilité de me proposer, puisque je ne serais pas à la charge à la puissance que je servirais. Vous serez sans doute à portée de sonder si je puis, dans ce cas, espérer de conserver mon traitement. »

    <o:p> </o:p>7. Condé à Enghien.10 avril 1802.
    « C'est une affaire fort malheureuse que celle dont vous me parlez. L'homme paraît avoir des torts, et je ne l'excuse point. Il est cependant certains que, s'il a été volé de tout ce qu'il avait, il ne pouvait plus rien payer dans le moment où l'on est venu lui demander. Je ne désapprouve point le parti que vous avez pris pour ces soldats ; cependant je vous prie de songer que, pour quelque cause que ce soit, je ne suis en état de payer ce que vous tireriez sur moi. Il est plus que douteux qu'avec toutes les charges que j'ai, je puisse gagner le bout de l'année avec ce qu'on me donne ; mais à la bonne heure pour cette fois-ci seulement, et que ce soit la dernière. J'écris par ce même courrier à monsieur Brentano, banquier à Francfort, de vous envoyer à Ettenheim la somme de...... louis. Vous donnerez à ces soldats ce qui leur est dû, et vous les congédierez sur le champ. Nous ne pouvons, ni physiquement ni politiquement, entretenir des soldats dans le pays étranger, en quelque petit nombre qu'ils soient ; et je ne pourrais pas vous soutenir dans une démarche aussi déplacée. Vous vous rembourserez, sur le reste de l'argent, des avances que vous aurez faites. Voilà tout ce que j'ai à vous dire à ce sujet. Faites vos magnificences vous-même, tant que vous croirez le pouvoir, mais j'en ai trop à faire d'ailleurs, pour que vous puissiez disposer des miennes. J'ai la satisfaction d'avoir fait pour le corps tout ce qu'il m'a été possible de faire, et je suis persuadé qu'il me rend justice. »

    <o:p> </o:p>8. Enghien à Condé.20 juin 1802.
    « Les Premiers paiements des Anglais m'avaient fait espérer que, tant qu'ils seraient en retard, on donnerait toujours deux mois, chaque mois. S'ils ne recommençaient pas l'année de cette manière, je me trouverais fort attrapé, ayant calculé d'avance sur ce mode, qui paraissait annoncé et juste. Contye me ferait grand plaisir de s'en informer sous main : il est bon de savoir d'avance sur quoi compter. Daignez lui en parler de ma part. Il pourrait en écrire à Jacques, qui lui répond par ce même courrier. L'économie que le nouveau moyen m'a procurée est assez considérable, et j'espère qu'elle sera encore plus grande à l'avenir. »

    <o:p> </o:p>9. Enghien à Condé.24 septembre 1802.
    « J'ai reçu, cher papa, l'envoi du mois de ma pension ; il m'eût fait grand plaisir, si vous aviez daigné y joindre un mot de bonté pour celui à qui il était adressé. À coup sûr, vous n'avez pas l'intention de la lui retirer à tout jamais ».

    <o:p> </o:p>10. Enghien à Condé.18 février 1803.
    « Oserais-je vous prier, cher papa, de dire mille tendresses de ma part à mon père, et d'être toujours convaincu de mon respect et de ma tendresse pour vous ?
    C'est avec bien de la peine que je vois s'accroître journellement l'arriéré de nos pensions. »
    <o:p> </o:p>*La pension d'août et de septembre 1802 avait été reçue par le duc d'Enghien le 28 février, et celle d'octobre et de novembre le 17 mars.

    <o:p> </o:p>11. Enghien à X.(Il s'agirait sûrement de monsieur Chodron). Ettenheim été 1803.
    « Convaincu comme je le suis, mon cher, de votre honnêteté comme de votre attachement pour moi, je vous fais avec confiance la proposition de vous charger d'une affaire, au succès de laquelle je met un grand prix, puisqu'elle est d'une importance majeure pour les intérêts d'une personne pour laquelle vous connaissez sans doute mon attachement. Je pense que ma proposition ne pourra que vous être agréable, puisqu'elle vous est une preuve non équivoque de ma confiance en vous. J'exige cependant que vous me mandiez franchement s'il vous plaît ou non de vous charger, et que vous ne vous gêniez pas par déférence : dans le premier cas, soyez assuré d'avance que vous n'aurez pas obligé des ingrats. Voici le fait : »
    «  À la mort du cardinal, la part qu'il possédait est tombée en propriété à la princesse Charlotte de Rohan Rochefort, son héritière universelle, propriété qui lui est en outre assurée par une donation particulière, faite du vivant de son oncle ; mais ceci ne fait rien à la chose. L'archevêque de Cambrai, dans un moment de gêne, a vendu sa part à la maison Mainoné, de Fribourg-en-Brisgau.
    Les trois parties sont d'accord aujourd'hui pour se défaire de l'habitation, aussitôt que la position des affaires permettra d'y mettre un prix raisonnable. »
    «  La princesse m'ayant communiqué son embarras et la gêne extrême qu'elle éprouverait pour traiter, d'aussi loin et avec les difficultés de communications que la guerre entraîne, une affaire de si grande importance pour sa petite fortune, l'idée m'est venue de lui parler de vous, comme d'un homme loyal et sûr, duquel je répondais, et qui, par attachement pour moi, se chargerait peut-être d'être en cette occasion son agent de confiance. Lorsqu'il s'agirait de traiter sérieusement, vous seriez chargé des pouvoirs nécessaires pour les Mainoné, qui s'entendent parfaitement avec la princesse Charlotte. Quand au prince, de Guémené, il a où vous êtes un agent de confiance, qui probablement serait son fondé de pouvoirs, mais qui aurait instruction de s'entendre ave vous. »
    «  Que vous vous chargiez ou non de la chose, il faut me garder l'absolu secret du tout. J'exige cela absolument. Vous me répondrez sous le couvert de monsieur Jacques, demeurant chez le sieur Loeble, négociant à Ettenheim, électorat de Baden, et vous le ferez part avec détail de votre première conversation, de la manière dont on vous aura reçu du plus ou moins de confiance que l'on vous aura témoigné, enfin du plus ou moins d'espérance que vous aurez de réussir.  Ne ménagez pas vos lettres chaque fois qu'il y  ‘aura la moindre chose à mander.
    Songez que je ne dois paraître en rien dans tout cela, et que c'est toujours au nom de la princesse Charlotte, et comme fondé de pouvoirs, que vous devez paraître. Elle se réserve de vous écrire elle-même, et de vous faire ses remerciements, aussitôt qu'elle saura que vous voulez bien prendre cette peine pour elle.....
    Adieu, mon cher ; j'espère que vous serez dans tous les cas sensibles à la preuve de confiance que je viens de vous donner, et que vous rendrez justice à mes sentiments d'intérêt et d'amitié pour vous. »
    *Chodron Joseph, né à Toul en 1744. Il était trésorier de l'armée de Condé en 1801, et avait rejoint le prince en Angleterre.

    <o:p> </o:p>12. Enghien à Bourbon.17 février 1804.
    «  Je viens d'apprendre par la gazette qu'enfin Saint-Domingue est rendu. Ceci me fait un bien grand plaisir, car je ne doute pas que les nègres ne soient très accommodants pour les propriétaires anglais ; et une personne qui habite Ettenheim, et pour laquelle vous connaissez toute ma tendresse et constante amitié, se trouve propriétaire dative d'une habitation dans cette île, habitation estimée.1 500 000fr avant la guerre. Cet heureux événement va, Dieu merci, la tirer enfin, j'espère, de la position cruelle et gênée dans laquelle elle a passé les trois quarts de son émigration. Je serai bien content quand je la verrai ce qui s'appelle au-dessus de ses affaires. »

    <o:p> </o:p>13. Condé à Enghien.26 mars 1804.
    « Vraisemblablement, on a jugé que ce qui vient de se passer n'était pas plus dans mon genre que dans le vôtre ; car je n'étais pas, pas plus que vous, dans la confidence du grand projet qui vient d'échouer. Mais quoiqu'on ne m'ait pas mis dans le secret, je n'ai nullement à me plaindre des personnes qui l'ont entrepris, conseillé, commandé ou permis. Je n'ai su que par le public le départ des acteurs : l'objet n'en était pas difficile à deviner ; mais je ne l'ai appris positivement que par les journaux. Au reste, il ne faut pas mal parler des malheureux qui se sont dévoués pour notre cause. En tout, il faut pénétrer nos âmes de reconnaissance pour les bons, et d'indulgence pour les mauvais ; car on ne se tirera jamais de ceci sans allier les deux sentiments dans ses paroles et dans ses actions, en ne perdant jamais de vue d'en tirer parti pour la cause du Roi. Mais pour les victimes, quelles qu'elles soient, il faut toujours les plaindre de tout notre cœur.
    Quoique vous ne soyez pour rien dans tout ce qui vient de se faire, je vous avoue que je suis inquiet, en ce moment, de votre position trop rapprochée de la France. Je désirerais que vous fussiez un peu plus enfoncé dans l'Allemagne : vous seriez de même à portée de tout dans l'occasion, et vous seriez plus en sûreté. Je vois qu'il vous en coûterait de quitter un lieu où vous vous plaisez ; mais songez que nous avons affaire à un homme capable de tout, et que la première des considérations est de ne pas devenir sa victime, inutilement et même dangereusement pour la cause. Choisissez, croyez-moi, quelque ville un peu plus loin, plus habitée et où il y ait garnison, si cela est possible. En attendant qu'on ait besoin de votre courage, je vous exhorte à la prudence, et je dois m'en rapporter à la tendresse que vous nous avez. »

    <o:p> </o:p>Les envies du prince pour s'installer et la persistance de faire venir son père auprès de lui.

    <o:p> </o:p>14. Enghien à Bourbon.3 juin 1801.
    « Aussi je vous assure qu'il me tarde bien d'avoir un sort assuré, tel modique qu'il soit, pour me caser quelque part et devenir tout à fait étranger, ou Autrichien, ou Russe, ou Prussien, peu m'importe ; mais tout vaut mieux que prince émigré. »
    « Quand on a un état quelconque, au moins on est avoué ou protégé par la puissance que l'on sert ; on est quelque chose. Mais n'être rien, n'avoir d'autre état que le nom de celui que l'on a eu ; éprouver tous les jours quelque nouvelle humiliation, toujours vouloir p..., comme on dit, plus haut que le c..., et en reconnaître à chaque instant l'impossibilité, c'est l'état le plus malheureux que je connaisse. Cette ancienne considération que notre nom apportait sur nos personnes n'existe malheureusement plus aujourd'hui. À peine regarde-t-on mon grand-père à Vienne ; à peine l'Empereur lui fait-il l'honneur de le recevoir chez lui ; »
    « Pardon, cher papa, de mes tristes et ennuyeuses réflexions ; mais c'est pour en venir à ce que je disais, qu'il fallait absolument se naturaliser étranger quelque part, devenir quelque chose ; car être émigré français, ce n'est être rien. On n'est ni plus aimé ni plus estimé ; et l'on vous regarde comme un être dangereux, comme un pestiféré, qui apporte avec lui le venin et la contagion du mal qui l'a frappé. »

    <o:p> </o:p>15. Enghien à Bourbon.21 septembre 1802.
    « On nous assure ici que mon grand-père songe à revenir sur le continent et à s'y fixer. Y'a-t-il quelque fondement à cette nouvelle, et que feriez-vous dans ce cas ? »

    <o:p> </o:p>16. Enghien à Condé.20 novembre 1802.
    « Je suis affligé que les bruits qui couraient de votre prochain retour sur le continent soient sans fondement. »

    <o:p> </o:p>Les allusions de mariage du duc d'Enghien et la passion pour Charlotte de Rohan. les devoirs de ses parents pour la recherche d'une femme.

    <o:p> </o:p>17. Enghien à Marans.6 août 1801.
    « Pour revenir à moi, si la chose est comme me la mande mon père, j'aurai lieu d'être content pour le moment ; mais il ajoute une phrase fâcheuse :
    « Sans engagement pris pour la vie », ce qui nous tiendra toujours sur le qui-vive. C'est à peu près comme lorsque l'on dit à un enfant : Soyez bien sage, et vous aurez du bonbon. Au reste, pour tout cela, les réflexions sont bien inutiles : j'attends avec patience et m'arrangerai pour mon train de vie sur ce que j'aurai d'assuré, afin de ne pas, comme on dit, p.... plus haut que le c...., et à faire des dettes ; faute que j'ai en le bonheur jusqu'ici de ne jamais commettre. »
    « Je voudrais avoir près de moi quelqu'un qui me fût attaché, non pas parce que jusques ici il y a trouvé son intérêt, mais parce que ma personne lui plaît et que je serais sa société la plus agréable. Je voudrais quelqu'un qui, en quelque lieu que j'aille ou reste, en quelque circonstance que je me trouve, trouve aussi son plaisir à rester avec moi, qui y consacre sa vie, qui soit déterminé à partager ma bonne comme ma mauvaise fortune, quelqu'un qui ne me fasse pas sentir, comme beaucoup, que tout ce qu'ils font pour moi, c'est par complaisance, mais qui prenne réellement part à mes plaisirs comme à mes chagrins ; »

    <o:p> </o:p>18. Enghien à Bourbon.29 septembre 1801.
    « J'y suis près d'un intérêt constant et qui fait le bonheur de ma vie intérieure. Je profite du bon temps qui me reste avant que le devoir m'oblige à prendre des liens plus sérieux, mais probablement moins agréables.
    Heureusement que, jusqu'à ce jour, aucune des tentatives légères, qui ont été fait par mon grand-père, n'a eu de succès. J'en ai joui intérieurement, sans le lui marquer, et sans m'opposer à ce qu'il a cru devoir faire pour en assurer la réussite. Cette occupation rendra mon hiver ici fort heureux. Si j'y pouvais joindre l'espoir de vous voir vous rapprocher incessamment de ces climats, et la certitude de ne pas mourir de faim un jour, je serais très heureux. Je puis acquérir ces deux certitudes d'un moment à l'autre par vos lettres ; ainsi vous jugez de l'impatience avec laquelle je les attends. »

    <o:p> </o:p>19. Enghien à Bourbon.8 octobre 1801.
    « Je serai bien curieux, à propos d'elle, de savoir si le grand-père vous en a parlé. Longtemps il a craint des choses sérieuses ; et je ne sais s'il est encore revenu de ses soupçons, je puis dire injurieux pour moi. Car je ne lui ai jamais donné lieu de croire que j'eusse une assez mauvaise tête pour être un jeune homme à grandes sottises ; et ce serait, ce me semble, la plus grande possible, que de contacter un pareil engagement sans l'autorisation de ses parents. Je n'y ai jamais pensé. Ayez, cher papa, la confiance en moi de me mander s'il m'a jugé sévèrement auprès de vous, et mettez-moi à même de me disculper de bien des torts imaginaires, qui m'ont été supposés, et que le perfide entourage du chef n'a pas manqué d'accréditer et d'envenimer autant que possible. Je vous nommerai un jour les masques. »

    <o:p> </o:p>20. Enghien à Bourbon.8 octobre 1801.
    « La réserve de « sans engagement pour la vie » est d'une rare prudence. Au reste, elle doit peu inquiéter ; car, quand on prendrait engagement, cela ne donnerait pas plus de certitude : on en serait quitte pour y manquer, quand cela conviendrait. »

    <o:p> </o:p>21. Enghien à Bourbon.8 avril 1802.
    «  Mon grand-père m'ajoute, dans un dernier article de sa lettre :
    ‘' Nous ne nous occupons, votre père et moi, que de vous chercher en Europe un bien-être au-dessus du nôtre. ‘'  Je suppose que c'est un « mariage » dont il veut parler ; mais je m'étonne, s'il y a quelque chose en l'air, que moi, qui suit la partie intéressée, je ne sois pas plus au fait de ses désirs sur cet objet. Si cela était sérieux (comme je ne le crois pas, car cette phrase m'a déjà été souvent dite, qu'il n'y avait rien du tout), vous me feriez grand plaisir de m'en donner les détails. Je ne suis plus un enfant depuis fort longtemps : par conséquent, c'est de concert que nous devons travailler sur cet objet que je regarde comme le plus important de ma vie, et auquel je ne me déciderai pas légèrement, comme je lui ai dit souvent. » 

    <o:p> </o:p>22. Enghien à Condé.30 avril 1802.
    « Vous me parlez ensuite, cher papa, d'un autre objet. Vous me dites que vous cherchez à m'assurer en Europe un bien-être au-dessus du vôtre. Comme partie très intéressée, j'espère que, lorsque vous aurez quelques vues, vous voudrez bien me donner des détails sur cette affaire, le bonheur intérieur étant, comme vous savez, celui que je préférerais toujours à toutes les grandeurs, ou sort brillant, ou avantage pécuniaires. Le hasard ou les convenances ne me détermineront pas. J'ai donc besoin d'un petit examen préalable. Je sais bien qu'autrefois il n'en était pas ainsi ; mais autrefois on avait beaucoup de motifs de distraction et des consolations en foule ; et ce n'est pas cela aujourd'hui, où un choix malheureux pourrait faire le malheur du reste de la vie. Car, cher papa, si l'on veut toujours juger d'aujourd'hui par autrefois, le calcul devient bien faux, et,  les circonstances ayant changé, les résultats deviennent aussi tout autres. »

    <o:p> </o:p>23. Enghien à Bourbon.22 août 1802.
    « Ici, cher papa, je trouve paix intérieure attachement véritable et constant, confiance entière, fondée sur une épreuve de dix années. (S'il fallait prendre ce nombre d'années à la lettre, la liaison avec la princesse Charlotte aurait commencé en 1792). Je mène une vie uniforme et douce ; jamais un nuage, jamais un moment d'humeur, d'ennui, à plus forte raison de dégoût de part et d'autre. Je me plais à faire le bonheur d'un être, comme cet être met son bonheur à faire le mien. Je ne connaîtrais pas une vie plus heureuse, si la proximité d'un père tendre et que j'aime, me permettait de partager mon temps entre lui et l'amie de mon cœur. Tout changement sera pour moi un malheur, tout autre engagement un chagrin bien douloureux. Je me soumettrai par devoir à ce que l'on appellera mon bonheur ou un établissement convenable et avantageux ; mais ce sera un sacrifice pénible, auquel nous sommes de tout temps résigné. Les craintes de mon grand-père sur cet objet, comme sur beaucoup d'autres, n'ont jamais eu de fondement. Je ne prendrai aucun grand engagement sans le consulter et sans avoir votre agrément. Je prie chaque jour le ciel ardemment pour qu'il ne se présente aucune facilité pour un sort avantageux. Ce serait la fin du bonheur le plus pur et le mieux senti qui ait peut-être jamais existé, et pour mettre à la place Dieu sait quoi ! Vous ne me parlez jamais de cet objet, cher papa ; cela me fâche ; je voudrais en causer avec vous, je voudrais vous entretenir de ce qui m'intéresse ; mais je voudrais que cela vous intéresse aussi. »
    <o:p> </o:p>*Déjà le 8 octobre 1801, Enghien écrivait dans le même sens à son père :
    (« Ce serait, ce me semble, la plus grande sottise possible, que de contacter un pareil engagement sans l'autorisation de ses parents. Je n'y ai jamais songé. »)

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>Le duc d'Enghien apprend qu'il a une demi-sœur nommée Adèle (vrai nom : Adèlaïde-Charlotte-Louise fille de madame Michelot, danseuse d'Opéra, née en 1780).
    Et il apprend également dans cette lettre la mort de monsieur de Vibraye.

    <o:p> </o:p>24. Enghien à Bourbon.21 avril 1802.
    « Oui sûrement, j'aimerais de tout mon cœur ma petite sœur. Daignez me donner quelques détails sur elle ; parlez-lui de moi ; embrassez-la de ma part et accoutumez-la à m'aimer aussi. N'est-ce pas elle que vous avez eue de Michellot, et cette dernière n'est-elle pas à Londres, où vous la voyez souvent ? Personne ne m'a encore parlé d'elle que fort en l'air ; ainsi je suis fort ignorant sur cet article. »

    <o:p> </o:p>25. La princesse Louise à Bourbon.11 octobre 1803.
    « Mais, cher ami, vous ne me parlez jamais de votre fils. Est-ce que vous seriez brouillés ? Je le crains tant, que je n'ai encore osé vous en faire la question. Oh non, je vous en prie ; que cela ne soit pas ! Je l'aime toujours, quoique nous ne nous écrivions pas. Et vous, qui l'aimez tant ! Que l'une ne fasse pas tord à l'autre : aimez vos deux enfants..... »

    <o:p> </o:p>26. Enghien à Bourbon.30 octobre 1803.
    « Ma dernière lettre était partie deux jours, cher papa, lorsque j'ai reçu là vôtre, datée du 25 septembre. En me permettant de faire mes réflexions sur vos dispositions à l'égard de votre Adèle, j'espère bien que vous n'avez pas un instant douté de mon approbation générale pour tout ce qu'il vous a plu de faire pour un être qui vous est cher. C'est un véritable plaisir pour moi de la savoir établie d'une manière avantageuse, portant un nom connu et ayant un sort assuré. Veuillez donc faire mes sincères compliments à la jeune et jolie comtesse de Rully. Il me semble avoir connu son mari en France. N'était-il pas quelque chose au Palais-Royal, et n'avait-il pas un frère qui a été tué en Corse ? Je me rappelle confusément tout cela. Quand à la demande d'un traitement au gouvernement anglais en faveur du nom qu'elle portait, je vous avouerai que j'ai été également surpris et de la démarche et du nom. Mais, n'étant pas au fait des usages anglais, que je connais sur cette matière différente de ceux du continent, et ne connaissant aucune des raisons en vertu desquelles elle portait ce nom, je ne puis faire aucune réflexion sur ces deux articles, et je dois croire que vous avez eu de bonnes raisons pour en agir ainsi. Pardonnez ma franchise, cher papa ; vous l'avez autorisée, et, si vous ne me l'aviez permis, je n'aurais jamais osé vous entretenir de cet objet. »

    <o:p> </o:p>27. Enghien à Marans.22 novembre 1803.
     « C'est au reste un projet fort en l'air encore ; ainsi je ne vous le donne pas pour certain. Vous savez que mon père a marié son Adèle, a donné à l'époux la première place de commis dans son bureau et s'est en cela assuré le bonheur de ne jamais se séparer de cette enfant chérie. Peut-être ne me comprendrez-vous pas. Il remplace le vieux général Vibraye, celui qui menait en Brabant Clerfayt à grandes guides et qui est mort l'an passé. Connaissez-vous la jeune comtesse de Rully ?
    -Il s'est fait à cette occasion des choses qui m'ont déplu : la plus inconsidérée est la demande faite officiellement d'une pension à nos fournisseurs en faveur du nom qu'elle portait, dit-on, avant son mariage. Il est difficile d'être entraîné plus loin par l'amour paternel. Je ne sais encore si le résultat aura été heureux. »

    <o:p> </o:p>*« Le prince de Condé annonça, le 20 septembre 1803, à Louis XVIII le mariage d'une sœur du duc d'Enghien. « J'ai l'honneur, écrivit-il, de demander à V. M., conjointement avec mon fils, son agrément au mariage qu'il trouve à faire pour sa fille, et je partage vivement l'intérêt qu'il prend à elle. Je ne la connais que depuis son arrivée ici, et je puis assurer V. M. que cette jeune personne m'a étonné par sa raison et par sa fermeté de ses principes. Elle a contribué, dans ce pays-ci, à nous faire supporter nos malheurs, par la douceur de son caractère et l'attachement qu'elle nous marque. J'ose répondre à V. M. que celle-là n'avilira jamais le nom qui lui a été donné, et sous lequel sa naissance (encore inconnue) a été constatée sur les registres de sa paroisse. Tout le public à Londres, où elle n'est connue que sous le nom de Mlle de Bourbon, lui rend toute justice :  elle y est véritablement estimée et même considérée tant par les émigrés que par les Anglais. Le chevalier de Rully, qui a l'honneur d'être connu de V. M., et que mon fils s'attache à la place du comte de Vibraye, mort depuis quelques temps, est un excellent sujet, rempli de l'amour de ses devoirs, et qui préfère l'honneur d'être maintenu sur la liste de l'émigration à l'aisance qu'il pourrait recouvrer  dans un pays qu'il déteste, tant que V. M. n'y sera pas rétablie, comme elle doit l'être...
    Madame Michelot, mère d'Adèle, n'assista pas au mariage : elle était alors à Paris. »

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>28. Condé à Enghien.4 décembre 1803.
    « J'ai laissé à mon fils le soin de vous instruire du mariage que nous avons fait ici. Je ne doute pas que vous n'ayez pris part au bonheur que ce petit événement a procuré à votre père : ma tendresse pour lui me l'a fait partager. Je sais que la personne vous a écrit : elle mérite véritablement votre intérêt, ainsi que le nôtre, par les qualités de son cœur, et par son attachement à nous trois. Ma fille lui a écrit, de Varsovie, une lettre charmante. »

    <o:p> </o:p>29. Enghien à Condé.17 décembre 1803.
    « J'ai reçu, il y a trois jours, la lettre de Contye, daté du 17 du mois dernier, dans laquelle en était une de monsieur de Rully, qui m'écrit à l'occasion de son mariage. Oserai-je vous prier de lui remettre ma réponse, qui ne contient que des politesses. Vous ne m'avez parlé dans aucune de vos lettres de cet objet, qui, vu la tendresse extrême de mon père pour cet enfant, en devient un intéressant pour moi. »

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>30. Condé à Enghien.30 janvier 1804.
    « J'ai remis votre lettre à monsieur de Rully, qui a été très reconnaissant de votre réponse. D'après ce que vous me dites, que je ne vous ai jamais parlé de ce mariage, il faut que vous n'eussiez pas encore reçu celle que je vous ai écrite le 4 décembre. Ce mariage réussit très bien ; ils paraissent se convenir fort.»

    <o:p> </o:p>Le duc d'Enghien apparemment n'avait confiance en aucune personne comme l'atteste cette phrase.

    <o:p> </o:p>31. Enghien à Marans.3 juin 1801.
    « Ne parlez de mes affaires à qui que ce soit de la suite de mon grand-père : je n'ai confiance en aucun. »

    <o:p> </o:p>Le départ de fidèle serviteur du duc d'Enghien. Ainsi que les déserteurs qui veulent rejoindre le duc d'Enghien, sans que lui ne puisse les prendre sous son service, faute de moyens financiers.

    <o:p> </o:p>32. Enghien à Bourbon.10 novembre 1801.
    « Je suis bien éloigné d'être aussi content de deux jeunes gens auxquels je m'intéressais comme vous le savez. Cheffontaines et Joinville viennent de me planter là pour rentrer en France, avec des manières qui m'ont déplu, surtout avec l'extrême bonté que je leur ai toujours témoigné et sachant fort bien que rien ne me déplairait d'avantage que ces voyages en France et ces ménagements à garder avec la république, ce siècle et celui des ingrats, on ne devrait pas être étonné d'en rencontrer sur son chemin. »
    « Depuis mon départ de Gratz je n'ai point entendu parler de Vassé. Il me demanda à cette époque de voyager de son côté et de l'argent pour sa route. Il me dit qu'il allait du côté de Francfort où il avait donné rendez-vous à sa femme. Depuis un arrivant de Lyon m'a assuré l'y avoir rencontré, je ne sais qu'en croire, je lui garderais son argent jusqu'à ce que je sache où le prendre. »

    <o:p> </o:p>33. Enghien à Bourbon.25 janvier 1803.
    « Picard m'a quitté. Il avait fait un voyage à Paris pendant mon séjour en Suisse, et s'était, je crois, assuré une bonne place. Il a cherché des prétextes de sujet de mécontentement, et a demandé qu'on le laisse aller. Il est amoureux d'une vieille horreur qu'il est allé rejoindre, une Mme Lefoevre, que vous connaissez sans doute.
    Pelier a fait de même, mais avec plus de formes ; sa femme est venue le chercher, et il écrit toujours pour que je le reprenne aussitôt que j'aurai besoin de lui. Ces deux retraites m'ont fait grand plaisir, ces deux hommes m'étant entièrement inutile et fort à charge ; mais je n'ai aucun sujet de mécontentement contre eux. Je me suis défait, il y a quelques jours, du pauvre vieux Balon : il ne pouvait plus aller. Des négociants de Lahr l'ont acheté. Celui-là a fait son temps ; il n'y a rien à dire.
    Adieu cher papa, je vous embrasse de tout mon cœur, et vous prie de ne jamais douter de mon respect et de ma tendresse pour vous. »

    <o:p> </o:p>34. Enghien à Condé.26 août 1803.
    « Il passe ici journellement une foule de déserteurs que les embarcations inquiètent. Ils arrivent ici avec quelque espoir de trouver où se placer ; Mais, à mon grand regret, je suis forcé de les renvoyer, sans pouvoir même leur donner quelque jour à se tirer d'affaire. Ce sont des gens perdus : c'est dommage. N'a-t-on donc aucun moyen d'utiliser les gens de bonne volonté ? Il y en a en foule. Les nationaux seront sans doute excellents ; Mais, pourtant des gens qui ont vu le loup, parsemés avec les autres, n'y feraient pas de mal. Si la constitution empêche que ce ne soit sur le tronc qu'ils se placent, eh bien ! Qu'on les mette sur les branches. Elles vont, cet automne, avoir grand besoin d'appui. Je ne parle pas de moi ; Mais, pourtant je brûle d'impatience, et je n'entends pas plus parler de projet pour moi que si je n'existais pas. Cette nullité m'est insupportable. Si l'on a assez d'officiers, eh ! Mon Dieu, qu'on me fasse soldat ! Je ne demande qu'à ne pas être nul ; et je vois des occasions de ne pas l'être m'échapper chaque jour. »
    <o:p> </o:p>*(Messieurs de Grünstein et Schmitt. Ils faisaient office d'aides de camp, à la place de messieurs de Cheffontaines et de Jonville, rentrés en France.)

    <o:p> </o:p>Le froid entre le prince de Condé et le duc d'Enghien.

    <o:p> </o:p>35. Enghien à Marans.27 mars 1801.
    « J'ai reçu, mon cher, votre dernière lettre du 25 février qui, comme vous le verrez par la date de la mienne, a fait diligence.
    Vos idées ne sont pas justes sur l'état présent de nos affaires intérieures. Je suis plus loin que jamais du projet de voyage que vous me supposez. Il est vrai que l'on fait à cet égard des propositions à mon grand-père ; mais l'état de froid extrême dans lequel je suis avec lui, depuis quelques mois surtout, me met dans l'impossibilité de savoir aucun de ses projets.
    Il serait trop long et inutile de vous détailler les raisons de ce froid. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il y a eu patience, douceur, tendresse de mon côté, et que, depuis quelques années, au lieu de réussir, je vois reculer mon but à chaque fois que je refais quelque nouvelle tentative, l'entourage est contre moi, et tant qu'on ne l'écartera pas, moi je me tiendrai à l'écart. Je suis donc, pendant toute la dernière dislocation de notre malheureux corps, resté à vingt-cinq lieues de lui, dans une belle et bonne ville, avec une société qui me plaît. »

    <o:p> </o:p>36. Enghien à Condé.30 avril 1802.
    « Vous me reprochez, à cette occasion, de chercher à élever un mur de séparation entre nous. Assurément, pendant bien longtemps j'ai cherché à repérer des liens de réunion et j'ai saisi toutes les occasions d'y parvenir. Rappelez-vous, cher papa, que vous avez toujours repoussé cette intimité qu'il m'eût été si doux d'obtenir, et ne me faites pas aujourd'hui un reproche de ce qui n'a pas été mon ouvrage. Rappelez-vous que vous m'avez non seulement toujours tenu éloigné de vous, mais que vous m'avez même témoigné défiance, lorsque j'ai voulu m'occuper avec vous de vos affaires. Rappelez-vous que, pendant dix années, il est bien rare que je sois parvenu à obtenir de vous un suffrage d'approbation : qu'au contraire, il n'est peut-être pas de jour, de fois où je vous ai vu, où je n'aie été réprimandé par vous sévèrement de quelque chose. Rappelez-vous que mes goûts, mes occupations, mes connaissances, tout vous a déplu ; que vous avez refusé toute espèce de protection aux individus que j'aimais et aime encore. Rappelez-vous notre vie intérieure, lorsque les circonstances ou mon désir constant de me rapprocher me faisaient habiter les mêmes lieux, et me mettaient dans le cas de nous voir chaque jours. N'étais-je pas pour vous un objet de gêne, d'humeur perpétuelle ? Daignez-vous ressouvenir de tout cela, et jugez vous-même si, pour notre tranquillité, notre bonheur (si je ne recouvre pas toutefois une meilleure place dans votre cœur), je dois, ainsi que vous, souhaiter une réunion constante ? Pardonnez-moi de le dire, cher papa ; mais le désirez-vous vous-même ? M'avez-vous proposé d'aller en Angleterre avec vous ? M'avez-vous témoigné un désir de m'y voir ? Si c'est au nom de votre bonheur, de votre repos que vous le désirez, je quitte tout ; si c'est au nom du mien, comme c'est toujours à ce nom que j'ai éprouvé le contraire, je préfère demeurer attaché à celui que je tiens, que d'aller courir après un chimérique auquel je ne crois pas. Que de gens n'a-t-on pas tourmenté toute leur vie au nom de leur bonheur futur !
    J'espère donc, cher papa, que vous daignerez réfléchir que, dans les malheureuses circonstances où nous sommes, il ne serait pas plus indigne de moi d'être officier général russe, ou napolitain, ou prussien, point autrichien puisque je sais que cela vous déplaît, qu'il ne l'a été au duc de Berry de l'être napolitain. Cela me mettrait dans le cas de continuer une carrière que j'aime ; cela me tirerait de l'état de bourgeois avec 25 000 livres de rente, état, je crois, fort au-dessous de celui de militaire, tel pauvre qu'il soit ; et, en vous servant de votre crédit à Londres pour me faire continuer ma pension, en employant celui de la puissance qui voudrait de moi pour l'obtenir, je ne regarderais pas la chose comme impossible. Je profiterais alors de congés, faciles à avoir en temps de paix, pour aller vous voir de temps en temps et vous remercier de vos bontés ; et, le jour où la cause générale aurait besoin de moi, je quitterais tout pour aller la servir. »
    <o:p> </o:p>37. Condé à Enghien.31 mai 1802.
    « J'ai reçu vos deux lettres du 30 avril et du 6 mai. En recevant la seconde, j'espérais, je l'avoue, qu'elle pourrait être une réparation de la première : je me suis trompé. Votre cœur et votre mémoire vous ont aussi mal servi l'une que l'autre dans celle du 30. Je me rappelle très bien tout le contraire de ce que vous vous permettez de me reprocher, en me créant des torts que je n'ai jamais eus. Je vous ai souvent donné, pour vous mieux conduire, des conseils utiles : c'était mon devoir. J'y mettais sans doute de la sensibilité (et ce n'est pas à vous  à vous en plaindre), mais jamais d'humeur. Vous les receviez mal, ces conseils dictés par l'expérience et l'intérêt que je prenais à vous. Vous auriez dû cependant m'en remercier, d'autant plus que lorsque j'ai eu à me plaindre de vous, ce n'a jamais été qu'à vous-même, et il n'y a rien que je n'aie dit, fait et écrit, pour cacher les chagrins que vous me donniez et pour fixer les yeux du public sur votre gloire. Au reste, je ne m'abaisserai point à une justification, parce que je n'en aurai jamais besoin vis-à-vis de personne, encore moins vis-à-vis de vous. Mais je veux bien encore une fois chercher à vous ramener à la vérité, fortement négligée dans votre lettre.
    Ce n'est point votre volonté que je soupçonne de ne pas quitter un service étranger pour venir servir le Roi : mais je sais qu'on n'en a pas toujours la possibilité. On n'est maître de soi-même que quand on est attaché à un service. Ce même volontaire (ce qui ne se peut que quand la guerre est allumée), l'honneur ne permet pas de s'absenter quand on est à portée de l'ennemi ; et c'est ce qui peut vous arriver quand on est à cinq cents lieues de l'endroit où vous pourriez être utile au Roi. Ce n'est point d'ailleurs un faux calcul que de penser que le moment peut se retrouver ;  C'en serait, au contraire, un bien faux, et surtout pour vous, que de croire que les choses resteront toujours comme elles sont. D'ailleurs la perte de votre fortune ne changera jamais rien (et je vous l'ai déjà dit) à votre naissance et à ce que vous lui devez.
    À l'égard des Orléans, dont le nom vous choque tant dans une lettre, j'avoue que je n'avais pas cru qu'il pût tomber dans le sens d'un mortel que je pusse vous les proposer comme modèles de votre conduite.  Mais, sans me donner la peine de repousser l'absurdité que vous vous permettez de me soupçonner, je vous dirai qu'ils sont revenus à la bonne cause ; qu'on n'est sans doute pas obligé de les aimer pour cela, mais que ce n'en sont pas moins des Bourbons, et que je serais fâché qu'à présent ils eussent l'air de le mieux sentir que vous. Ainsi, quand je vous en ai parlé, vous auriez dû n'y voir que de l'intérêt pour vous.
    Quand à vous avoir amené dans ce pays-ci, je ne reviens pas de ce que vous ayez oublié que je vous l'ai proposé deux fois, et que vous m'avez toujours répondu que vous aimiez mieux différer. Il faut avoir plus de mémoire quand on se permet de faire des reproches à quelqu'un, et surtout à son grand-père. D'ailleurs ce serait plutôt à moi de vous dire :
    ‘' L'avez-vous désirée vous-même, notre réunion en Angleterre ? '' Vos projets et la lettre à laquelle je réponds me prouvent, de plus que vous en êtes fort loin.
    Vous me parlez de vos amis, et vous osez me reprocher de n'avoir pas cherché à les obliger. À qui doivent-ils donc leur pension, si ce n'est à moi, qui n'ai cessé de réitérer mes sollicitations en leur faveur, tant de bouche que par écrit, soit auprès de Paul 1°, soit auprès des Anglais ? »

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  • 38. Enghien à Bourbon.20 juin 1802.
    « J'ai reçu votre lettre, cher papa, et vous jugez combien mon cœur a été touché des expressions tendres, indulgentes et bonnes qu'elle contient. Vous me blâmez, mais vous m'aimez ; vous me le prouvez par ce que vous avez fait et dit pour m'excuser auprès de mon grand-père, et par les soins que vous avez pris pour l'empêcher de me répondre dans les premiers moments de sa vivacité. Recevez, cher papa, les expressions de ma reconnaissance ; recevez celles de ma tendresse, et daignez ne pas me jugez aussi sévèrement.
    Je ne chercherai point à me justifier auprès de vous du tort d'avoir osé parler franchement à mon grand-père. Sans doute c'est un grand tort, et je lui en demande pardon dans ma réponse. Puisse-je lui avouer de même que je reconnais la fausseté des faits que j'ai avancés, et qu'un moment de vivacité m'a entraîné ? Je serais trop heureux si j'avais à solliciter un tel pardon. Mais mon grand-père sait, hélas ! Quel a été notre intérieur, surtout ces dernières années. Il sait, et ne me l'a pas caché, que tout lui déplaisait en moi. Caractère, conduite, habitudes, projets, liaisons, tout a été sujet de blâme, de reproches amers et continuels. Et pourtant qu'ai-je fait ? Il sait, et je le lui ai souvent dit, que le devoir et l'honneur me retiendraient près de lui tout le temps où son corps existerait. J'avais un motif encore plus puissant : l'espérance que ma conduite respectueuse, tendre et soumise, le ferait enfin changer de façon de penser à mon égard ; qu'il me traiterait un jour en enfant chéri. Dix années d'expérience est une épreuve trop longue pour que je puisse conserver quelque espérance. Je n'ai jamais trouvé qu'un juge, et qui plus d'une fois n'a pas daigné m'entendre avant de me condamner.
    Mon grand-père se rappelle que c'est toujours au nom de sa tendresse pour moi, au nom de mon bonheur futur qu'il a exigé ce qui était pour moi gêne ou contrariété présente. Il se rappelle sans doute, si j'osais faire parfois une objection, quelle sévérité alors dans ses paroles ; que je méritais peu tout ce qui m'était dit. Ma conduite en est la preuve. Sa volonté n'a-t-elle pas toujours été une loi pour moi, excepté une seule fois, dans  un détachement de la dernière campagne, où je ne pouvais, sans me déshonorer aux yeux de l'Archiduc, de tout son état-major, et des Anglais qui s'y trouvaient alors, me dispenser d'aller, puisque j'avais ardemment sollicité d'être employé, le corps ayant, au milieu de la campagne, été renvoyé sur les derrières pour ne plus être employé de la saison. À être pour mon métier m'a attiré à cette occasion de sa part, ont été bien cruelles et les expressions de ses lettres bien dures ; j'ai tout supporté jusqu'au bout ; la patience, la soumission sont des devoirs desquels je crois m'être bien peu écarté. Mais, cher papa, si vous saviez combien il m'est doux de jouir d'un peu de liberté, après tant d'années d'esclavage ! J'en étais venu à ne plus oser ouvrir la bouche, faire un geste, témoigner un désir ; j'étais certain d'être désapprouvé. Tantôt j'oubliais le sang dont je sortais ; j'avais une tête impliable ; mon cœur était gâté ; je voulais de gaieté de cœur porter la douleur dans le cœur d'un père. Tantôt j'étais un enfant. Tantôt tout était faux calcul dans ma conduite, et l'on me supposait des vues ou des projets dont la seule idée était révoltante pour une âme honnête. Que sais-je ? Je ne puis me rappeler et tout ce dont j'ai été accusé, et ce que j'ai dû souffrir. J'en étais venu à ne me présenter devant mon grand-père que dans un état de crainte et de tremblement continuel. Les trois dernières années surtout, jamais il ne m'a permis de le considérer autrement que comme un juge sévère et déjà prévenu contre moi. Combien de fois, dans l'amertume de mon cœur, je me suis dit : Se peut-il que l'on soit ainsi l'ennemi de son propre bonheur ! Quoi de plus heureux, de plus doux pour un père que d'avoir en son fils un ami véritable, un serviteur fidèle ! Pourquoi m'éloigne-t-il ? Pourquoi me repousse-t-il ? Que lui ai-je donc fait ? Aujourd'hui, cher papa, quelle différence dans vos deux lettres ! La sensibilité, la tendresse, l'indulgente bonté dont la vôtre est remplie ont fait couler mes larmes ; la sévérité glaciale, la sécheresse de la seconde pouvait-elle aller jusqu'à mon cœur ? Qu'il me pardonne ces expressions. C'est dans le premier moment que je réponds ; je n'ai pas calculé ; je dis avec confiance ce que je sens, ce que j'éprouve. Oui, je crois que mon grand-père n'a jamais aimé en moi que son nom, l'héritier de sa maison, le soutien de sa branche ; mais ma personne, je n'ai pas la consolation de penser qu'elle lui ait jamais été agréable. Pardonnez, cher papa, pardonnez ! Je sais que j'aurai tort dans votre esprit, et sais que, prévenu par tous mes juges, les choses ne peuvent vous être présentées que sous le point de vue qui m'est défavorable ; mais j'en appelle à mon grand-père lui-même. Qu'il se mette à ma place, qu'il se rappelle comme il m'a traité, et qu'il me juge !
    Je me tais. Je vous demande pardon, ainsi qu'à lui, des expressions qui peuvent m'être échappées : une plus longue défense serait inutile. Quand au fond, il connaît mon cœur, mes principes ; il sait bien, quoiqu'il m'ait souvent dit le contraire, que je ne traiterai jamais son nom, et que ma conduite ne fera jamais rougir ceux dont je tiens le jour.
    Recevez, cher papa, l'hommage de la tendresse respectueuse et sincère de votre enfant ; aidez-le de vos conseils, et pardonnez-lui ses erreurs. En l'en blâmant comme vous l'avez fait, c'est une nouvelle dette d'amour, de reconnaissance et de soumission qu'il contracte envers vous. »

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>39. Condé à Enghien.21 juillet 1802.
    « Ce ne sont point les expressions de vos lettres qui me choquent, c'est le fond ; et il paraît que vous persistez dans l'idée de me créer des torts qui n'ont jamais existé, puisque vous m'accusez encore d'avoir été plus sévère avec vous. Non seulement je n'ai jamais été plus que sévère à votre égard, mais je ne l'ai jamais été du tout ; et peut-être est-ce le seul reproche qu'on ait pu me faire, que ne m'être pas servi, dans plusieurs occasions, de l'autorité paternelle et militaire que j'avais sur vous. Mais j'ai préféré d'épuiser, au contraire, tous les moyens d'indulgence et de tendresse, que vous me présentez comme un essai à faire de ma part, tandis que j'en ai jamais employé d'autres. Vous n'avez jamais paru le sentir : je vois malheureusement par vos lettres, et par celle que vous écrivez à votre père, que vous ne le sentez pas encore ; et vous êtes le seul qui ne s'en soit pas aperçu. Quand il vous conviendra de me rendre plus de justice dans vos propos, dans vos lettres et dans votre cœur, vous retrouverez le mien.
     Personne ne peut vous assurer du moment où il convient au gouvernement anglais de payer les pensions ; ainsi il est beaucoup plus sage de monter votre dépense sur ce que vous aurez reçu, que sur ce que vous aurez à recevoir, qui ne peut pas manquer, mais qui peut éprouver des retards. Quand à moi, je ne perds pas un instant à vous faire passer ce qui vous revient dès que je le reçois.
    C'est tout ce que je puis faire. »

    <o:p> </o:p>40. Enghien à Bourbon.22 août 1802.
    « Mais ce qui m'a fâché, c'est, qu'à mon arrivée, je n'ai point trouvé de vos lettres. J'attendais les premières avec impatience, pour savoir si vous étiez content de la manière dont j'avais répondu à mon grand-père. J'en ai trouvé deux de lui : elles sont de glace l'une et l'autre. J'en suis fâché, mais je vois bien que son cœur est absolument fermé à la sensibilité ; et il n'y a malheureusement que trop longtemps que je m'en étais aperçu pour ce qui me regarde. Il me dit que je persiste à lui créer des torts. Hélas ! Je serais trop heureux s'il avait toujours été bon avec moi ; mais les faits parlent. Il se repent de n'avoir pas usé des droits que lui donnait sur moi l'autorité paternelle et militaire. Eh ! Bon Dieu ! Dans quelle occasion aurait-il pu s'en servir avec moi, qui pendant dix années consécutives ne me suis jamais écarté du cercle qu'il m'avait prescrit, l'a suivi partout et l'ai servi de mon mieux. Cette phrase de sa lettre est une triste récompense des soins continuels que je n'ai cessé de lui donner pendant ces dix années. Combien de fois ne m'a-t-il pas dit : Je veux ; et moi, ai-je jamais dit : Je ne veux pas ? J'ai représenté, prié, sollicité, mais j'ai toujours fini par obéir, même à ce qui me contrariait le plus. Au reste, il ne s'agit plus aujourd'hui de tout cela, et, Dieu merci, mon cœur et ma conscience me rassurent sur ma conduite passée.
    Je vous écris en hâte, cher papa, voulant que mon paquet parte par la poste d'aujourd'hui, afin d'accuser à mon grand-père la réception de sa lettre de change, qui m'attend ici depuis plusieurs jours. En vérité, je ne sais plus comment lui écrire ; ma plume se refuse à des expressions de tendresse que, malgré moi, il a peu à peu extirpées de mon cœur. Je veux lui marquer respect, soumission ; je ne sais plus comment arranger mes lettres. Il vous montre sans doute celles qu'il m'écrit : comment y répondre bien et sans mentir ? Je me désole, quand je pense à ce bonheur dont il pourrait jouir, et moi aussi, s'il l'avait voulu ; car que peut-il y avoir de plus heureux que la paix intérieure, la confiance mutuelle, les soins d'un petit-fils qui eût mis son bonheur à les lui prodiguer, si, dans toute occasion, il ne lui eût pas montré qu'ils étaient pour lui gênant ou désagréables, s'il n'en avait pas fait un étranger dans sa maison ? Enfin, il n'y faut plus penser ; il faut jouir de ce que l'on possède et ne pas regretter ce qui ne peut plus être. »

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>41. Enghien à Bourbon.21 septembre 1802.
    « Je n'ai point de lettres de vous, cher papa, depuis celle où vous me reprochâtes la trop grande franchise que j'avais mise dans une que j'eus le tort d'écrire à mon grand-père. J'ai reconnu ma faute ; je vous en ai demandé pardon ; je l'ai réparée du mieux que j'ai pu vis-à-vis de lui. Je vous demandais avec empressement de me faire savoir si vous étiez content de moi ; et, depuis ce temps, nulle nouvelle de vous. Voilà cependant plus de trois grands mois, et bientôt quatre. Je serais inconsolable de vous avoir déplu, et que votre silence fût une sévère punition d'une faute commise à l'égard d'un autre. Daignez me rassurer, cher papa ; daignez me rendre vos bontés : mon cœur en a besoin. Je dis plus : ce serait une injustice que de lui refuser plus longtemps. N'ayant point de défenseurs auprès de vous, on aggrave peut-être mes torts ; on en suppose : bien des gens en sont capables. Songez que, ne pouvant me défendre, vous ne me pouvez juger, et qu'il faut entendre les deux parties, si l'on veut être intègre dans son jugement. Daignez donc suspendre le vôtre ; daignez être mon avocat dans l'occasion et parler en ma faveur. »

    <o:p> </o:p>42. Condé à Enghien.31 octobre 1802.
    « Je suis trop franc pour ne pas vous dire que, tant que vous continuerez à taxer de sévérité la juste sensibilité que me font éprouver les fausses imputations que vous vous êtes permises dans vos lettres, tant que vous ne me marquerez de regrets que de n'avoir pas renfermé dans votre cœur quelques expressions ». Vous me prouverez que le même m'accuse toujours injustement. Je ne pourrai donc me livrer à la tendresse que le mien était si porté à avoir pour vous, que quand vous aurez senti, avoué et réparé vos torts d'une manière franche et positive, qui puisse me persuader que votre conduite future vis-à-vis de moi ne portera plus la douleur dans le fond de mon âme juste, sensible, et qui n'a pas le plus petit reproche à se faire.
    Outre le peu de penchant que je vous connais à suivre mes conseils, tout ce qui se passe est trop embrouillé pour que je me permette de vous en donner. Je ne dis pas que si, contre toute apparence, il se présentait quelqu 'occasion, l'intérêt que je prends à mon sang ne me portât à vous mander ce que nous penserions, votre père et moi, que vous ayez à faire.
    Il n'est nullement question que je retourne sur le continent. »

    <o:p> </o:p>43. Enghien à Bourbon.17 mars 1803.
    « J'ai reçu exactement les deux envois, que mon grand-père m'a faits, de lettres de change de ma pension. Il me traite encore bien sévèrement, et ne daigne pas m'ajouter un mot de bonté. Cette retenu lui doit  faire presque autant de mal qu'à moi. Suivant vos ordres, j'y mets toute la douceur possible ; je ne me permets aucune plainte, et j'attends du temps qu'il me rende des bontés desquelles je ne me suis jamais rendu indigne. Je lui ai écrit en détail, deux jours après la mort du cardinal, en lui en rendant compte. Le malheur poursuit une personne qui m'est bien chère : elle vient encore de perdre Mme de Marsan, qui l'avait toujours comblée de bontés et qu'elle aimait beaucoup par cette raison. Ces deux pertes coup sur coup, jointe à la grippe épidermique qui règne dans nos contrées, ont donné une cruelle secousse à sa santé. Elle a besoin du printemps et de la dissipation que ramènent naturellement les beaux jours, pour se remettre. Ne pouvant s'éloigner d'ici, où les affaires de succession vont la retenir tout l'été, elle cherchera une campagne dans les environs. Moi, je resterai encore. Le margrave vient de m'accorder à peu près la totalité des anciennes chasses du cardinal, un peu pour me retenir dans ses états, où je crois qu'il n'est pas fâché que je mange mon revenu. Je n'en suis pas moins reconnaissant de son attention pour moi. Cet arrondissement me fait un canton charmant ; je vous y regrette, cher papa. Vous vous plairiez à chasser avec mes chiens. Nous faisons ici de petites chasses à courre en miniature, qui sont charmantes.
    Je pense que peut-être vous serez pour quelque chose dans le testament de Mme de Marsan, qu'elle a eu tout le temps de faire très en règle. Vous savez qu'elle venait de rentrer dans tous ses biens de Brabant, qu'elle était en train de vendre ; mais qu'elle n'a pas eu le temps d'achever cette louable entreprise, de sorte qu'il est fort à craindre que la grande nation ne vienne à la traverse aujourd'hui, et apporte des lenteurs aux affaires par ses éternelles et insatiables prétentions. Cette mort aura fait bien de la peine au Roi. »

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  • Annonce du décès du cardinal de Rohan au prince de Condé.

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    44. Enghien à Condé.18 février 1803.
    « Nous avons été ici, tous ces jours, bien agités par de fortes sensations, non pas personnelles, mais relatives à l'être que j'aime. Le cardinal de Rohan vient de succomber à une maladie nerveuse et inflammatoire, en neuf jours de temps. L'étoile du margrave n'a pas même permis qu'il eût la peine d'avoir à décider de son sort à venir. Le cardinal a fait une belle fin ; il a rempli les devoirs d'un bon chrétien, est mort avec toute sa connaissance, et nous a réellement édifiés : vous en serez étonné autant que je l'ai été moi-même. Sa fin a été déchirante pour la princesse Charlotte. Il a été deux jours avec la gangrène dans les poumons, par conséquent sans aucun espoir, et ne se doutant pas de son état, croyant même qu'il était mieux et le disant. Vous jugez de ce qu'a eu à souffrir le cœur sensible de cette malheureuse : elle vous aurait touché, si vous en aviez été témoin. Malade elle-même d'un gros rhume (maladie épidermique qui règne en ce moment), elle n'a voulu quitter son chevet ni jour ni nuit. Le cardinal a dicté ses dernières volontés et les a remises entre les mains de la justice, cachetées. J'ai su, par l'indiscrétion du secrétaire, qu'elles étaient toutes en faveur de la princesse, et vous pouvez juger de mon bonheur de la voir enfin tirée de la position gênée où elle se trouve depuis si longtemps, et tout à coup dans l'aisance. De plus, son père s'étant décidé, pour assurer un sort à ses enfants, de faire sa soumission, a été rayé tout de suite et va jouir d'une fortune honnête. Il cherchera à réaliser le tiers qui appartient, par les lois de la République, à sa fille, et l'autre tiers, s'il se décide à faire sortir sa seconde fille, afin de leur assurer ces deux parts en pays étranger ; ce qui fait qu'elles auront à l'avenir une jolie fortune, et, à la mort du père, rentrant dans les bois, elles seront fort riches. Vous comprendrez, cher papa, facilement combien cette certitude me fait plaisir, moi qui les ai vues si longtemps avec la perspective de mourir de faim d'un jour à l'autre. »

    <o:p>  </o:p>45. Enghien à Condé.28 février 1803.
    « J'ai été aujourd'hui à un service pour le repos de l'âme du cardinal. Il en a été chanté un très solennel à Strasbourg, auquel a assisté l'évêque nouveau. Le deuil était représenté par des bourgeois de la ville. Toute la cathédrale était tendue de noir, avec des trophées d'armoiries, comme ci-devant. J'ai été surpris que l'on ait osé faire cette cérémonie. On attend toujours les héritiers naturels pour l'ouverture du testament. »

    <o:p> </o:p>Les allusions de la famille de Condé au sujet de l'escapade du duc d'Enghien à Paris ou  à Strasbourg. (En 1802).

      46. Condé à Enghien.16 juin 1803.
    « On assure ici, depuis plus de six mois, que vous avez été faire un voyage à Paris ; d'autres disent que vous n'avez été qu'à Strasbourg. Il faut convenir que c'était un peu inutilement risquer votre vie et votre liberté ; car, pour vos principes, je suis très tranquille de ce côté-là ; ils sont aussi profondément gravés dans votre cœur que dans les nôtres. Il me semble qu'à présent vous pourriez nous confier le passé, et, si la chose est vraie, ce que vous avez observé dans vos voyages.
    À propos de votre santé, qui nous est si chère à tant de titres, je vous ai mandé, il est vrai, que la position où vous êtes pouvait être très utile, à beaucoup d'égards : mais vous êtes bien près ; prenez garde à vous, et ne négligez aucune précaution pour être averti à temps, et à faire votre retraite en sûreté, au cas qu'il passât par la tête du Consul de vous faire enlever. N'allez pas croire qu'il y ait du courage à tout braver à cet égard : ce ne serait qu'une imprudence impardonnable aux yeux de tout l'univers, et qui ne pourrait avoir que les suites les plus affreuses. Ainsi je vous le répète, prenez garde à vous, et rassurez-nous en nous répondant que vous sentez parfaitement ce que je vous demande, et que nous pouvons être tranquilles sur les précautions que vous prenez. Je vous embrasse. »

    <o:p>  </o:p>47. Enghien à Condé.18 juillet 1803.
    « ASSUREMENT, mon cher papa, il faut me connaître bien peu pour avoir pu dire ou chercher à faire croire que j'avais mis le pied sur le territoire républicain, autrement qu'avec le rang et à la place où le hasard m'a fait naître. Je suis trop fier pour courber bassement ma tête ; et le Premier Consul pourra peut-être venir à bout de me détruire, mais il ne me fera pas m'humilier. On peut prendre l'incognito pour voyager dans les glaciers de Suisse, comme je l'ai fait l'an passé, n'ayant rien de mieux à faire ; mais en France, quand j'en ferai le voyage, je n'aurai pas besoin de m'y cacher. Je puis donc vous donner ma parole d'honneur la plus sacrée que pareille idée ne m'est jamais entrée et ne m'entrera jamais dans la tête. Des méchants ont pu désirer, en vous racontant ces absurdités, me donner un tort de plus à vos yeux. Je suis accoutumé à de pareils services, que l'on s'est toujours empressé de me rendre, et je suis trop heureux qu'ils soient enfin réduits à employer des calomnies aussi absurdes.
     Je vous embrasse, cher papa, et vous prie de ne jamais douter de mon profond respect, comme de ma tendresse.
    L.A.H de Bourbon. »

    <o:p> </o:p>48. Condé à Enghien.31 août 1803.
    « Ni le public, ni moi, n'avons jamais pensé que vous eussiez pu vous avilir, au point d'aller faire votre cour à notre ennemi ; Mais on a cru que vous pouvez avoir fait la légèreté (car les jeunes princes ne sont pas plus à l'abri de ce soupçon que tous les gens) d'aller incognito voir les choses de près, pour prendre des moyens plus sûrs contre ceux qui les font. Voilà ce que l'on croyait ; et monsieur m'en ayant parlé plusieurs fois sans la plus petite aigreur, mais ayant l'air de croire à ce bruit, puisqu'il se soutenait autant, quoi que votre père et moi nous pussions faire pour le décréditer, j'ai pris le parti de m'en éclaircir avec vous. Si c'est un tort, je l'accepte de tout mon cœur ; et je recommencerais à me conduire de même, s'il s'en présentait une autre occasion. Il n'y a là, mon cher enfant, ni torts ni calomnies. Soyez plus juste une autre fois, ou écrivez qu'à votre père : lui et moi nous ne faisons qu'un. »

    <o:p> </o:p>Les inquiétudes sur un possible enlèvement du prince à Ettenheim, ainsi que les premiers soupçons qui pèsent sur lui.

    <o:p>  </o:p>49. Enghien à Condé.22 septembre 1803.
    « Quelques lettres de France m'ont aussi témoigné quelque inquiétude sur mon séjour si rapproché. Vous savez qu'il est difficile de prendre des précautions sûres contre une trahison, et qu'il est facile d'ajuster un coup de carabine. Ainsi ceci m'occupe peu. Quand à un enlèvement, sous prétexte d'aimer beaucoup la chasse, il est rare que je sorte de la ville, sans être deux ou trois, chacun avec un fusil à deux coups. Je ne vais du reste seul nulle part. Je suis trop vieux pour courir les filles. Ainsi vous voyez que les occasions de m'avoir à bon marché doivent être rares ; et, si quelqu'un de suspect passait le Rhin en face d'ici, je crois que je serais prévenu. »

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>50. Instruction pour Briq.19 novembre 1803.
    « M Drake étant le centre de toutes ces manœuvres à Munich, vous pourrez là en pénétrer quelques parties, et donner des renseignements sur le séjour du duc d'Enghien à Ettenheim, où il a bureaux, et entretient correspondances avec le parti. Vous correspondrez avec le ministre régulièrement, aux adresses et suivant les formes et les moyens dont il sera convenu avec vous. Avoir une personne sur la rive droite, dont on soit sur et à laquelle on adressera les lettres de Munich. Cette personne sera chargée de les mettre à la poste sur la rive gauche, à Strasbourg, ou dans une autre petite ville, à l'adresse de M Darbois, négociant, près l'arcade de l'Odéon. »
    <o:p> </o:p>*On remarque dans cette lettre, que la police, sans donner au duc d'Enghien une attention particulière, ne l'avait pas perdu de vue. Les journaux le citaient très rarement ; cependant on lisait, par exemple, dans ‘' le Journal des Débats '' du 23 novembre 1803 :
    « Le duc d'Enghien, qui continue de résider avec une suite peu nombreuse au château d'Ettenheim, dans l'électorat, a été sur le point de quitter ce séjour pour se rendre auprès du prince de Condé, son grand-père ; mais il vient de changer tout à coup de résolution, et reste à Ettenheim, où il vit d'une manière fort retirée. »
    <o:p> </o:p>51. Condé à Enghien.4 décembre 1803.
    « Toutes les nouvelles du continent paraissent confirmer cette conjoncture. Dans le cas où vous la jugeriez prête à se réaliser, je vous recommande plus que jamais de commencer par mettre votre personne en sûreté ; après quoi, les circonstances, et peut-être des ordres du Roi, décideront du parti que vous aurez à prendre. Vous auriez sûrement de nos nouvelles alors. »

    <o:p>  </o:p>52. Réal à Shée.1 mars 1804.
    « Je vous recommande, citoyen préfet, d'ordonner de suite les dispositions nécessaires pour savoir si le ci-devant duc d'Enghien est toujours à Ettenheim. Les informations que vous ferez prendre doivent être promptes et sûres, et il importe que j'en connaisse les résultats sans le moindre retard. Dans le cas où il ne serait plus dans cette ville, vous m'en informerez sur le champ par un courrier extraordinaire, et vous m'indiquerez en même temps l'époque précise où il a cessé d'y paraître, quelle route il a prise, et à quelle destination, l'on croit qu'il s'est rendu. » »
    <o:p> </o:p>* On remarque que par ce courrier, que l'on commence à s'intéresser au duc d'Enghien, ainsi qu'à touts ses déplacements.

    <o:p>  </o:p>53. Enghien à Vauborel.9 mars 1804.
    « Je connais, mon cher général, les mesures qui ont été prises pour espionner les pensionnés anglais et particulièrement ma personne. Je suis averti depuis longtemps ; mais je vous avoue que la crainte de rencontrer un gueux soudoyé ne me fera jamais faire un pas de plus ou de moins, et je ne suis pas fâché, si l'on a cru à propos d'ouvrir mes lettres, que l'on y ait reconnu ma façon de voir et de penser, et la désapprobation continuelle que j'ai toujours donnée à des mesures en dessous et indignes de la cause que nous servons ; mesures qui ont déjà fait tant de mal. Au reste, j'espère que les arrestations qui viennent d'avoir lieu en France vont tout naturellement débarrasser la bonne cause d'un tas de demis convertis qui n'y pouvaient que faire grand tort.»

    <o:p> </o:p>Interrogatoire de Georges Cadoudal du 9 mars 1804.

    Dubois : Quel est le motif qui vous a amené à Paris ?
    R : J'y suis venu dans l'intention d'attaquer le Premier Consul.
    Dubois : Quels étaient vos moyens d'attaque ?
    R : L'attaque devait être de vive force.
    Dubois : Où comptiez-vous trouver cette force-là ?
    R : Dans toute la France.
    Dubois : Il y a donc dans toute la France une force organisée à votre disposition et à celle de vos complices ?
    R : Ce n'est pas ce qu'on doit entendre par la force dont j'ai parlé ci-dessus.
    Dubois : Que faut-il donc entendre par la force dont j'ai parlez ?
    R : Une réunion de force à Paris.
    Dubois : Où cette réunion existe-t-elle ?
    R : Cette réunion n'est pas encore organisée : elle l'eût été aussitôt que l'attaque aurait été définitivement résolue.
    Dubois : Quel était donc votre projet et celui des conjurés ?
    R : De mettre un Bourbon à la place du Premier Consul.
    Dubois : Quel était le Bourbon désigné ?
    R : Charles-Xavier-Stanislas, ci-devant monsieur, reconnu par nous pour Louis XVIII.
    Dubois : Quel rôle deviez-vous jouer lors de l'attaque ?
    R : Celui qu'un des ci-devant princes français, qui devait se trouver à Paris, m'aurait assigné.
    <o:p> </o:p>Dubois : Le plan a donc été conçu et devait donc être exécuté d'accord avec les ci-devant princes français ?
    R : Oui, citoyen juge.
    Dubois : Vous avez donc conféré avec ces ci-devant princes en Angleterre ?
    R : Oui, citoyen.
    <o:p> </o:p>*Voici donc l'une des déclarations qui poussa le Premier Consul de conclure qu'il pouvait s'agir du duc d'Enghien, que l'on attendait à Paris.
    Dans un premier interrogatoire, subi un peu auparavant devant le préfet de police Dubois, Georges venait de dire : « Je ne devais attaquer le Premier Consul que lorsqu'il y aurait un prince à Paris, et il n'y est point encore ».

      54. Déclaration de Léridant.10 mars 1804.
    « J'ai entendu dire qu'il y avait un jeune prince en France ; je ne puis indiquer les personnes qui me l'on dit, ni si elles sont au nombre de celles que l'on pourrait inculper dans la conspiration.
    J'ai su de Georges qu'il voulait rétablir les Bourbons sur le trône ; mais jamais il ne m'a parlé des moyens.....
    Léridant nous a aussi assuré qu'il avait souvent entendu parler qu'on attendait un prince. Qu'il avait vu venir chez Georges, à Chaillot, un jeune homme, qui avait environs son âge, qui était très bien vêtu et très intéressant de figure ; qu'il avait une manière très distinguée. Qu'ayant entendu parler de prince, et ne lui disant ce qu'était ce jeune homme, il pensait qu'il était possible que ce fût ce prince dont il avait entendu parler... »

    <o:p>  </o:p>55. Lamothe, maréchal des logis.5 mars 1804.
    Le préfet du Bas-Rhin, chargé par lettre du 1er mars, de vérifier avec certitude et célérité si le duc d'Enghien était encore à Ettenheim, a répondu le 5 mars, en envoyant le rapport suivant.
    <o:p> </o:p>« -Renseignement pris à Ettenheim sur l'existence du ci-devant duc d'Enghien, par moi soussigné maréchal des logis de gendarmerie nationale, faisant le service de quartier maître dans la compagnie du département du Bas-Rhin.
    <o:p> </o:p>-Parti de Strasbourg le 4 mars, vers cinq heures et demie du soir, pour me rendre à Ettenheim, je me suis arrêté à Kappel, où, parlant avec le maître de poste et deux autres particuliers, j'ai appris que le ci-devant duc d'Enghien était encore à Ettenheim avec l'ex-général Dumouriez et un colonel nommé Grünstein récemment arrivé de Londres ; et l'on m'a assuré qu'on parlait, il y a quelque temps, d'un voyage que le duc d'Enghien devait faire en Angleterre, mais que maintenant il n'en était pas question.
    Arrivé à Ettenheim, l'on m'a confirmé audit lieu la présence de l'ex-duc d'Enghien, du général Dumouriez et du colonel Grünstein, ce dernier venant depuis peu d'Angleterre ; l'on m'a parlé d'un individu désigné le lieutenant Schmitt, arrivé également d'Angleterre après le colonel Grünstein. L'on m'a dit que l'ex-duc était journellement occupé à la chasse ; qu'il logeait dans une maison particulière ; qu'il avait un secrétaire qu'on dit français, sans qu'on ait pu me décliner son nom ; que Dumouriez, le colonel Grünstein et le lieutenant Schmitt logeaient chacun particulièrement.
    La correspondance de l'ex-duc est depuis quelque temps beaucoup plus active : il a reçu divers courriers d'Offenburg et de Freiburg, et en a envoyé dans les mêmes lieux. Son domestique n'est pas considérable. Il paraît très aimé à Ettenheim et dans les environs.
    L'on m'a parlé à Ettenheim d'un voyage que le duc devait faire à Freiburg, sans qu'on ait pu m'en désigner l'époque ; mais il n'a nullement été question du voyage d'Angleterre, dont on m'avait parlé à Kappel. Arrivé de nuit à Ettenheim et n'étant chargé que de m'informer si l'ex-duc d'Enghien y était ou non, et dans ce dernier cas, d'apprendre la route qu'il avait tenue et le lieu où il devait se rendre, le temps ne m'a pas permis de recueillir de plus amples renseignements.
    Parti d'Ettenheim à cinq heures et demie du matin, j'ai été rendu vers neuf heures à Offenburg, où j'ai pris divers renseignements. L'on m'a appris qu'il se trouvait en cette ville une grande quantité d'émigrés français. M'étant informé des plus marquants, on m'a désigné les nommés Milet frères, Mauroy et Lazolais, officiers généraux, ce dernier cordon rouge. L'on m'a assuré qu'en général ces émigrés, qui faisaient beaucoup de dépense à Offenburg, paraissaient être soldés par l'Angleterre.
    Dans les différents endroits où je me suis arrêté, les habitants de l'électorat de Baden, avec lesquels j'ai lié conversation, m'ont tous manifesté l'espoir d'un changement qu'ils regardaient comme certains dans le gouvernement français, et la plupart m'ont paru attaché aux intérêts de l'ex-duc d'Enghien et à ceux des émigrés français réfugiés à Offenburg. »

    <o:p>  </o:p>56. F. Desportes à Réal.12 mars 1804.
    « J'ai reçu la lettre confidentielle que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser pour m'inviter à vous transmettre, dans le plus court délai, l'état de tous les émigrés qui sont à Freiburg, avec toutes les indications propres à les faire distinguer. Comme je n'avais aucune notion précise à cet égard, je viens de faire partir pour Freiburg un homme sûr et intelligent, qui, d'après les instructions que je lui ai données, est chargé de dresser un état nominatif de tous les émigrés qui sont à Freiburg et dans les environs, et de recueillir tous les renseignements qu'il pourra se procurer sur leurs conduites, leurs démarches, leurs dispositions, leurs correspondances, enfin sur les sentiments qu'ils ont manifestés lorsqu'ils ont appris la découverte du complot dirigé contre la personne du Premier Consul et la sûreté de l'Etat. Je lui ai recommandé en même temps de prendre des informations sur la petite cour d'Ettenheim, où l'on m'assure que se trouve le duc d'Enghien.
    Comme cet agent secret a des relations et des intelligences dans le Brisgau, j'ai lieu d'espérer que sa mission ne sera point infructueuse. S'il remplit mon attente, je continuerai à l'employer toutes les fois que vous le jugerez convenable. Sous très peu de jours, j'aurai l'honneur de vous informer avec exactitude du résultat de ce premier voyage ; mais je dois vous faire observer, citoyen conseiller d'État, que pour établir avec la rive droite une correspondance habituelle de ce genre, il me faudrait des moyens pécuniaires qui ne sont point à ma disposition.
    Quand aux agents, je les trouverai sans peine. »

    <o:p>  </o:p>57. Condé à Enghien.26 mars 1804.
    « Quoique vous ne soyez pour rien dans tout ce qui vient de se faire, je vous avoue que je suis inquiet, en ce moment, de votre position trop rapprochée de la France. Je désirerais que vous fussiez un peu plus enfoncé dans l'Allemagne : vous seriez de même à portée de tout dans l'occasion, et vous seriez plus en sûreté. Je vois qu'il vous en coûterait de quitter un lieu où vous vous plaisez ; mais songez que nous avons affaire à un homme capable de tout, et que la première des considérations est de ne pas devenir sa victime, inutilement et même dangereusement pour la cause. Choisissez, croyez-moi, quelque ville un peu plus loin, plus habitée et où il y ait garnison, si cela est possible. En attendant qu'on ait besoin de votre courage, je vous exhorte à la prudence, et je dois m'en rapporter à la tendresse que vous nous avez. »

    <o:p> </o:p>Les ordres du Premier Consul pour l'arrestation du prince.

    <o:p>  </o:p>58. Le Premier Consul à Berthier.10 mars 1804 au soir.
    « Vous voudrez bien, citoyen ministre, donner ordre au général Ordener, que je mets, à cet effet, à votre disposition, de se rendre dans la nuit, en poste, à Strasbourg. Il voyagera sous un autre nom que le sien ; il verra le général de la division.
    Le but de sa mission est de se porter sur Ettenheim, de cerner la ville, d'y enlever le duc d'Enghien, Dumouriez, un colonel anglais et tout autre individu qui serait à leur suite. Le général de division, le maréchal des logis de gendarmerie qui a été reconnaître Ettenheim, ainsi que le commissaire de police, lui donneront tous les renseignements nécessaires.
    Vous ordonnerez au général Ordener de faire partir de Schlettstadt 300 hommes du 26° de dragons, qui se rendront à Rheinau, où ils arriveront à huit heures du soir. Le commandant de la division enverra quinze pontonniers à Rheinau, qui y arriveront également à huit heures du soir, et qui, à cet effet, partiront en poste ou sur les chevaux de l'artillerie légère. Indépendamment du bac, il se sera assuré qu'il y ait là quatre ou cinq grands bateaux, de manière à pouvoir passer d'un seul voyage les 300 chevaux.
    Les troupes prendront du pain pour quatre jours, et se muniront de cartouches. Le général de division y joindra un officier de gendarmerie et une trentaine de gendarmes.
    Dès que le général Ordener aura passé le Rhin, il se dirigera droit vers Ettenheim, marchera droit à la maison du duc et à celle de Dumouriez. Après cette expédition terminée, il fera son retour sur Strasbourg. En passant à Lunéville, le général Ordener donnera ordre que l'officier de carabiniers qui a commandé le dépôt à Ettenheim se rende à Strasbourg en poste pour y attendre ses ordres.
    Le général Ordener, arrivé à Strasbourg, fera partir bien secrètement deux agents, soit civils, soit militaires, et s'entendra avec eux pour qu'ils viennent à sa rencontre.
    Vous donnerez ordre que, le même jour et à la même heure, 200 hommes du 26° de dragons, sous les ordres du général Caulaincourt, auquel vous donnerez des ordres en conséquence, se rendent à Offenburg, pour y cerner la ville et arrêter la baronne de Reich, si elle n'a été prise à Strasbourg, et autres agents du gouvernement anglais dont le préfet et citoyen Méhée, actuellement à Strasbourg, lui donneront les renseignements.
    D'Offenburg, le général Caulaincourt dirigera des patrouilles sur Ettenheim, jusqu'à ce qu'il ait appris que le général Ordener a réussi. Ils se prêteront des secours mutuels.
    Dans le même temps, le général de division fera passer 300 hommes de cavalerie à Kehl, avec quatre pièces d'artillerie légère, et enverra un poste de cavalerie légère à Willsttet, point intermédiaire entre les deux routes.
    Les deux généraux auront soin que la plus grande discipline règne ; que les troupes n'exigent rien des habitants. Vous leur ferez donner, à cet effet, 12 000fr.
    S'il arrivait qu'ils ne pussent pas remplir leur mission, et qu'ils eussent l'espoir, en séjournant trois ou quatre jours et en faisant faire des patrouilles, de réussir, ils sont autorisés à le faire.
    Ils feront connaître aux baillis des deux villes que, s'ils continuent à donner asile aux ennemis de la France, ils s'attireront de grands malheurs.
    Vous ordonnerez que le commandant de Neu-Breisach fasse passer 100 hommes sur la rive droite, avec deux pièces de canon. Les postes de Kehl, ainsi que ceux de la rive droite, seront évacués dès l'instant que les deux détachements auront fait leur retour.
    Le général Caulaincourt aura avec lui une trentaine de gendarmes. Du reste, le général Caulaincourt, le général Ordener et le général de division tiendront un conseil et feront les changements qu'ils croiront convenables aux présentes dispositions.
     S'il arrivait qu'il y eût plus à Ettenheim ni Dumouriez ni le duc d'Enghien, on rendrait compte, par un courrier extraordinaire, de l'état des choses, et l'on attendrait de nouveaux ordres.
    Vous ordonnerez de faire arrêter le maître de poste de Kehl, et autres individus qui pourraient donner des renseignements.... »

    <o:p>  </o:p>59. Berthier à Leval.11 mars 1804.
    « Je vous préviens, citoyen général, que le général Ordener et le général Caulaincourt se rendent à Strasbourg pour des missions très importantes. Je vous ordonne, sous votre propre responsabilité, d'adhérer à toutes les demandes qui vous seront faites par le général Ordener et le général Caulaincourt, à l'effet de remplir la mission dont ils sont chargés. Ils vous feront connaître leurs instructions en ce qui vous concerne. Vous prescrirez à l'ordonnateur d'adhérer également à toutes les demandes qu'ils feront pour les vivres. Vous donnerez les ordres pour les mouvements des troupes, pour l'artillerie et les bateaux. »

    <o:p>  </o:p>60. Talleyrand à Edelsheim.11 mars 1804.
    « Je venais de vous adresser une note dont l'objet était de demander l'arrestation du comité d'émigrés français à Offenburg, lorsque le Premier Consul, par l'arrestation successive des brigands que le gouvernement Anglais a vomis en France, ainsi que par la marche et les résultats des procédures qui s'instruisent ici, a connu toute la part que les agents Anglais d'Offenburg avaient aux horribles complots tramé contre sa personne et contre la sûreté de la France. Il a appris également que le duc d'Enghien et le général Dumouriez étaient à Ettenheim ; et comme il est impossible qu'ils se trouvent dans cette ville sans sa permission de son Altesse Electorale, le Premier Consul  n'a pu voir, sans la plus profonde douleur, qu'un prince auquel il s'était plu à faire ressentir les effets les plus spéciaux de l'amitié de la France, ait pu donner refuge à ses plus cruels ennemis et les ait laissés tramer paisiblement des conspirations aussi inouïes.
    Dans cette circonstance extraordinaire, le Premier Consul a cru devoir ordonner à deux petits détachements de se porter à Offenburg et à Ettenheim pour y saisir les investigateurs d'un crime qui, par sa nature, met hors du droit des gens tous ceux qui sont convaincus d'y avoir pris part.
    C'est le général Caulaincourt qui est chargé à cet égard des ordres du Premier Consul. Vous ne pouvez pas douter qu'il me mette dans leur exécution tous les égards que peut désirer son Altesse Electorale. Ce sera lui qui aura l'honneur de faire parvenir à Votre Excellence la lettre que j'ai été chargé de lui écrire. »

    <o:p> </o:p>La patience demandée au duc d'Enghien pour un futur emploi qui ne serait pas tardé.

    <o:p>  </o:p>61. Condé à Enghien.28 février 1802.
    « Loin d'être d'un avis, dont vous n'étiez pas vous-même, il y a trois ans, puisque vous me marquiez de l'impatience de vous réunir à nous. Je persiste plus que jamais à penser que, pendant la paix surtout, vous ne devez entrer au service d'aucune puissance. À quoi bon ? Pour aller passer votre vie dans une garnison, à faire pirouetter des soldats ! En vérité ! Cela n'est pas fait pour vous, et jamais aucun des Bourbons, passés ou présents, n'a pris ce parti. Toutes les Révolutions du monde n'empêcheront pas, quoi qu'on puisse vous dire, que vous ne restiez jusqu'à la fin de votre vie ce que Dieu seul vous a fait. C'est ce qu'il faut bien vous mettre dans la tête, pour ne jamais vous conduire qu'en conséquence de cette vérité, que la perte de votre fortune ne changera jamais. »
    « Et vous voyez, par la manière dont ce gouvernement nous a traités depuis, qu'il ne m'en a pas su mauvais gré. Pendant toute ma vie, j'ai passé avec raison pour avoir le goût du militaire : eh bien ! Les circonstances m'ont forcé d'être vingt huit ans sans faire la guerre. Je n'en ai pas moins joui de tout le bonheur possible, et la considération qu'on voulait bien accorder à mes premiers succès dans les six campagnes que j'avais faites dans ma jeunesse.
    Vos cousins, les Orléans, tous plus jeunes que vous et qui sont revenus au parti du Roi, pensent-ils à s'attacher à quelque service ? Non ; ils attendent patiemment la guerre, pour la faire selon les circonstances ; et c'est ainsi que vous devez faire vous-même, étant bien sûr, par ce que vous avez fait, d'avoir beaucoup plus d'avantages que qui que ce soit de vos contemporains quand vous la recommencerez.  Mais comme on ne peut pas faire la guerre pour vous seul, il faut savoir attendre. D'ailleurs, il faudra voir les motifs et la tournure de cette guerre, et ce serait vous compromettre de la manière la plus folle, que de vous attacher, pendant la paix, à une puissance que la politique rendrait peut-être l'alliée des rebelles de la France, et de vous exposer à combattre contre la cause de votre Roi., contre vos droits, contre tous vos parents qui se réuniraient à d'autres puissances que cette même politique rendrait les ennemies des vôtres. Ne faites pas cette sottise, au nom de Dieu : vous ne vous en relèveriez jamais et (sans avoir assurément personne en vue), méfiez-vous de ceux qui voudraient vous donner un genre d'ambition déplacé, uniquement pour servir la leur. À toutes ces raisons, il s'en joint encore une, qui sans contredit est la dernière de toutes : mais soyez sûr, que si vous entrez au service d'une puissance, l'Angleterre ne vous paiera plus de pension, et que jamais vous n'en aurez l'équivalent d'aucune autre. »

    <o:p>  </o:p>62. Enghien à Condé.30 avril 1802.
    « Quand à ma pension de l'Angleterre, je suis persuadé qu'avec l'agrément de cette puissance, en la prévenant d'avance, en sollicitant son consentement, il se trouverait, peut-être pas à l'instant même, mais dans des temps plus heureux et prochains peut-être, des cas où je pourrais conserver le traitement qui m'a été assigné, lorsque je serais placé chez une puissance neutre ou alliée. Le temps seul peut éclaircir cet article intéressant. Vous paraissez craindre que je prenne un parti sur le champ. C'est toujours d'après cette idée que vous me parlez ; et pourtant dans mes lettres je ne vous ai jamais demandé que des avis, des conseils ; J'ai voulu connaître votre façon de voir, de penser. Daignez donc ne pas toujours soupçonner ma tête de prendre des partis exagérés ou faux ; daignez ne pas repousser ma confiance, ma tendresse ; parlez-moi en ami, en bon père, et non pas en juge sévère ou prévenu, et croyez alors à toute la déférence, à toute la soumission innée dans mon caractère, et que ma conduite, depuis que je suis sorti de l'enfance, a dû vous prouver. »

    <o:p>  </o:p>63. Enghien à Bourbon.25 octobre 1803.
    « Nous voici donc, cher papa, parvenus à la saison des grands événements. Les coups décisifs vont se porter, et loin de nous avoir crus dignes d'y prendre quelque part active, on n'a pas même jugé à propos d'acquiescer à notre désir. Je vous avoue que je suis au désespoir, et que je ne supporte pas l'idée de cette nullité absolue qui à chaque minute me devient plus insupportable. Je vous en conjure, au nom des sentiments de tendresse que vous m'avez toujours témoignés, faite quelque démarche en ma faveur auprès du gouvernement, auprès des ministres. Que l'on m'emploie à quelque chose ! L'Alsace et la Lorraine sont dénuées de troupes en ce moment ; l'esprit y est excellent. Pourquoi donc ne pas s'occuper d'une diversion, qui serait si utile ? »
    « Aussi, dans le fond de mon cœur, Dieu sait quelle est mon opinion sue elle. Mais peu importe ; il faut remplir son devoir, et j'en dois rechercher les occasions. Je ne vis point ici ; je grille d'impatience et de chagrin ; et d'un mot vous pourriez peut-être me rendre mon existence agréable, en me mettant à même de servir de tout mon pouvoir contre les ennemis de nos protecteurs et contre les miens propres. Si ce n'est le moment aujourd'hui, quand donc espérer que ce fortuné moment pourra venir ? Car quelle époque plus naturelle et plus favorable de nous employer pourra-t-elle arriver ? N'ayant pas une autre idée dans la tête, je ne me sens pas le courage de vous parler d'autre chose. Au reste, ma vie est ici si uniforme, chaque jour ressemble si parfaitement au jour passé, à celui qui va naître, que je ne saurais vous donner aucun détail intéressant sur mon intérieur. Mes désirs se portent sans cesse sur les jours de grande poste ; j'espère continuellement que je recevrai quelques ordres, quelques instructions ; mais, toujours déçu dans mon espoir, je me couche tristement, je m'arme autant que je suis de patience. Voici environs un mois que je n'ai eu de nouvelles de vos environs ; j'en espère à chaque courrier. Puissent-elles m'apporter quelque espoir prochain ! »
    « P.S. : Je n'ai autant appuyé dans cette lettre sur l'objet qui m'occupe, que parce que je sais qu'il existe par ici des individus plus heureux que moi. Comment est-il possible que nous ne soyons pas les premiers à recevoir ces marques de confiances, et que peut-on attendre d'indiscrets subalternes ? »

      64. Enghien à Bourbon.30 octobre 1803.
    « De la patience, nous dit-on ; mais pendant ce temps les forces républicaines vont toujours en croissant, et à force de patience, nous serons tout à fait écrasés sous les ruines de l'Europe. Aussi, je m'en réfère à ma dernière, cher papa. Si le gouvernement anglais veut faire un heureux, qu'il daigne m'employer activement contre la République française ; qu'il m'en donne du moins l'espérance ».

      65. Enghien à Ch. Stuart.15 février 1804.
    « C'est donc, monsieur, avec une entière confiance, que je vous répéterai ce que sans doute le général d'Ecquevilly vous a déjà communiqué de ma part. La nullité absolue dans laquelle je végète, tandis que la route de l'honneur se trouve ouverte à tant d'autres, me devient chaque jour plus insupportable. Je ne souhaite que de  donner à votre généreux gouvernement des preuves de ma reconnaissance et de mon zèle. J'ose espérer que les anglais me jugeront digne de combattre avec eux nos implacables ennemis, et me permettront de partager leurs périls et quelque portion de leur gloire.
    Absolument dénuée de tout intérêt particulier relatif à ma cause, ma demande n'a pour but qu'un grade dans votre armée ou une commission honorable. Elle diffère trop de celle qui, dans le temps, a été fait par les membres de ma famille résidant en Angleterre, pour que je ne conserve pas l'espoir fondé d'en obtenir un résultat plus heureux. Vous m'obligerez infiniment, monsieur, d'appuyer fortement sur cette différence. Il est sans doute de devoir sacré pour nous de servir jusqu'à la mort notre cause et notre Roi légitime ; mais c'en est un, bien pressant et bien cher à remplir pour moi, que de servir mes bienfaiteurs, et de leur marquer une reconnaissance aussi véritable que désintéressée. Ce désir existe depuis longtemps dans mon cœur et devient chaque jour plus ardent.
    Faites-moi donc, je vous prie, monsieur, le plaisir de m'éclairer confidentiellement sur les moyens que vous pensez devoir être les plus avantageux pour parvenir à mon but ;... »

    <o:p>  </o:p>66. Enghien à Bourbon.17 février 1804.
    « J'espère donc mon, cher papa,  que vous voudrez bien vous occuper de moi à cette occasion, et me faire employer à quelque chose dans le cour de l'année. Je ne vis pas, je végète dans cette attente. Vous ne m'avez jamais dit si, à ma prière, vous aviez parlé de moi aux ministres ou au Roi, et qu'elle avait été leur réponse.
    Daignez, cher papa, me servir de tout votre pouvoir, et ne pas vous contenter de quelques démarches insignifiantes, qui font supposer que l'on croit acquitter une dette en faisant la proposition. Ce sera bien réellement une joie parfaite pour moi que d'apprendre qu'enfin on me juge digne de me charger d'une commission quelconque. On assure qu'il se prépare pour ce printemps des expéditions intéressantes, dirigées contre l'ennemi commun. Ces expéditions n'éloignent pas du but auquel il est de devoir de tendre toujours. Mon vœu serait donc que le gouvernement anglais fût instruit de l'extrême désir, que j'ai, de partager le péril et la gloire que l'on y pourra trouver. Mon impatience devient chaque jour plus extrême : daignez donc, cher papa, vous occuper un peu de cette affaire........
    Trop jeune encore pour avoir d'autres idées, j'espère bien, cher papa, que vous ne désapprouverez pas de vouloir suivre, à toute force, la carrière pour laquelle je sens que suis né ; et, s'il faut renoncer à redevenir ce que j'étais, je crois avantageux de faire l'impossible pour acquérir de la considération, pendant que mon âge et ma santé me le permettent, dans la seule route qui me reste ouverte, celle de l'honneur. Et ce n'est pas à Ettenheim que j'y parviendrai, à moins que vous et mon grand-père vous ne soyez mes avocats pressants auprès de la seule puissance que je puis honorablement servir pour le moment présent. J'attendrai avec une grande impatience votre réponse à cet article de ma lettre. »

    <o:p> </o:p>L'avis du prince sur la conspiration de Pichegru au début de 1804. Son avis semble bien défavorable à ce type de manière d'opérer. La façon de penser du duc d'Enghien.

    <o:p>  </o:p>67. Enghien à Jacques.26 février 1804.
    « ... Voici encore une des œuvres de l'éternel Pichegru ! ... Conspiration ou non, le prétexte est pris et, à son ordinaire, il va faire des victimes, et rien de plus. Le pauvre Moreau se trouve englobé dans une affaire dont sans doute il n'avait nulle connaissance ; car je le crois trop loyal pour tremper dans toutes ces sottises ; mais le moment est bien pris pour se défaire d'un antagoniste inquiétant ....  Dieu veuille qu'il n'y en ait pas beaucoup d'autres, et que cette malheureuse histoire, comme toutes celles de ce genre, passées ou à venir, ne fasse grand tort au bon parti ! Jusqu'à présent, il paraît que le gouvernement sortira vainqueur de cette crise, si tant est que c'en soit une et que tout ceci ne soit pas supposé, chose que je ne sais ni ne désire savoir, car ces moyens ne sont pas de mon genre, etc. »

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>68. Artois à Condé.Printemps 1804.
    « J'ai été chez monsieur et lui ai communiqué les observations en question. Je lui ai dit que monsieur le prince avait désiré qu'elles lui fussent communiquées. Voici la substance de ce qu'il m'a dit :
    « Vous pouvez rapporter, comme particulier qui recueille tout ce qui se dit, que monsieur le duc d'Enghien n'avait aucune connaissance de ce qui se passait ; mais en donnant ses lettres à son grand père, il semblerait que monsieur le prince de Condé, monsieur le duc de Bourbon et moi, croyons avoir besoin de nous justifier. Il n'y a personne au monde qui n'ait aperçu que Buonaparte n'a pas même osé articuler un fait contre monsieur le duc d'Enghien, n'a pas osé produire un mot de lui qui le compromît. Monsieur le prince de Condé est trop bien connu dans le monde entier pour avoir besoin de se justifier, et il me semble que ni lui, ni monsieur le duc de Bourbon, ne doivent descendre à une justification. Monsieur le duc d'Enghien n'aurait fait que ce qu'il avait le droit de faire en cherchant à renverser l'usurpateur, et ce que nous avons tous le droit de faire ; mais il est prouvé à tout l'univers que monsieur le duc d'Enghien n'avait aucune part à la conjuration, par le silence même de Buonaparte. Moi-même je ne sais pas ce qu'on voulait faire. Buonaparte a nommé Pichegru et Moreau ; mais il y a d'autres généraux qu'il n'ose nommer. »
    La conversation s'est terminée en me disant que je pouvais faire part à monsieur le prince de Condé, que s'il venait à Londres, monsieur lui parlerait de cette affaire, et qu'elle méritait beaucoup de réflexion ; que si monseigneur ne venait pas à Londres, monsieur de Contye pourrait venir le voir et qu'ils en causeraient. »

    <o:p> </o:p>Voyage en Suisse du duc d'Enghien.

      69. Le duc d'Enghien à Froelich.19 juillet 1802.
    « J'ai une commission à vous donner mon cher, si vous n'avez rien de mieux à faire ; je compte vous envoyer à cheval à moi, à une trentaine de lieux d'ici, (environs 120km), pour environs quinze jours prenez en conséquence un petit porte manteau que vous mettrez sur ce cheval, peut-être irai-je vous joindre là où je compte vous envoyer, et peut-être, si cela vous convient, vous proposerais-je un second voyage avec moi d'une quinzaine de jours aussi. Vous voyez donc qu'il faut prendre vos précautions pour être absent de chez vous un mois environs.
    Si vous aviez des affaires qui vous empêcheraient de me donner ce temps-là, vous me le manderais, si vous n'en avait pas je vous attends ce soir ou demain au matin de bonne heure. Et vous partirez de suite.
    Il ne faut pas parler à votre arrivée ici de la commission que je compte vous donner, faite comme si vous veniez pour me voir. Comme vous serez peut-être dans le cas de faire beaucoup de chemin à pied, prenez chaussures et habillements commodes. Adieu. Signer : le duc d'Enghien. »
    <o:p> </o:p>*D'après le comte Boulay de la Meurthe le duc d'Enghien serait parti comme le dit le comte de Choulot en expédition pour la Suisse.
    « Enghien se disposait à entreprendre une nouvelle tournée en Suisse, dans les montagnes orientales de ce pays. Le 22 juillet, il sortit à cheval d'Ettenheim, avec Jacques et monsieur de Sully, et rejoignit le lendemain Frölich, qui dut ramener les chevaux. Le voyage eut Constance pour point de départ et se fit à pied.  Ce ne sont plus seulement des sites sauvages et pittoresques que je cherche, écrivait-il alors ; ce sont des leçons prises sur les lieux mêmes, où tant d'obstacle qui s'opposait à la marche des armées, ont été combattus par l'expérience des meilleurs généraux et surmontés par d'intrépides soldats. »
    Le journal du duc d'Enghien publié par le comte de Choulot, ne contient, en effet, que des remarques pittoresques ou militaires. Pourtant, c'est pendant ce voyage que le parti fédéraliste, poussé par Reding, mit à profit la retraite des troupes françaises, et commença à soulever les petits cantons. Lorsque Enghien rentra à Ettenheim, le 20 Août, cette révolte, à laquelle du reste il était resté étranger, s'était déjà propagée dans une grande partie de la Suisse.
    <o:p> </o:p>70. Enghien à Bourbon.22 août 1802.
    « J'arrive à l'instant même, cher papa, d'un voyage que je viens de faire en Suisse et dans les Grisons. N'ayant rien mieux à faire, je viens de donner un mois à mon instruction et à mon plaisir en même temps ; c'est ce qui fait que j'ai été un si long espace de temps sans vous écrire. J'étais curieux de connaître en détail les positions du Reinthal, qui ont été d'un si grand intérêt pendant cette guerre ; puis j'ai suivi Souvoroz dans toutes ses marches et contre marches en Suisse. Tout cela m'a singulièrement intéressé, et je suis bien content de ma course. »

    <o:p> </o:p>Le récit du duc d'Orléans à Saint-Jacques sur la participation du duc de Rovigo à l'exécution du duc d'Enghien, ainsi que la confidence du complot de Cadoudal à la famille de Condé.

    <o:p>  </o:p>71. Le duc d'Orléans à Saint-Jacques.21 novembre 1823.
    « .... S.A.S. parla du dîner de famille qui avait eu lieu le 17, à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du Roi, et dit qu'après que tous les officiers de bouche se furent retirés, il fut question de l'ouvrage du duc de Rovigo. Le Roi, monsieur et les princesses ont témoigné hautement leur mécontentement à ce sujet, et monsieur a dit qu'il avait ignoré jusqu'à présent que Rovigo avait eu une part aussi active à l'assassinat de monseigneur le duc d'Enghien ; qu'il avait cru jusqu'à présent que c'était Murat qui avait commandé le feu, tandis qu'il était bien prouvé que c'était Rovigo, et que c'était lui-même qui s'était dénoncé. Sur cela, monseigneur le duc d'Orléans, en étant du même avis que monsieur, a ajouté que la lettre que le baron de Saint-Jacques avait fait insérer dans les journaux, avait éclairé des faits d'une manière bien précise, et ne laissant aucun doute que Rovigo en avait imposé, surtout sur l'assertion que monseigneur d'Enghien avait écrit à Buonaparte pour obtenir du service. Le Roi est convenu du fait, en ajoutant que monsieur de Saint-Jacques avait mis beaucoup de modération dans sa lettre. Madame et monsieur sont convenus du fait ; mais ont ajouté que si monseigneur le duc d'Enghien n'avait point écrit, il était du moins prouvé qu'il avait demandé à voir Buonaparte : ceci a été répété en plusieurs fois, même avec affectation.
    Monseigneur le duc d'Orléans a remarqué que ce qu'avait écrit le baron Saint-Jacques pour prouver que monseigneur le duc d'Enghien ignorait l'existence de la conspiration, avait déplu à monsieur et madame. Monseigneur le duc d'Orléans en a été étonné, avec d'autant plus de raison que le Roi lui avait envoyé monsieur le comte d'Escars, très peu de temps avant le départ de Cadoudal et autres pour la France, pour l'assurer que le Roi désapprouvait tout ce qui se tramait contre le Premier Consul, et qu'il priait monseigneur le duc d'Orléans d'en prendre note pour s'en rappeler au besoin. L'avant-veille du départ de monsieur de Rivière pour la France, il s'est présenté chez monseigneur le duc d'Orléans, sous prétexte de lui faire une visite ; mais, dans la conversation, monsieur de Rivière finit par lui dire qu'il venait pour prendre congé ; qu'il allait en France pour tenter un coup de main, et lui donna beaucoup de détails à ce sujet. Monsieur de Polignac arriva le même jour ou le lendemain, et fit les mêmes confidences. Monseigneur le duc d'Orléans ne put s'empêcher de faire des réflexions qui n'étaient pas du tout à l'avantage de ces messieurs, et il ajouta qu'il ne pouvait avoir confiance dans la réussite d'une pareille entreprise, par l'indiscrétion de ces messieurs qui lui faisaient une pareille confidence, à lui qui ne se mêlait de rien et qui devait être la dernière personne instruite de semblables projets.
    De tous ces détails, il est résulté que le Roi et les princes ont bien à se reproché, après avoir instruit monseigneur le duc d'Orléans de tout ce qu'on allait tenter, de n'avoir pas mis monseigneur le prince de Condé et monseigneur le duc de Bourbon dans la confidence. »

    <o:p> </o:p>Lettre d'Enghien à Jacques du mois de juillet 1803. Jacques quittait le duc d'Enghien pour environ un mois. (Pour raison de santé, Jacques est allé faire une saison d'un mois aux eaux de Petersthal).
     
    <o:p>  </o:p>72. Enghien à Jacques.9 juillet 1803.
    « Je profite d'une occasion sûre, mon cher, pour vous donner de mes nouvelles et vous parler de nos regrets de votre absence. J'espère que la peine que j'en éprouve ne vous sera du moins pas infructueuse et que vous rétablirez votre santé. Quand vous m'écrirez, donnez-moi des détails sur votre établissement et sur les premiers effets du commencement de votre traitement. »
     «  En attendant, nulle nouvelle d'Angleterre. J'attendrai toujours réponse du ministre de la guerre avant de prendre aucun parti. La formation d'une nombreuse armée de terre pour la défense des côtes me donne quelque espoir que, même quand il n'y aurait rien de mieux, on pourrait trouver jour dans l'intérieur de l'île, surtout si le danger devenait pressant ou menaçant. Dans ce dernier cas, il faudrait sauter le pas et y aller.
    Nos jardins vont bien ; il a fait de fortes pluies qui ont dispensé d'arroser et m'ont donné la faculté de replanter diverses fleurs des caisses. Les choux glacés courent et s'étendent comme des concombres ; ils ne peuvent plus tenir sur la fenêtre. Nous avons deux cornichons. La princesse est particulièrement chargée de l'inspection journalière de cette partie. On laisse deux pieds pour avoir des concombres de bonne heure. Il se déclare journellement des quarantains ...  Les pattes de renoncules sont rentrées d'hier ; les œillets du petit jardin sont en fleur, ainsi que les cloches blanches, qui font le meilleur effet. J'ai déjà trois graines de pensée.
    Adieu, mon cher. Comme ma lettre ne part que lundi, à trois heures du matin, si la poste de dimanche m'apporte quelque chose, je vous le manderai. »
    <o:p> </o:p>« Ce dimanche, 10 heures du soir.
    J'ai reçu votre lettre. Je vous remercie des détails que vous me donnez tant sur vous que sur le pays que vous habitez. S'il vous arrivait quelques symptômes extraordinaires ou que vous pensiez qui dussent nécessiter quelque changement dans votre traitement, mandez-le-moi ; je ferai venir Timel et vous rendrai sa réponse détaillée. Je connais beaucoup la princesse Dolgorovky ; c'est l'ancienne maîtresse de Potemkine, pour laquelle il a fait venir par banque un bonnet de Paris à Otchakov, et à laquelle il donnait ces fêtes dont vous m'avez souvent entendu parler. J'ai continuellement soupé avec ou chez elle à Pétersbourg, et je serai charmé de la voir.
    Peut-être irai-je vous voir vendredi prochain ; mais ce n'est qu'un peut-être, et, si les chasses sont ouvertes de la veille, peut-être chasserai-je le samedi. Faites connaissance avec le chasseur, et dites-lui qu'il y a un de vos amis qui doit venir vous voir à la fin de la semaine et qui est grand amateur de chasse. Vous savez qu'il y a à payer. Je ne veux point être connu, afin d'être plus à mon aise. Vous tâcherez de m'avoir une chambre à deux lits, pour Grünstein et pour moi. Nous n'amènerons personne, et j'aurai mon petit paquet dans mon sac de chasse. Votre domestique nettoiera mes bottes ; prévenez-le que je ne veux pas être connu. Mais je ne suis point encore décidé à cette course ; ainsi ne m'attendez pas. Je ne prévois pas, d'ailleurs, que je pourrais arriver pour dîner, et puis, tout dépend du temps et des nouvelles que la semaine peut apporter.
    Nulle lettre d'Angleterre.
    Adieu, mon cher. J'espère que vous ne doutez pas de ma reconnaissance amitié et de tout l'intérêt que je prends à votre santé et à votre bonheur. D'Ecquevilly m'a écrit. Quand le tronc manque, on se raccroche aux branches : il veut que je l'emploie. Je ne demande pas mieux ; mais il faut que je le sois moi-même.
    La princesse me charge de mille choses pour vous. C'est après-demain qu'on lui présente le travail (succession du cardinal de Rohan). Elle est très fâchée de ne pas vous avoir pour consulter sur la réponse qu'elle doit faire. Le prince Ferdinand (de Rohan) lui a écrit une lettre fort plate et menace de plaider. Qu'il plaide ! Si je vais vous voir, je vous apporterai tous ces détails.
    Adieu. »

    <o:p>  </o:p>73. Enghien à Jacques.15 juillet 1803.
    « La pluie et la boue m'ont empêché, mon cher, d'aller vous voir. Il fait un temps d'hiver et nous sommes confinés dans nos chambres. Je pense qu'il en est de même où vous êtes. Ce changement subit de saison ne paraît pas favorable à votre santé et à la suite de votre traitement. Mandez-moi comment vous vous trouvez. Partie remise pour moi, probablement jusqu'à vendredi prochain ; car je ne veux manquer aucun jour de courrier, attendant sans cesse la réponse du ministre auquel j'ai écrit. J'ai eu nouvelle hier de mon grand-père. Un paquebot anglais a apporté sept courriers arriérés. Le mien est un des plus anciens ; ainsi les nouvelles ne sont pas fraîches. Mon grand-père paraît content des dispositions du gouvernement britannique, au commencement de cette guerre à outrance. Il me dit qu'il ne faut pas désespérer de trouver jour à y prendre part avant peu, mais que, jusqu'à ce moment, la guerre est purement maritime. Il ne me paraît pas plus rassuré que je ne le suis sur les dispositions du Premier Consul à notre égard, et il m'engage à prendre en dessous des précautions pour être averti, dans le cas où il voudrait attenter à notre liberté.  Du reste, il m'engage à demeurer dans la partie où je me trouve, pouvant devenir utile d'un jour à l'autre.
    Ce qu'il y a de charmant, c'est qu'il croit, d'après les bruits qui ont courus, que j'ai été incognito à Paris, ou du moins à Strasbourg. Vous jugez qu'il n'en est pas charmé. Voyez combien il me juge mal et connaît peu ma façon de penser. Au reste, c'est la millième fois que je suis aussi faussement et je puis dire absurdement accusé par une personne qui devrait, ce me semble, me mieux connaître.
    Ci-joint le mois de mars de mon traitement. Ecrivez en conséquence, comme de coutume. Ci-joint aussi une lettre qui m'a été remise pour vous. Je la crois d'Angleterre ; ainsi mandez-moi si l'on ne vous y dit rien d'intéressant. Dans les deux dernières que je vous ai envoyées, n'y en avait-il pas une de Sully ? Grünstein a cru reconnaître son écriture. J'ai dit au palefrenier que je vous envoie, de faire encore quelques lieues de retour demain, afin d'arriver de bonne heure dans la matinée de dimanche. Si son cheval était las, retenez-le à coucher, et ne le faites partir que dimanche matin.
    N'oubliez pas de me faire provision de bon Kirchwasser, si vous en trouvez. J'espère que vous avez soin de mademoiselle de Moor et de votre bonne hôtesse. Il est très aimable à elle d'être resté pour vous tenir compagnie dans votre solitude.
    Adieu, mon cher ; mille choses de la part de toute la colonie, et particulièrement de la part de la princesse. »

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  • L'enlèvement du duc d'Enghien.

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    74. Dusoulier à Contye.15 mars 1804.
    « Je crois devoir vous mander l'affligeante nouvelle de l'enlèvement de monseigneur le duc d'Enghien, qui vient d'avoir lieu ici... Cette nuit, il est arrivé ici une troupe de gendarmes français, quelques cavaliers, il y avait aussi de l'infanterie, qui a passé le Rhin à une lieue et demie d'ici, lesquels a investi d'abord la ville, puis les maisons où ils ont voulu faire leurs arrestations. À cinq heures, ils ont pris S. A., le sieur Jacques, son secrétaire des commandements, le baron de Grünstein, son aide de camp, le marquis de Thumery, maréchal de camp, le sieur Schmitt, autrefois officier au régiment d'Enghien. Le chef de la troupe a dit n'avoir point d'ordre pour arrêter la princesse Charlotte de Rohan. Il n'a pas été question de son père, monsieur le prince de Rochefort. Je ne conçois pas encore comment monsieur de Corbier et moi n'avons pas été aussi enlevés. Il paraît jusqu'ici que l'autorité de monseigneur l'Electeur est entièrement violée. Quelques gens de S. A. ont aussi été arrêtés. Ses papiers ont été saisis. Comme ce que je vous mande, monsieur, vient de se passer, puisqu'il n'y a pas plus d'une heure qu'ils sont partis, j'attendrai le retour de personnes qui ont été à leur suite pour ajouter à ce récit, s'il y avait quelque chose de plus de su, d'ici au départ du courrier.
    <o:p>  </o:p>Ce 17 mars.
    J'en étais resté là de ma lettre, monsieur, quand, sur des avis réitérés, j'ai cru devoir penser à ma sûreté. En conséquence, j'ai été coucher à quelque distance d'ici, et, ayant eu hier des avis certains que S. A., conduite par toute la troupe, avait repassé le Rhin, j'ai cru pouvoir revenir à mon domicile et y continuer mon récit.
    Il a, de plus, été arrêté ici le grand vicaire de l'évêché de Strasbourg pour la partie de la droite du Rhin, et un abbé qui lui servait de secrétaire. Les gens de S. A. arrêtés sont :
    Son valet de chambre Féron, son premier valet de pied le grand joseph et le nommé Poulain, son officier. Il reste ici son cuisinier, un petit polonais dont il avait fait un valet de pied, et trois palefreniers dont un est le frère de Poulain.
    Il y avait déjà quelques jours que l'on devait avoir quelques inquiétudes, parce que nous avons su qu'il était venu à Offenburg des gendarmes pour y arrêter une madame la baronne de Reich, cousine de monsieur de Würmser ; et, le bailli s'y étant opposé au nom de monseigneur l'Electeur, ils y sont demeurés un ou deux jours. Je pense que ce n'a été que pour détourner l'attention de ce côté-ci.
    À présent que le coup est fait, j'apprends que monseigneur avait tant d'inquiétudes qu'il faisait coucher et Grünstein et Schmitt chez lui. Ce qu'il y a de certains, c'est qu'il en a bien gardé le secret. Je suis sûr que monsieur de Thumery, Jacques, monsieur de Corbier et moi n'en avons rien su que depuis leur départ.
    .. Il est venu ici, hier, un chambellan de S. M. le Roi de Suède, qui paraissait envoyé pour donner quelque avis à S. A. ; mais il était trop tard. Il a témoigné que S. M. et S. A Electorale apprendrait cet événement avec douleur. Je peux aussi vous dire qu'on a peu pris de papiers de S. A et que, par conséquent, on en voulait plus à sa personne qu'à sa correspondance... Des raisons fortes nous font présumer qu'une partie des troupes qui sont venues ici auraient bien voulu n'y trouver personne. Nous ne devons de n'avoir pas été arrêtés,qu'à la présence d'esprit et à la bonne volonté du prévôt, à qui le général a demandé s'il y avait d'autres émigrés, lequel a dit qu'il n'en connaissait pas d'autres. J'ai la certitude qu'on n'a rien fait à Freiburg. Le baron d'Ichtersheim, chez lequel logeait S. A., a été d'abord arrêté ; mais sur l'assurance qu'a donnée un officier de ces troupes, qui a logé chez lui en 1796, qu'il était domicilié ici, il a été relâché sur le champ. Les gens de la ville, magistrats, ont mis sur les affaires de S. A. les scellés. Tout le monde ici est au désespoir de n'avoir pas connu les craintes de monseigneur ; il me paraît qu'il eût été pris des moyens pour faciliter son évasion... »

    <o:p> </o:p>75. Charlot à Moncey.15 mars 1804.
    Mon général, il y a deux heures que je suis rentré en cette ville de l'expédition sur Ettenheim (Electorat de Baden), où j'ai enlevé, sous les ordres des généraux Ordener et Fririon, avec un détachement de gendarmerie et une partie du 22° de dragons, les personnages dont les noms suivent :
    1° Louis-Antoine-Henri de Bourbon, duc d'Enghien ;
    2° Le général marquis de Thumery ;
    3° Le colonel baron de Grünstein ;
    4° Le lieutenant Schmitt ;
    5° L'abbé Weinborn, ancien promoteur de l'évêché de Strasbourg ;
    6° L'abbé Michel, secrétaire de l'abbé Weinborn ; ce dernier est français comme Weinborn ;
    7° Un nommé Jacques, secrétaire du duc d'Enghien ;
    8°Ferrand (Simon), valet de chambre du duc ;
    9° Poulin (Pierre), domestique du duc ;
    10° Joseph Canone, idem.
    Le général Dumouriez, qu'on disait être logé avec le colonel Grünstein, n'est autre chose que le marquis de Thumery, désigné ci-dessus, et qui occupait une chambre au rez-de-chaussée dans la même maison qu'habitait le colonel Grünstein, que j'ai arrêté chez le duc où il avait couché. Si j'ai aujourd'hui l'honneur de vous écrire, c'est à ce dernier que je le dois. Le duc ayant été prévenu qu'on cernait son logement, sauta sur son fusil à deux coups, et me coucha en joue au moment où je sommais plusieurs personnes, qui étaient aux fenêtres du duc, de me faire ouvrir ou que j'allais de vive force enlever le duc ; le colonel Grünstein l'empêcha de faire feu en lui disant :
    « Monseigneur, vous êtes-vous compromis ? »
    Ce dernier lui ayant répondu négativement : «  Eh bien ! Lui dit Grünstein, toute résistance devient inutile ; nous sommes cernés, et j'aperçois beaucoup de baïonnettes ; il paraît que c'est le commandant : songez qu'en le tuant, vous vous perdriez et nous aussi. » Je me rappelle fort bien d'avoir entendu dire : « C'est le commandant » ; mais j'étais loin de penser que j'étais sur le point de finir, ainsi que le duc me l'a déclaré et me le répéta encore. Au moment de l'arrestation du duc, j'entends crier : « Au feu » (médiocre allemand) ! Je me porte sur le champ à la maison où je comptais enlever Dumouriez ; et, chemin faisant, j'entends sur divers points répéter le cri : «  Au feu !!» J'empêche un individu de se porter vers l'église, probablement pour y sonner le tocsin, et je rassure en même temps les habitants du lieu qui sortaient de leurs maisons, tout effarés, en leur disant : « C'est convenu avec votre souverain », assurance que j'avais déjà donnée à son grand veneur, qui, aux premiers cris, s'était porté vers le logement du duc. Arrivé à la maison où je comptais enlever Dumouriez, j'ai arrêté le marquis de Thumery. Je l'ai trouvée dans un calme qui m'a rassuré, et investie telle que je l'avais laissée avant de me transporter chez le duc.
    Les autres arrestations ont été opérées sans bruit, et j'ai pris des renseignements pour savoir si Dumouriez avait paru à Ettenheim ; on m'a assuré que non ; et je présume qu'on ne l'y a supposé qu'en confondant son nom avec celui du général Thumery.
    Demain je m'occuperai des papiers que j'ai enlevés à la hâte chez les prisonniers ; et j'aurai ensuite l'honneur de vous en faire mon rapport.
    Je ne puis trop donner d'éloge à la conduite ferme et distinguée du maréchal des logis Pfersdorf dans cette circonstance. C'est lui que j'ai envoyé la veille à Ettenheim, et qui m'a désigné le logement de nos prisonniers ; c'est lui qui a placé en ma présence toutes les vedettes aux issues des maisons qu'ils occupaient, et qu'il avait reconnu la veille. Au moment où je sommais le duc de se rendre mon prisonnier, Pfersdorf, à la tête de quelques gendarmes et dragons du 22° régiment, pénétrait dans la maison par le derrière, en franchissant les murs de la cour : ce sont ceux qui ont été aperçus par le colonel Grünstein, ce qui a déterminé ce dernier à empêcher le duc de faire feu sur moi. Je vous demande, mon général, le brevet de lieutenant pour le maréchal des logis Pfersdorf, à l'emploi duquel il a été proposé à la dernière revue de l'inspecteur général Virion. Il est, sous tous les rapports, susceptible d'être porté à ce grade. Les généraux Ordener et Caulaincourt vous parleront de ce sous-officier, et ce qu'ils vous diront sur son compte me fait espérer que vous prendrez, mon général, en sérieuse considération la demande que je vous fais en sa faveur. J'ai à ajouter que ce sous-officier m'a rendu compte qu'il avait été particulièrement secondé par le gendarme Henn (Brigade de Barr). Pfersdorf parlant plusieurs langues, je souhaiterais que son avancement ne l'enlevât point à l'escadron.
    Le duc d'Enghien m'a assuré que Dumouriez n'était point venu à Ettenheim ; qu'il serait cependant possible qu'il eût été chargé de lui apporter des instructions de l'Angleterre ; mais qu'il ne l'aurait pas reçu, parce qu'il était au-dessous de son rang d'avoir affaire à de pareilles gens ; qu'il estimait Bonaparte comme un grand homme, mais qu'étant prince de la famille Bourbon, il lui avait voué une haine implacable ainsi qu'aux Français, auxquels il ferait la guerre dans toutes les occasions.
    Il craint extrêmement d'être conduit à Paris, et je crois que pour l'y conduire, il faudra établir sur lui une grande surveillance. Il attend que le Premier Consul le fera enfermer, et dit qu'il se repent de n'avoir pas tiré sur moi, ce qui aurait décidé de son sort par les armes. »

    <o:p>  </o:p>76. Thumery à Contye.14 avril 1805.
    « ...Monsieur Schmitt, mon camarade d'infortune, me prie de le rappeler dans votre souvenir. Il vous recommande ses intérêts. Le pauvre diable n'a que sa pension pour subsister ; il n'a plus de ressources que moi....
    Poulain vous rendra compte du malheureux événement du 15 mars. Il vous confirmera, ce que je vous ai déjà dit, que l'on m'a caché en totalité les justes craintes que l'on devait avoir sur sa personne. Monseigneur même ne les ignorait point, puisqu'il avait pris des précautions dans son intérieur, depuis deux jours, pour repousser la force par la force. Cette précaution prouve assez qu'il avait eu des avis que l'on voulait l'enlever. Il n'en a été fait part qu'à deux ou trois individus, qui ont malheureusement gardé le secret. Voilà ce qui a causé sa perte. Un mot que l'on m'aurait dit, j'ose croire qu'il était sauvé. La veille de ce lugubre jour, j'ai chassé avec lui jusqu'à huit heures du soir. Rentré chez moi, je ne suis plus sorti, et l'on m'a pris dans mon lit, ne me doutant de rien : il faut convenir, mon cher ami, que j'ai été la victime bien innocente dans cette malheureuse affaire. Il y avait cent manières de sauver ce misérable prince, et il n'y en avait qu'une pour l'enlever, faute d'avoir dit seulement une parole. Je trouve que les personnes qui ont gardé ce fatal secret ont fait une grande faute à mes yeux, encore plus grande de n'avoir pris aucune précaution pour prévenir ce malheur. Je sais que, dans les premiers moments de son arrestation, l'on a cru que j'étais du nombre de ceux qui étais instruit des avis qu'il avait reçus. La manière dont il avait la bonté de me traiter le faisait croire ; mais il n'en était rien.  J'avais d'autant plus lieu de l'espérer, cette confiance de sa part, que sa personne était en danger et qu'il le savait. Il m'a dit là-dessus des choses qui m'ont prouvé ses regrets de ne m'avoir pas mis dans sa confidence ; mais il n'était plus temps. J'ose croire que celui qui avait fait son avant-garde, où il n'a pas éprouvé aucune surprise, aurait eu le talent de le garder une nuit... »

    <o:p>  </o:p>77. Relation du curé de Vincennes.12 mars 1816.
    « Monseigneur le duc d'Enghien est entré au château de Vincennes le 21 mars, vers cinq heures après-midi, sous le nom de « l'Inconnu ». Le commandant Harel l'a reçu et mis dans une chambre qui, sans être faite pour un prince, était décemment meublée. Il était exténué de fatigue, n'ayant pas mangé depuis vingt-six heures. Le commandant lui fit servir un dîner passable par le restaurateur Mavré, qui demanda 7 à 8fr. Son Altesse mangea peu. Elle témoigna le désir qu'elle avait pour la chasse et la lecture, promettant au commandant que, si la première lui était accordée, elle l'assurait de chasser fidèlement avec lui et de ne point chercher à s'évader. Le sommeil tourmentait le prince ; mais il ne pouvait s'y livrer. Il réfléchissait donc sur sa triste position, lorsque tout à coup il entend un bruit sourd qui lui annonçait que quelques personnes s'avançaient vers lui : c'était le commandant et deux gendarmes. On lui commanda de suivre : il obéit. Il est transféré dans l'appartement du commandant, où le prétendu conseil de guerre était assemblé. Il est mis dans une chambre voisine où reposait la femme du commandant, qui n'était séparée de l'auguste prisonnier que par un paravent. Il avait pour garde un officier de gendarmerie, avec lequel il s'entretint sur différentes choses. Il lui fit plusieurs questions, entre autres depuis quand il servait ; s'il était entré au service comme simple soldat ; s'il servait avec plaisir.
    « Y a-t-il un prêtre dans le château ? » demanda-t-il. Réponse négative.
    « Mais le curé de la paroisse ne vient-il jamais ici, et ne me permettrait-on pas de le voir ? ».
    « Je l'ignore », dit l'officier.
    « Êtes-vous un homme d'honneur, et puis-je compter que vous remettrez cette lettre, cette tresse de cheveux et le journal de mon itinéraire, encore imparfait, à son adresse ? »
    « Je vous le jure sur ma parole d'honneur » Il ne la tint pas. Le paquet fut remis au conciliabule. Après plus de deux heures d'anxiété, naturelle quand on se trouve entre la crainte et l'espérance, une voix farouche se fit entendre de cette manière :
    «  Allons, officier, l'affaire est terminée ; amenez l'Inconnu ».
    On s'était contenté de lui demander ce qu'il faisait à Ettenheim et son nom. Savary se tenait appuyé près d'une fenêtre, examinant toutes les figures et répandant la terreur dans tous les esprits. On l'achemine vers l'abîme ; mais il ignorait entièrement la décision perverse ou plutôt de forme, puisque la fosse qui devait recevoir le corps du malheureux prince avait été creusée avant qu'il fût tiré de sa première chambre, par les gendarmes mêmes, chargés de l'escorter. (Il est à remarquer que le prince, depuis l'instant de son entrée au château jusqu'à sa mort et longtemps encore après, était désigné dans la correspondance sous le nom de « l'Inconnu ». Suivons l'auguste victime descendant dans les fossés. »
    « Où me conduisez-vous ? Est-ce à la mort ? Dites-le-moi. »
    Point de réponse. «  Est-ce aux cachots ? Autant vaudrait mourir. » Un soldat laissa échapper ces mots :
    « Aux cachots ! Non malheureusement. » Il n'en fallut pas davantage pour instruire le prince du sort affreux qui l'attendait. Le voilà près du précipice, trouvant une haie d'hommes armés prêt à faire feu. »
    « Ah ! C'en est fait de moi ! dit-il ; ne me donnerez-vous donc pas un prêtre ? »
    « Veux-tu mourir en capucin ? » répliqua, à ce qu'on croit, le colonel de gendarmerie (Savary). On veut lui bander les yeux ; il le refuse, en disant :
    « Les Condés n'ont jamais eu peur. Un français doit mourir en brave. »
    On insista pour lui bander les yeux ; il s'en défendit absolument, et il fléchit le genou, en disant : « C'est devant Dieu seul que je le fléchis. » Et il fit face au feu. Les balles meurtrières atteignent le cœur du prince héros. On s'empare de sa montre garnie, et de quelques lettres de change ; car il n'avait point d'argent. On mit son corps tout habillé, à moins qu'une redingote couleur d'olive n'ait été arrachée de son corps, qui est placé au pied de la tour à gauche du pavillon, directement sous la gouttière, sous la fenêtre du garde d'artillerie où habitait feu monsieur Germain, et sous un tas de décombres, le corps ayant été gardé sous peine de mort par le commandant et deux gendarmes qui se relevaient pendant près de deux mois, outre les sentinelles ordinaires. Il est impossible qu'il ait été enlevé, ni alors, ni dans la suite, où l'on sait, à ne pouvoir en douter, que les plus sévères précautions ont été prises à ce sujet. »

    <o:p> </o:p>La succession du duc d'Enghien.

    <o:p>  </o:p>78. Chodron à Contye.27 mars 1804.
    « Voici ce que j'ai pu savoir de la princesse sur les affaires de notre malheureux prince. Elle a chez elle une cassette qu'il lui a fait recommander avant de quitter Strasbourg ; mais il en a emporté la clef. La princesse dit qu'il y a de l'argent et des papiers assez importants. Il y a une autre cassette chez le prince qui contient aussi de l'argent : elle est sous le scellé, ainsi que les effets. Tout cela est en lieu sûr, chez un homme parfait où monseigneur logeait : rien ne s'égarera. Il y a quatre chevaux à l'écurie, qui ne sont pas de grande valeur : je crois qu'il faut les vendre le plus tôt possible. Les gens qui restent ici sont : Simon le cuisinier, trois palefreniers, et le petit polonais nommé Joseph, qui était second valet de pied. L'argenterie a été remise par Simon à la princesse. Quand à l'argent et aux effets de Jacques, son hôte, parfait honnête homme, les conserves ainsi que Jacques l'en a prié par un billet qu'il a trouvé moyen de lui faire passer avant de quitter Strasbourg. La princesse croît, sans en être sûre, qu'il y a 2000 louis de placés chez un négociant de Freiburg, que je connais et auprès de qui je vérifierai la chose à mon retour. Tout étant sous le scellé, et n'ayant aucune mission, je n'ai touché à rien. J'ai recommandé aux gens de rester tranquilles jusqu'à ce que monseigneur ait fait passer des ordres et prononcé sur leur sort.
    Dans un portefeuille saisi se trouve le testament du prince, qu'il a redemandé pour y ajouter quelque chose. Ensuite le portefeuille a été scellé de son cachet et de celui du commandant de la citadelle, et il a demandé qu'il ne fût ouvert que par le Premier Consul. Dans ce portefeuille se trouvent les billets de l'argent placé, à ce que croit la princesse. Elle assure qu'aucune des lettres des princes n'a été prise ; qu'elle en a brûlé une partie et conservé les autres. Mais la correspondance avec monsieur de Sarrobert, d'Ecquevilly, de Lanan, ainsi que celle du prince pour demander du service aux Anglais, sont entre les mains du gouvernement. Quand aux papiers de Jacques, on les dit en sûreté.
    Vous sentez, monsieur, qu'il est indispensable que monsieur le duc envoie promptement une procuration pour tout terminer. Jusque-là les gens et les effets resteront ici. Reste à savoir à qui il donnera cette procuration. S'il m'était permis de donner un avis, je crois que personne n'est plus en état que la princesse de remplir cette mission, par la connaissance qu'elle a des affaires du prince et des intentions qu'il peut lui avoir communiquées. D'ailleurs elle a la faculté de prolonger son séjour ici, tandis qu'aucun émigré ne peut y rester. J'offrirais volontiers mes services ; mais il est probable que, si je ne peux pas rentrer en France sans danger, comme il y a grande apparence, je serai expulsé de Freiburg, et Dieu sait où je pourrai aller pour me mettre hors de portée de la nation qui fait des arrestations partout. Et je cours d'autant plus de risques de l'être, que je suis inscrit sur une liste envoyée de Paris au préfet de Colmar, comme pensionnaire, avec la qualité de la place que j'occupais chez monseigneur. Tous ces émigrés sont bien à plaindre, si monseigneur n'obtient pas qu'ils seront protégés par un ambassadeur anglais dans l'endroit qui serait désigné. Sans cela, ils seront chassés de partout et ne sauront où reposer leur tête. J'ignore au surplus si la princesse voudrait accepter cette procuration. Je le crois ; mais je tâcherai de savoir, avant de fermer ma lettre, si elle se chargerait de cette pénible commission.

    <o:p>  </o:p>79. Contye à Chodron.19 avril 1804.
    « Je vais me borner aux intentions des deux pères. Ils ont fort approuvé toutes les démarches que vous avez faites, et me chargent de vous le dire. C'est une preuve d'attachement dont ils ne doutaient pas. Il faut donc, mon cher, qu'aussitôt la présente reçue, vous vous rendiez à Ettenheim, et que vous vendiez les chevaux, les voitures et tout ce qui a rapport à l'écurie ; de plus, le vin, le linge de table, enfin tout, excepté l'argenterie, que vous tâcherez de conserver. Quand aux cassettes, papiers et tout ce qui est sous scellé, on désire que vous y mettiez la plus grande surveillance, et que vous preniez toutes les précautions pour qu'il n'arrive rien à ces objets. Avant de faire cette opération, vous en ferez part à la princesse, et vous vous concerterez avec elle à cet effet. Il faut continuer de payer les malheureux serviteurs comme ils étaient avant. On vous enverra par le premier courrier des procurations et des instructions pour terminer tout cela. Les gens n'y seront sûrement pas oubliés. »

    <o:p> </o:p>80. Chodron à Contye.12 mai 1804.
    « Je crois vous avoir mandé que le bailli de Malhberg avait fait mettre le scellé sur l'appartement et les effets du prince. Ainsi vous devez sentir que je ne puis absolument rien faire sans avoir la procuration que je vous ai demandée. La princesse, à qui j'ai envoyé copie de votre lettre, pense comme moi sur cela. Comme vous m'annoncez cette procuration par le premier courrier, je l'attends de jour en jour avec grande impatience, parce que, dans la position précaire où nous sommes, il me tarde de mettre ordre à cette affaire. Aussitôt qu'elle me sera parvenue, je ne perdrai pas un instant pour remplir les intentions des deux pères, et je ne désemparerai pas d'Ettenheim que tout ne soit fini.
    L'argenterie sera conservée, comme on le désire, et mise en mains sûres si j'étais dans le cas de quitter le pays. Il me semble que je vous ai dit qu'une des cassettes est sous le scellé, et que la princesse à l'autre chez elle, d'après la prière que lui a faite le prince d'en avoir soin. Elle avait voulu me la remettre dans le temps ; mais je n'ai pas voulu prendre sur moi de la recevoir sans ordre. D'ailleurs elle est parfaitement en sûreté chez elle. Il faudra forcer ces cassettes, car le prince avait emporté les clefs avec lui. Je vous prie, monsieur, d'assurer les princes que je mettrai autant de soin que de zèle à exécuter leurs ordres : la reconnaissance et l'attachement m'en font un devoir. Vous avez vu par ma précédente que nous avions prévenu les intentions des princes en faisant vendre les chevaux, qui n'ont produit que 565 florins, faisant 1,233 L. 14 s. 6d.  aux cours de France. »

    <o:p>  </o:p>81. Chodron à Contye.4 juin 1804.
    « Je viens de recevoir à l'instant, monsieur le chevalier, votre lettre du 13 mai avec procuration qui y est jointe (Il était recommandé dans celle-ci à Chodron d'observer « le secret le plus absolu »), et je m'empresse de vous en accuser la réception, afin de vous tranquilliser à cet égard. Je suis extrêmement touché de la confiance dont les parents daignent m'honorer. Je ferai de mon mieux pour y répondre, et je crois que vous ne doutez pas que je serai toujours entièrement dévoué à la famille. Il n'y a pas de révolution qui puisse affaiblir un attachement de près de trente années, quand il est fondé sur la reconnaissance et sur les principes que vous me connaissez.
    Je partirai demain pour Ettenheim, et ne perdrai pas un instant pour remplir les intentions des princes sur tous les points. Ce sera avec un grand plaisir que je concerterai avec elle sur tout ce qu'il y aura à faire.  Cela est d'autant plus convenable, qu'elle connaît beaucoup mieux que moi les affaires de celui que nous pleurons, et ceux de ses gens qui méritent le plus d'égards. Je regrette qu'on ne vous ait pas autorisé à me prescrire plus positivement ce que je peux faire pour eux : d'abord, parce qu'ils peuvent trouver à se placer ; en second lieu, parce que je crains qu'on ne les souffre pas dans le pays, une fois que les affaires y seront terminées ; et enfin, parce qu'il est possible que quelques-uns d'entre eux veuillent rentrer en France. Quand je serai sur les lieux, je serai plus particulièrement instruit de leurs projets, et je verrai avec la princesse ce qu'il sera possible de faire à leur égard, s'ils désirent prendre tout de suite leur parti.
    Ceux qui restent à Ettenheim sont : Simon cuisinier, Chantepie, Colin, Benoist (frère de Poulain), palefreniers, et le petit polonais, qui faisait le service de second valet de pied.
    Ceux qui sont au pont couvert sont : Feron, valet de chambre ; Joseph, valet de pied, et Poulain, garçon d'office. On ignore encore quand ils pourront recouvrer leur liberté. Je vous ai mandé que le gouvernement leur avait assigné 30 sous par jour, et que la princesse avait trouvé moyen de leur envoyer des secours. Monsieur de Thumery est toujours à la citadelle, ayant autant de liberté que le lieu le comporte. La princesse, de qui j'ai reçu une lettre aujourd'hui, me mande qu'elle a reçu hier des nouvelles de monsieur de Grünstein, qui la prie de faire veiller sur ses effets ; qu'on ne croit pas que son sort soit décidé avant huit jours, et qu'on espère qu'il s'en tirera sans malencontre.
    Je vais vous transcrire un autre article de sa lettre, qu'il est très important que les pères sachent :
    « Je crois vous avoir mandé que Bonaparte s'était refusé à rendre toutes espèces de papiers, en répondant à la personne chargée de cette mission par le Roi de Suède, qu'il ne se mêlait ni d'affaire particulières, ni d'affaires de famille. Le hasard nous a mieux servi sur ce point. Quelqu'un qui nous est attaché, s'est trouvé connaître la personne chargée de ce dépôt ; il en a obtenu, non les dernières volontés, qu'il a dit être égarées, mais au moins les billets et lettres de change qui y étaient joints ; et ma belle sœur, qui doit venir incessamment, sera chargée de me les apporter. Ce n'est pas tout ce que nous aurions voulu ; mais ce sera au moins une facilité pour l'arrangement des affaires. »
    Cette nouvelle me fait d'autant plus de plaisir que je n'étais pas sans inquiétude sur les difficultés qu'on aurait pu me faire sur le paiement de l'argent placé, faute de représenter les billets. Il m'aurait probablement fallu donner une caution : c'était la moindre difficulté qu'on pouvait me faire. Il est fort heureux que la princesse ait eu des amis sur les lieux, assez intelligents pour recouvrer ces papiers. C'est un très grand service qu'elle a rendu aux parents. Il paraît que nous n'auront jamais le testament, qu'on aura cru devoir supprimer, parce qu'il contient peut-être des dispositions dont on ne veut pas instruire le public....
    Au surplus, je me conduirai avec prudence et discrétion. Comme on a assez de confiance en moi pour s'en rapporter à ce que je ferai, j'éviterai les formes judiciaires qui sont longues et coûteuses, et je ferai un inventaire privé en présence de la princesse, si toutefois je ne trouve pas de difficulté de la part du bailli. Enfin nous ferons pour le mieux, et vous serez exactement instruit de nos opérations... »
    <o:p> </o:p>*Monsieur Real a rendu les billets du duc d'Enghien, qui ont été apportés à Ettenheim vers le 15 juillet.

    <o:p>  </o:p>82. Contye à Chodron.26 juillet 1804.
    « Il faut garder les lettres des princes, et bien prendre garde que personne ne les voie ; et, en cas d'échauffourée, les brûler vous-même, ou monsieur Febvrel, à qui monsieur le duc de Bourbon donne sa confiance en cas que vous fassiez le voyage ; auquel vous laisseriez des instructions, et avec qui vous vous concerteriez pour tout. C'est entre bonnes mains : ce choix est parfait, et je l'ai fort appuyé, et ai dit à l'héritier (le duc de Bourbon) tout ce que le père (le prince de Condé) pensait à son égard. Le journal des voyages, les lettres du Roi et autres qui peuvent être intéressantes, de même que tout ce que l'infortuné peut avoir écrit sur la guerre, ses campagnes et autres choses de lui, il faut le conserver précieusement : cela est très recommandé par l'héritier (le duc de Bourbon). Pour les registres de mariage, baptême, morts de son régiment, mettez-les en sûreté, sans en faire un dépôt chez un notaire. C'est intéressant à conserver pour les familles. Monsieur Sautier peut les cacher quelque part.
    Les hôtes de Jacques ayant été très honnêtes, il faut biens les remercier de la part de l'héritier, et payer ce qui leur est dû :  de même que pour celui chez qui habitait le prince. Quand à Bronner, je lui parlerai, lundi, que je dois le voir ; il me paraît très honnête et très attaché. »
    <o:p> </o:p>* Le 7 juin, Chodron écrivait qu'il avait rencontré beaucoup d'obligeance chez le grand bailli de Mahlberg. Il avait assuré qu'il mettrait beaucoup d'intérêt à ce que la chose se terminât le plus simplement et le plus secrètement possible ; ce qui sera d'autant plus facile qu'il y a peu d'effets, puisque les meubles de l'appartement appartiennent au propriétaire de la maison.
    <o:p> </o:p>* Monsieur Febvrel était réfugié à Freiburg en Brisgau, lorsque Chodron rentra en France, en 1805, il lui remit en garde «  le portefeuille fermé de la succession de monseigneur le duc d'Enghien » Déjà monsieur Febvrel avait reçu de monsieur de Saint Etienne, un paquet cacheté, relatif à la comptabilité du corps de Condé.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>83. Condé à Charlotte.9 août 1804.
    « J'ai reçu, madame, toutes vos lettres du 5 et 7 juin, ainsi que celle du 20 juillet. Je vous demande bien pardon si je ne suis pas aussi exact à répondre que je le voudrais ; mais cela ne m'est pas possible. Tout ce qui a rapport à l'horrible événement me déchire trop le cœur pour pouvoir tenir ma plume souvent et longtemps.
    Les affaires ne s'en traitent pas moins exactement, par la correspondance établie avec « l'homme » (Chodron), que vous avez vu et qui se loue beaucoup de toutes vos bontés. C'est à vous que l'on doit le renvoi de tout ce qu'on a pu tirer des griffes infernales qui tyrannisent la France : je vous en fais tous mes remerciements. J'ai été fort aise de voir Bronner, et l'homme était fort bien choisi : je lui rends toute justice.
    Le bruit dont vous me parler a beaucoup couru ici. Votre assertion contraire ne laisse plus aucun doute sur sa fausseté. (Les bruits de mariages entre Charlotte et le duc d'Enghien).Très certainement je recevrai avec bonheur (s'il en peut encore exister un pour moi) la copie d'un portrait ressemblant de celui qui m'était si cher. Je vous prie de la faire faire par un bon peintre. J'en désirerais même deux, une pour mon fils et une pour moi. « L'homme » paierait l'artiste. Mais quand cela sera fait, je voue prie de m'en donner avis et de ne me les envoyer que sur la réponse que vous recevrez de moi.
    Vous avez sûrement très bien fait de remettre au Roi de Suède tout ce qu'il a bien voulu désirer. C'est bien du fond du cœur que j'ai tâché de lui exprimer toute ma reconnaissance, et j'en ai reçu la réponse la plus sensible et la plus obligeante. Je vous remercie des détails que vous voulez bien donner sur la marche de cet intéressant et brave souverain. Je crois que, dans le temps qui court, il ferait bien de retourner chez lui.
    Je suis désolé de ne pouvoir rien faire pour le sieur Bonat, mais vous verrez par la note ci-jointe que cela m'est de toute impossibilité. Quand à l'autre personne, je vous prie de lui faire dire que je n'oublierai pas ses bons services, et que dans l'occasion je lui prouverai tout mon intérêt. En attendant, nous nous en rapportons à vous pour arranger avec « L'HOMME » la gratification dont vous le jugerez susceptible et qu'il peut lui payer. Son frère a la pension. Celle du nommé Guillon, dit la France, sera continuée par mon fils, que toutes ces choses-là concernent uniquement.
    Permettez à ma profonde douleur d'abréger cette lettre ; mais ce ne sera pas sans vous réitérer tous mes remerciements de tous les soins obligeants et désintéressés que vous avez bien voulu vous donner, et sans vous assurer de mon respectueux attachement.
    <o:p> </o:p>P. S. : Si vous en avez les moyens, je vous prie de faire dire à tous ces braves gens, qui se sont conduits avec tant de courage et d'honnêteté depuis l'affreux événement, qu'un de mes plus constants désirs sera toujours de me trouver en position de leur marquer mon intérêt et ma reconnaissance. J'envoie à « L'homme » les secours à faire passer aux malheureux qui sont loin de vous. (Ceux qui furent arrêtés en même temps que le duc d'Enghien).

      84. Chodron à Bourbon.5 septembre 1804.
    « D'après ce que monseigneur a mandé à madame Charlotte en faveur du brave homme qui a montré tant de zèle et de dévouement, elle a prié un de ses amis de tâcher de le sonder sur ce qu'il préférerait, soit d'un présent, ou d'une gratification en argent, qu'elle croyait, vu sa position et sa nombreuse famille, devoir lui être plus utile. Madame Charlotte me mande qu'il n'y a pas moyen de lui faire rien accepter qui ait quelque valeur ; qu'on le blesserait lui donner une marque de leur satisfaction, il désirerait un anneau sur lequel serait inscrit : « Prix de sa fidélité aux Bourbons ». Madame pense avec toute raison que cette réponse si noble, si touchante, si désintéressée, mérite plus, et que puisque les princes veulent bien s'en rapporter à elle, elle croit devoir lui faire faire une bague des cheveux qu'elle possède, sur laquelle seront gravés «  Prix de sa fidélité ». Cet honnête homme est digne de ce bienfait, et je ne doute pas que V. A. S. ne soit touchée de la délicatesse de ses sentiments.
    ..Lorsque madame Charlotte a mandé à V. A. S. que monsieur son père devait 12 000 livres à la succession, elle avait totalement oublié un billet particulier de 100 louis, souscrit par elle le 10 mai 1803, dont voici la teneur :
    « Je promets remettre à S. A. S. M. le duc d'Enghien, la somme de cent louis d'or de France, sur les premiers fonds qui tomberont à ma disposition, soit sur les revenus, soit sur la vente de ma part de l'habitation de Saint-Domingue. En foi de quoi j'ai signé la présente obligation. »
    Ce billet fut trouvé avec tous ceux que la princesse a reçu de Paris ; et c'est seulement alors qu'elle s'est rappelé son existence. En me l'envoyant en même temps que les autres, elle m'a chargé de prévenir V. A. S., en ajoutant que son intention était d'y faire exactement honneur. Cependant, je sais d'une manière indirecte qu'elle n'a pas touché la valeur de ce billet, qui avait pour cause un projet qui n'a pas eu d'exécution. J'ai cherché à la sonder sur cela : elle a toujours éludé toute explication.
    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>*Une autorisation était venue de Londres, d'accorder tous les délais qui seraient demandés par la princesse Charlotte pour le remboursement de la somme de 12 000 livres, avancée à son père par le duc d'Enghien.
    <o:p> </o:p>Voici la liste des billets relatée dans la lettre du Premier Consul à Réal du 22 mars 1804.
    Elle comprenait :
    1° : 2000 ducats (environs 23 500 F), portant un intérêt de 6%%, remis le 17 novembre 1801 à monsieur Sautier ;
    2° : 7150 florins d'Empire (ou 650 louis), portant le même intérêt, remis au même le 13 décembre 1803 ;
    3° : 500 louis (12 000 F), remis au prince de Rohan Rochefort ;
    4° : 3850 florins d'Empire (ou 350 louis), remis à la maison Bouate et Mainoné ;
    5° : 100 louis remis à la princesse Charlotte ;
    6° : 300 louis, remis le 15 février 1803 à monsieur Salomon Dürr, de Lahr.
    <o:p> </o:p>Ainsi, en arrivant à Ettenheim, le jeune duc avait fait un premier placement d'environ 23 500 F, provenant sans doute des ses épargnes. À partir du 1° juin 1801, il avait touché une pension anglaise de 150 livres par mois, qui s'étant continuée pendant trente mois, jusqu'au 1er décembre 1803, avait monté à la somme totale d'environ 95 000F, déduction faite des pertes sur le change et d'autres frais. Le duc, avec sa vie simple et ordonnée, avait économisé presque la moitié sur cette somme et l'avait employée en placements et en prêts.
    Le montant de ce qui était représenté par les billets pouvait être évalué à environs 65 500fr. Il convenait d'y ajouter :
    1° environ 12 000 livres enfermées dans les deux cassettes (dont 11 780 dans la cassette confiée à la princesse Charlotte) ;
    2° environ 6250 livres provenant de la vente des effets du duc (dont 1232 F pour la vente des chevaux).

    <o:p>  </o:p>85. Chodron à Contye.17 décembre 1804.
    « Le retour de monsieur Jacques n'ayant pas été aussi prompt que celui des gens, j'ai fait un second voyage pour le voir, et j'en suis revenu hier soir. Je l'ai trouvé aussi bien portant qu'on peut l'être après une captivité de près de neuf mois. Son premier soin a été d'écrire aux princes ainsi qu'à vous. Je sais qu'il se plaint des mesures que j'ai prises lors de l'inventaire, relativement à sa caisse : mais ces mesures étaient commandées par les circonstances du moment, et par l'incertitude où nous étions sur son sort. J'étais certes bien éloigné d'avoir le moindre doute sur son honnêteté...
    De tous nos revenants, c'est le grand Joseph que j'ai trouvé le plus changé, à cause de la maladie grave qu'il a eue dans sa prison ; il a besoin d'un peu de repos pour se refaire. Vous jugez combien il est content et heureux d'aller vous joindre ; rien au monde ne pourrait l'en détourner... »
    <o:p> </o:p>P. S. : Jacques, conduit à Strasbourg avec le duc d'Enghien, avait été transféré à Paris à la fin de mars 1804, et enfermé à Sainte Pélagie, puis au Temple. Pendant plusieurs mois, on ignora à Ettenheim ce qu'il était devenu. Enfin, au commencement de septembre, la princesse Charlotte reçut de lui une lettre, disant qu'emprisonné avec Schmitt et les abbés d'Eymar et Weinborn, il était moins gêné qu'on pouvait le craindre ; que quelques personnes avaient la permission de le voir deux fois par semaine ; qu'il avait la certitude officielle qu'aucun chef d'accusation n'existait contre lui. Charlotte offrait au malheureux Jacques de venir auprès d'elle si rien ne l'attaché ailleurs. Enfin elle est bien occupée de lui et n'oubliera, dit-elle, jamais son dévouement si touchant et la conduite qu'il a tenue, et qui lui ont acquis des droits à jamais sur le cœur de Charlotte.
    Jacques, mis en liberté à la fin de novembre, était, comme on va le voir, resté quelques jours à Paris pour réclamer, mais vainement, le testament du prince.
    <o:p> </o:p>Jacques trouva bizarre la manière comment fut réglée la succession du prince, surtout à son égard. Au mois de juin 1804, comme il paraissait nécessaire d'établir la situation de Jacques vis-à-vis de la succession, le scellé apposé sur la chambre avait été levé, son portefeuille avait été visité par Chodron. Un certain déficit fut constaté. Jacques se montrait très irrité d'une sorte de perquisition faite chez lui en son absence, et qui avait découvert une irrégularité à un moment où il lui était impossible de se justifier.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>86. Jacques à Contye.15 décembre 1804.
    « Vous m'avez toujours traité avec tant de bonté, que j'ose espérer que vous voudrez bien m'aider à remplir un devoir bien douloureux. J'ai osé écrire à leurs Altesses Sérénissimes :
    Je vous prie de leur remettre les lettres ci-jointes.
    Je me suis abstenu, pour ne point renouveler leurs douleurs, de rendre compte des derniers ordres que j'ai reçu verbalement de S. A. S. monseigneur le duc d'Enghien à la citadelle de Strasbourg, ne pouvant me les donner par écrit. C'est vous, monsieur le chevalier, que je supplie de se charger de ce triste et pénible devoir. Je n'entrerai dans aucun détail de cet affreux événement : vous les connaissez sûrement tous. Je me bornerai seulement à vous faire connaître les ordres que j'ai reçus.
    Arrivé à la citadelle de Strasbourg, j'ai eu la satisfaction d'être réuni à mon malheureux maître. Je ne l'ai point quitté jusqu'au moment où les barbares sont venus l'arracher au milieu de nous ; j'ai sollicité vainement à partager son sort. Il l'avait lui-même demandé ; mais ils s'y sont opposés d'une manière bien cruelle. Je passe sous silence le reste de cette scène douloureuse et bien chère à mon cœur. Le lendemain 16 mars, un commissaire du gouvernement et un officier de gendarmerie sont venus pour parafer tous les papiers enlevés. Monseigneur a exigé que j'y fusse présent. La chose étant terminée et les deux personnes retirées, il me dit : «  Je regrette de n'avoir pas demandé à brûler la reconnaissance du prince de Rochefort, et une autre de la princesse. Je regrette aussi de ne pas vous avoir fait lire mon testament ».Le lendemain, veille de son départ, il s'enferma avec moi pendant trois heures, en m'ordonnant de l'écouter attentivement. Je rapporte la conversation mot à mot. C'est S. A. S. qui va parler :
    « Je pense que leur intention est de me garder en otage ; que je serai conduit à Paris et que je pourrai vous avoir avec moi. Je vous promets de le demander, et j'espère qu'ils ne me refuseront pas. Schmitt sera sûrement mis le premier en liberté. Il ira à Londres voir mes parents et leur rendra compte de tout ce qui s'est passé, etc. »
    Un instant après, S. A. S. a continué :
    «  Cependant, si c'était à ma personne seule qu'ils en voulussent, il n'y a pas de doute que vous ne soyez mis tous en liberté et qu'on me refuserait la consolation de vous avoir avec moi. Dans ce cas, je vais vous donner mes ordres, et j'exige votre parole d'honneur que vous les exécuterez de point en point » ;
    Ce que je fis à l'instant.
    « Je veux par là vous engager, connaissant votre probité, afin qu'aucune considération ne vous retienne pour l'exécution de mes ordres. Vous savez que j'ai fait, il y a quelque temps, mon testament. Je regrette de ne vous l'avoir pas fait lire hier ; je me l'étais proposé, et c'est un oubli de ma part. En voici l'essentiel. Je donne tout ce que j'ai à la princesse Charlotte de Rohan Rochefort ; je la charge de différent legs pour mes gens, l'argenterie, que j'ai reçu de mon grand-père, sera rendue, ainsi que d'autres objets dont je ne me rappelle pas. Si le gouvernement revoie mon testament et lettres de créance, la première chose que vous devez faire sera de brûler la lettre de créance du prince de Rochefort, en tout cas de prendre les ordres de la princesse sur cet objet, de passer à son ordre les lettres de change ou d'en faire faire de nouvelles en son nom, afin de lui remettre tout ce que vous avez à moi, tant l'argent qu'en effets, et tout ce qui m'appartient. Si au contraire, mon testament et billets se trouvent égarés ou autrement, comme c'est vous qui avez placé mes fonds, il vous sera facile de les retirer et de les remettre à la princesse. Au surplus, vous prendrez ses ordres et ne ferez rien sans la consulter. Je vous recommande de lui donner tous vos soins. Vous me promettez qu'aucune considération ne vous arrêtera. Pour ma tranquillité, jurez-le-moi encore une fois » ; ce que j'exécutai à l'instant, etc.
    J'ai promis et j'ai juré d'exécuter les ordres ci-dessus. Que ma position est douloureuse, monsieur le chevalier ! Je sens que si je ne faisais pas mon devoir, je ne remplirais que la moitié de ma tâche, si, après avoir été fidèle observateur des ordres que j'ai reçus de mon auguste maître, je m'écartais de ce qu'il m'a donné pour être exécuté après sa mort. Ceux-ci impriment un caractère plus sacré, qu'on appréciera sans douter. J'ose donc espérer, monsieur le chevalier, que vous aurez la bonté de saisir un instant favorable pour mettre sous les yeux de S. A. S. monseigneur le duc de Bourbon les ordres ci-dessus, et que ceux que j'attends se trouveront conformes aux volontés de monseigneur le duc d'Enghien. En attendant, je garderai le secret avant d'en parler à la princesse.
    Après avoir recouvré ma liberté, j'ai eu la faculté de rester quelques jours à Paris. Je les ai employés à faire et à faire faire des démarches vers le gouvernement pour avoir le testament. J'ai eu une réponse favorable de Réal : il m'a fait dire que le gouvernement ne tenait point à conserver cette pièce ; que le premier instant de loisir qu'il aurait, il l'emploierait à la recherche de cette pièce et qu'il me la ferait passer... »
    <o:p> </o:p>* Henry Schmitt ne devait pas s'embarquer pour l'Angleterre. Sorti de prison en novembre 1804, dans le même temps que Jacques, il retourna comme lui à Ettenheim. Il y a appris qu'une pension de deux shillings et demi par jour lui était enfin attribuée.
    « Il ne me reste que cela pour vivre et faire subsister ma malheureuse famille, écrivait-il en avril 1805, ma longue détention m'ayant absolument ruiné, et même fait contracter des dettes auxquelles je ne sais pas quand je pourrai faire honneur ».

      87. Chodron à Contye.26 mars 1804.
    « Dès le moment de son retour, j'ai communiqué à Monsieur Jacques l'article de votre lettre du 26 juillet, par laquelle vous me faite connaître l'intention de monsieur le duc de Bourbon de se l'attacher sur le même pied qu'il était. Il vient de passer ici vingt-quatre heures, et j'ai eu lieu de croire qu'il était très sensible au silence que monsieur le duc de Bourbon a gardé à cet égard dans la lettre très honorable qu'il en a reçue ; qu'il était, aussi, affligé que vous ne lui en eussiez pas dit un mot. Sa longue détention, une maladie de presque trois mois, lui ont coûté des frais considérables, et, si j'eusse été autorisé, je lui aurais probablement fait plaisir de lui donner une portion de son traitement. Mais, délicat comme je le connais, il n'aurait rien accepté sans un ordre positif et je ne lui ai rien offert. Son dévouement, son zèle, son attachement pour son infortuné maître, et le courage avec lequel il s'est livré pour ne pas s'en séparer dans le plus dangereux des moments, lui donnent des droits bien réels aux bontés et à l'intérêt qu'on lui accorde. Il jouissait, outre la table et le logement, de 552 livres, dont une année est échue au 31 décembre dernier, et il y a eu un an dans ce mois-ci qu'il a été privé de la table.
    Rien de plus aisé, je l'espère, que de terminer les conférences d'affaires entre lui et moi. Nous y porterons l'un et l'autre le sentiment d'un devoir à remplir. Aucun reproche fondés ne seront faits. Il s'est laissé prévenir par des rapports mensongers et de misérables caquets, lorsqu'on ne prenait que des mesures de précaution, que le sort dont il était menacé semblait rendre indispensables. On lui a fait croire que son exactitude, sa fidélité avaient été suspectées, et il s'en est violemment aigri. J'ai eu beaucoup à souffrir de sa prévention, qui n'est pas détruite et que peut-être on a un peu aggravée en ne lui parlant pas de sa place de secrétaire des commandements de monsieur le duc de Bourbon. J'attends avec impatience la procuration annoncée, afin de voir dissiper ses inquiétudes... »
    <o:p> </o:p>*Chodron répondait de cette manière au passage suivant d'une lettre de Contye du 10 février 1805 : » D'après ce que vous avez mandé à l'héritier (Bourbon) et à moi, il ne peut exister le moindre douter sur la justice que vous avez rendue à monsieur Jacques, et qu'il mérite à tous égards. Aussi l'intention de l'héritier est-elle que vous vous concertiez avec lui pour terminer cette affaire, et que vous le mettiez bien au fait de tout ce que vous avez fait, afin qu'il vous remplace si vous partez. On lui enverra une procuration en vous envoyant votre congé. » Chodron, qui n'avait différé son retour en France que pour s'occuper de la succession d'Enghien, repassa alors la frontière et se rendit dans sa famille à Provins, où il devait mourir, le 1° août 1806. Il avait réussi à recueillir 42 000 livres, et, sur cette somme, avait envoyé successivement 15 000 livres au duc de Bourbon, le surplus ayant servi à acquitter les dépenses de la succession. Les créances qu'il laissait à recouvrer par Jacques, notamment celles qui sont sur la princesse Charlotte et sur son père, devinrent en grande partie irrécouvrables. Il est possible qu'en ne les réclamant pas, Bourbon ait pensé remplir suffisamment les dernières volontés de son fils envers la princesse.

    <o:p>  </o:p>88. Jacques à Contye.28 mars 1805.
    « J'ai reçu avec respect les ordres de monseigneur le duc, relativement aux dernières volontés de mon auguste maître. Je n'ai pas encore reçu la pièce qu'on m'avait promis de m'envoyer et que je vous avais annoncée. Je crains fort que je ne la reçoive pas de sitôt. Cependant, quelque temps après mon arrivée ici, on m'a mandé que cette pièce existait et qu'on avait tout lieu d'espérer qu'elle serait rendue. Mais, depuis cet instant, d'après les derniers événements qui viennent d'arriver à Paris, les personnes qui s'étaient chargées de cette négociation craignent justement de suivre cette affaire dans ce moment.  Je ne m'en suis pas tenu là ; j'ai intéressé une personne de ma connaissance, qui a quelque crédit dans une cour étrangère, d'en solliciter une autre qui a infiniment de pouvoir en France, pour s'intéresser à cette affaire. Celle-ci a tout promis et ne doute pas qu'elle n'aura une réponse favorable. Peut-être ferai-je un voyage pour solliciter moi-même d'un autre côté. Enfin je ne négligerai rien pour que cette pièce se retrouve.
    Les derniers événements dont je vous ai parlé ci-dessus sont que : vers le 10 de ce mois, un espion déguisé est venu à Rheinau, se disant envoyé de Poupart (la seule personne qui m'a donné des soins pendant ma détention lorsque j'ai pu communiquer), et par lui adressé aux messieurs Roesch, et assurant qu'il était recommandé à madame Charlotte et à moi. Quelques jours après, il en est arrivé un autre parlant le même langage que le premier. Ce dernier était un gendarme déguisé qui a voulu arrêter Roesch le jeune ; mais celui-ci l'a terrassé, cassé son épée, s'est enfui et a aussitôt passé le Rhin. Un instant après, la maison de son père a été investie par quinze gendarmes, la plupart déguisés, et les scellés ont été sur le champ apposés.  Heureusement que Roesch l'aîné et sa femme n'étaient pas à la maison, car ils auraient été arrêtés. Ils se sont évadés et sont en sûreté. Trois autres personnes ont été arrêtées et conduite à Strasbourg.  On ignore absolument la cause de cette mesure rigoureuse ; on présume seulement que, dans le temps, on a présenté une déclaration à Roesch, en lui offrant de l'argent pour la signer ; mais il a refusé parce qu'elle était contraire à la vérité. On assure de même qu'on voulait de nouveau lui présenter cette déclaration et, pour cet effet, s'assurer de sa personne ou quelqu'un des siens, pour l'obliger à la signer. Quelques jours après cet événement, j'ai appris que ce malheureux Poupart était déjà arrêté et conduit au Temple, lorsque le premier espion est venu à Rheinau, se disant envoyé par lui...
    D'après ces détails je crains que la remise de la pièce ne soit retardée, à moins que les autres moyens que j'ai tentés ne réussissent. Mais si, contre mon attente et malgré tout ce que j'aurai pu faire pour l'existence de cette pièce, elle ne se retrouverait pas, je vous supplie, monsieur le chevalier, de me faire connaître dans cette circonstance les ordres du prince et surtout de me mander comment je dois me conduire envers la princesse Charlotte ; si je dois lui dire ce qui m'a été confié à la citadelle, etc. Je vous supplie également de mettre aux pieds de L. A. S. tout mon dévouement respectueux, et que je n'aurai rien de plus à cœur que d'exécuter strictement, dans toutes les circonstances, les ordres dont elles daignent me charger...
    Je vous ai fait part de la position où se trouvent les deux Roesch et la femme de l'un : elle est telle qu'il est difficile d'en trouver une plus affligeante... Ils se sont tous trois évadés, n'emportant avec eux que ce qu'ils avaient sur eux. Madame la princesse m'a communiqué une lettre de monseigneur le prince, par laquelle elle est autorisée d'offrir une gratification à l'aîné. Celui-ci s'est contenté d'un objet de peu de valeur ; mais, dans la position où il se trouve, madame Charlotte a renouvelé ses offres, qui ont été acceptées avec reconnaissances. Au surplus, madame Charlotte doit écrire à ce sujet... »
    <o:p> </o:p>*Cette déclaration était vraisemblablement de même nature que celle demandée, paraît-il, à Canone. Cette déclaration devait consister à dire que le duc d'Enghien était venu en France au moins une fois depuis la Révolution.
    « Monsieur Roesch, écrivait à Chodron le 26 mars 1805, perd tout, état et fortune, pour s'être refusé à l'iniquité dont je vous ai parlé dans le temps. »

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>89. Contye à Jacques.22 avril 1805.
    « J'ai reçu, monsieur, les deux lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, dont j'ai fait l'usage que je devais en les montrant à monsieur le duc de Bourbon, qui me charge de vous dire qu'il est toujours très disposé à exécuter les dernières volontés de son infortuné enfant ; mais il désire que l'on ait le testament pour les suivre plus ponctuellement. Tâchez donc de vous le procurer et faites tous vos efforts pour cela, et soyez sûr qu'après cela toute cette affaire sera bientôt terminée. On pense que vous ferez bien de ne parler de cela à personne, jusqu'à ce que vous ayez en main la pièce dont il est question.
    Vous verrez, par la lettre de monsieur le duc de Bourbon à la princesse, que ses dispositions à votre égard sont toujours les mêmes et que vous pouvez compter sur la place dont on vous a parlé de sa part. Il n'y a rien de changé en ce qui vous concerne ; mais je crois qu'il attendra encore avant de vous mander de venir le joindre, et vous devez bien en deviner la raison... »

    <o:p>  </o:p>90. Jacques à Contye.13 janvier 1806.
    « Lorsque je suis parti d'Ettenheim, je n'étais pas encore parvenu à faire rentrer toutes les créances qui avaient été avancées, par ordre de S. A. S., à différents particuliers, lesquels faisaient partie du montant de ma caisse. J'en ai confié le recouvrement à un honnête homme du pays, qui m'en rendra compte en temps et lieu, et, ce qui me restait d'argent comptant, je l'ai emporté avec moi. Et je m'étais bien proposé de ne pas toucher à ce dépôt ; mais les circonstances malheureuses où je me suis trouvé, m'ont forcé d'en disposer d'une faible partie, sans quoi je serais mort de misère. J'ai cru devoir, monsieur le chevalier, vous prévenir de cette infraction, afin que si on me demandait incessamment compte de ce dépôt, je pusse, par votre intercession, obtenir un délai pour remplacer ce que j'y ai enlevé.
    La princesse de Lorraine et la princesse Charlotte de Rohan sont ici. Je crois qu'elles se rapprocheront bientôt de Vienne. Je compte rester ici le reste de l'hiver, et j'attendrai les ordres qu'il vous plaira de me donner. »

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  •   91. Jacques à Contye.Juillet 1807.
    « J'ai craint que la remise de la pièce (le testament du duc d'Enghien) ne soit retardée, à moins que les autres voies que j'ai tentées ne réussissent ; mais, dans l'un ou l'autre cas, mon devoir m'oblige à communiquer à madame la princesse Charlotte tout ce qui m'a été confié et dont je vous ai rendu un fidèle compte. Tardant plus longtemps, je ne remplirais qu'à demi les intentions de mon auguste maître. Je vous supplie donc, monsieur le chevalier, de me faire connaître les ordres des princes relativement à cet objet, et surtout sur la forme que je dois employer à faire connaître à madame la princesse les intentions de mon maître ; car, pour le fond, il ne doit exister aucun doute que je ne doive remplir strictement les ordres que j'ai reçus. Jusqu'ici le secret a été parfaitement gardé, et j'attendrai la réception de votre réponse pour m'acquitter de cette pénible commission. »
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>*Le prince de Lorraine-Vaudemont avait plusieurs fois exercé des commandements dans l'armée autrichienne, notamment dans la dernière campagne en Allemagne.
    *Le 14 avril précèdent, Jacques avait écrit de Vienne à Contye : «  Je vais souvent à Presburg, où est la princesse Charlotte. Je lui rends tous les soins et services dont je suis capable, et en cela je remplis les ordres de mon auguste maître. Elle est bien mal à son aise. Ce qui lui avait été assuré de France est sans effet. Elle est réduite à ses deux petites pensions, ce qui ne lui donne pas pour le nécessaire... »
                                                                              
    *Le duc de Bourbon avait déjà reçu par Chodron l'argent liquide de la succession, lorsqu'il fut averti verbalement des dernières volontés de son fils. Son entourage prétexta que le texte du testament devait être produit, et laissa même s'élever des doutes sur la réalité de cet acte, resté introuvable. En octobre 1810, Canone qui, d'Angleterre, où il avait suivi Louis XVIII, fit, pour ses intérêts, un voyage à Ettenheim, ne cacha pas ces doutes à Jacques :

    <o:p>  </o:p>92. Jacques à Contye.Décembre 1810.
    «  Il m'a assuré qu'on était persuadé que le testament n'avait jamais existé et qu'il y en avait eu un de fabriquer par le frère de la dame (Charlotte) dont vous me parlez dans votre dernière. C'est bien un tort, si l'on pense ainsi. Je ne chercherai pas à réfuter une pareille assertion ; je me bornerai à assurer que tout ce que j'ai eu l'honneur de vous mander dans ma première lettre, après ma sortie de prison, est l'exacte vérité ».
    * On ne voit pas que Jacques ait reçu l'autorisation de révéler à la princesse le sens d'un testament, qui, même de nos jours, n'a pas été découvert.

    <o:p>  </o:p>93. Puivert à Bourbon.31 janvier 1815.
    « Lorsque le Roi a bien voulu me donner le commandement de Vincennes, ma première pensée s'est portée sur l'affreux attentat dont il avait été le théâtre, et sur la réparation solennelle que réclame l'honneur national et l'amour des vrais français pour l'auguste maison de Bourbon. Mon premier soin a été de m'assurer de la place où reposaient les restes du jeune héros, victime d'une ambition sacrilège. Je la connais ; mais les intempéries de la saison ont encore empêché les fouilles nécessaires pour les retrouver. Avant de les entreprendre, je crois indispensable de se fixer sur les formes expiatoires qui doivent être employées, et sur l'emplacement qui sera choisi pour conserver ces cendres précieuses, que nous arrosons des larmes de l'amour et de la fidélité.
    J'ignore si monseigneur le duc de Bourbon désire qu'elles soient transportées à Saint Denis, dans la sépulture commune des princes de la maison régnante. Dans ce cas, mon zèle doit se borner à des mesures préparatoires, sur lesquelles j'attendrai avec respect et soumission les ordres de S. A. S. Mais j'oserai espérer qu'elles seront déposées, d'une manière plus distinguée peut-être, dans la sainte chapelle du château de Vincennes, fondée par Saint Louis, ce monument antique, vénéré depuis tant de siècles et qui retrace de si glorieux souvenirs. C'est sur le lieu même où le forfait a été commis que l'expiation doit être perpétuelle, et que les cœurs vraiment français aimeront à joindre l'expression profonde de leurs regrets à l'examen touchant des lieux témoins du crime qui commença la punition de l'usurpateur. C'est sous la garde spéciale du plus saint de ses aïeux, que doit être conservé le souvenir éternel de l'un de ses plus dignes rejetons.
    Je dois avoir l'honneur de proposer demain au Roi la restitution de cette église célèbre, profanée depuis vingt-deux ans, au culte divin. Si sa décision est favorable à mes vœux, cette restauration peut-être promptement terminée, et une chapelle ardente, dédiée aux mânes de l'illustre victime que nous pleurons, peut-y être consacrées. En attendant, le corps de monseigneur le duc d'Enghien pourrait être mis en dépôt dans un emplacement décent, que j'ai déjà reconnu dans le château, où il serait exposé à la vénération des français, où l'on dirait la messe tous les jours, et où l'aumônier désigné pour desservir la chapelle veillerait à tous les soins religieux.
    On devrait, en même temps, ériger un cénotaphe dans le fossé, sur la place fatale, entouré d'une barrière, ombragé de cyprès, et il s'empresserait d'aller verser des larmes et s'adresser à l'Eternel des prières ferventes.
    Un prêtre respectable serait chargé de desservir la chapelle. Un vieux militaire, distingué par la constance de ses principes, pourrait l'être de la garde de ces dépôts sacrés, et leur nomination réunirait à des actes de bienfaisance de la part de S. A. S., les soins que doit exiger leur culte et leur conversation.
    Si ces premières idées étaient accueillies, je m'empresserais de donner tous les détails nécessaires pour leur exécution ; et je me trouverai trop heureux si monseigneur veut bien les regarder comme l'expression de mon zèle et de mon dévouement sans bornes pour sa personne et son auguste maison. »

    <o:p> </o:p>Exhumation du corps du Duc d'Enghien.

    <o:p>  </o:p>94. Louis XVIII à Barré Marbois.15 mars 1816.
    « Monsieur le Garde des sceaux, nous avons ordonné que le corps de feu notre cousin et cher parent le duc d'Enghien, enterré près du château de Vincennes, sera exhumé et transféré dans une chapelle qui sera érigée dans ledit château. Notre intention est que cette exhumation soit constatée par une enquête faite avec les solennités qui conviennent à cette triste circonstance. Vous en chargerez un conseiller d'Etat et un maître des requêtes, qui y assisteront de notre part, et rédigeront les actes relatifs à l'exhumation et dépôt du corps. Leur présence sera un témoignage de l'affection que nous portions à notre dit cousin le duc d'Enghien, de la profonde douleur que nous avons ressentie à l'occasion de la mort de ce jeune prince, ainsi que des consolations que nous voudrions donner à ses illustres parents, après le crime détestable qui les a privés de leur plus chère espérance. Et la présente n'étant à autre fin, je prie Dieu qu'il vous ait, monsieur le Garde des sceaux, en sa sainte et digne garde.
    Fait à Paris, le 15° jour de mars de l'an 1816, et de notre règne le vingt unième. »
    <o:p> </o:p>« Je me suis chargé par monseigneur le prince de Condé de la pénible et bien douloureuse commission de rendre compte à V. A. S. de la cérémonie funèbre qui a eu lieu le 21 de ce mois à Vincennes. Je n'entrerai dans aucun détail de tout ce qui est relaté dans les procès-verbaux : ils seront joints à la présente. Je me bornerai à quelques détails séparés.
    Monsieur de Lalanne, de Thury , maître des requêtes, le chevalier de Contye et moi, ont été nommés commissaires par le Roi. J'ai dû assister à la fouille. On a retrouvé la majeure partie de tout ce que je savais que monseigneur avait sur lui à son départ de Strasbourg : je l'ai déclaré avant la fouille. Le tout est relaté dans l'état ci-joint. Les effets précieux ont été renfermés en un paquet ficelé et cacheté, ensuite portés au Roi par monsieur de Ferrand. S. M. lui a de suite ordonné de le remettre à monseigneur le prince de condé, qui l'a reçu hier, et avait conçu le projet de me faire partir sur le champ pour aller porter ce dépôt précieux à V. A. S. Monsieur de Contye s'est joint à moi pour le faire changer de sentiments : nous y sommes parvenus avec beaucoup de peine ; mais monseigneur le prince l'a déposé dans son secrétaire dont il a constamment la clef sur lui, et s'abstiendra de le décacheter jusqu'à ce qu'il connaisse les volontés de V. A. S. Monseigneur le prince me charge particulièrement de vous prier de les lui faire connaître le plus tôt possible, et de faire mention que V. A. S. approuve que je ne sois point parti pour Londres. Monseigneur le prince, en me donnant cet ordre, a ajouté :
    «  J'aimerais beaucoup mieux que mon fils vînt me les transmettre lui-même : j'ai besoin de le voir. »
    Madame la duchesse de Bourbon, madame la duchesse d'Orléans, les commissaires et beaucoup d'autres grands personnages sollicitent avec instance monseigneur le prince, pour obtenir un ducat ou autres choses du dépôt précieux. Monseigneur le prince a répondu que c'est à V. A. S. à en disposer. Si V. A. S. cède aux instances de ces hauts personnages, je la supplie de me désigner pour être chargé de l'exécution de ses ordres : monseigneur le prince a eu la bonté de me dire qu'elle désirerait que ce fût moi.
    La cérémonie a été décente et très bien sous tous les rapports. Toute l'ancienne armée de Condé était à Vincennes, et beaucoup d'autres militaire. J'y suis allé hier ;  J'ai reconnu avec plaisir que la chapelle ardente était très bien décorée ; l'autel était déjà construit. Il y a une lampe et deux bougies allumées nuit et jour, un chapelain qui dira la messe tous les jours à onze heures, et une sentinelle à la porte. La chapelle ardente est précisément dans la chambre du conseil, où mon infortuné et malheureux maître a été inhumainement et injustement condamné.
    Je dois dire que la garnison de Vincennes s'est particulièrement distinguée par les regrets et la douleur qu'elle a exprimés au moment de l'exhumation. Tout ce qui a été a porté du lieu, chacun a voulu emporter un morceau qui avait touché le jeune héros, et plusieurs le partageaient avec leurs camarades. Je dois aussi faire mention de monsieur le marquis de Puivert, qui s'est fait remarquer par la douleur profonde qu'il éprouvait, et les peines qu'il s'est données pour cette cérémonie funèbre.
    V. A. S. connaît assez mon cœur, j'ose le croire, pour être assurée de tout ce que j'ai souffert ; mais ce qui a soutenu mon courage, c'est la conviction que j'ai acquise que ces restes mortels étaient incontestablement de mon maître.
    Madame de Rully a justifié par sa conduite le sang qui coule dans ses veines.
    Monseigneur le prince de Condé a fait fermer sa porte depuis lundi jusqu'à samedi ; il n'a admis à sa table, pendant ce temps, que ses officiers. J'y ai été prié toute cette semaine. On ne peut s'imaginer la sensation que cette cérémonie funèbre a faite sur la grande majorité des esprits de Paris. Cependant elle n'était point générale : car un très grand personnage est allé le 21 au spectacle, au grand mécontentement du parterre. Je me rappelle qu'à une époque aussi douloureuse, il en fit à peu près autant. Monsieur de Lalanne sort de chez moi, et m'a assuré que le Roi vient d'ordonner l'impression des procès verbaux. C'est pourquoi il ne m'en a point adressé de copie. J'attendrai qu'ils soient imprimés pour vous l'adresser.
    Je reçois à l'instant le procès verbal.
    <o:p> </o:p>Note des objets trouvés avec les restes mortels de S. A. S. monseigneur le duc d'Enghien.
    <o:p> </o:p>-Des cheveux entortillés avec les restes de sa casquette ;
    -Une boucle d'oreille très bien conservée ;
    -Une chaîne que S. A. S. portait sur sa poitrine, à laquelle était attaché un médaillon dont il a disposé quelques minutes avant sa mort ;
    -Un cachet d'argent à ses armes ;
    -Des petites clefs qui étaient attachées à un cordon de montre. La montre n'a pas été retrouvé : présume qu'elle a été enlevé.
    -Soixante et quatorze ducats. On a trouvé les deux empreintes du cachet en cire, ce qui constate que le rouleau était intact et qu'il contenait cent ducats. On présume qu'il y en a eu de perdus.
    -Les restes d'une petite bourse en cuir, dans laquelle il s'est trouvé un louis et quelques pièces d'Allemagne et de France.
    -J'ai recueilli, de plus, douze dents et les semelles de botte assez bien conservées ;
    -Et un couteau.
    <o:p> </o:p>*Ce médaillon a probablement été confié au lieutenant Noirot pour être remis à la princesse Charlotte.
    Ces clefs étaient celles des deux cassettes restées à Ettenheim.

    <o:p>  </o:p>95. Bourbon à Condé.2 avril 1816.
    « Après toutes les peines déchirantes que nous avons déjà éprouvées dans cette si cruelle circonstance, il est encore bien dur pour moi-même, en versant des larmes, de rouvrir les plaies de votre cœur sensible ; mais il faut absolument que je vous remercie d'avoir eu la trop délicate attention de ne pas ouvrir, hélas ! Ce qui vous a été remis par le fidèle Jacques. Eh ! Grand Dieu, qui avait plus de droit que vous d'en disposer ! Nos coeurs, nos volontés en cette terrible épreuve, n'en font qu'un. Je vous dirai donc seulement mes idées, sauf à ce que vous croirez plus convenable, ou qui pourrait vous satisfaire davantage ou nos amis communs.
    Pour moi, que j'aie seulement, ou le cachet si vous ne le préférez pas, ou un morceau de la chaîne, n'importe quoi qui lui ait appartenu. Je ne veux que cela.
    Ma sœur désire aussi un petit morceau de la chaîne. Je lui avais offert de la demander tout entière ; mais elle n'en veut absolument qu'un petit morceau ; elle m'a bien recommandé de vous le dire.
    Quand aux ducats, ou autre argent monnaie, mon avis, dirigé par un sentiment personnel pour l'attachement constant du bon et fidèle Jacques, serait qu'il lui fût donné. Quand à madame la duchesse de Bourbon, madame de Rully et nos autres parents ou amis, vous feriez la distribution de ces restes précieux, selon leurs désirs particuliers. Mais, au nom de Dieu, terminez promptement ; car je sens si vivement quel supplice sera pour vous ce renouvellement de douleur en répondant à toutes les demandes ! Chargez en plutôt Jacques, après lui avoir donné vos ordres, et que vous éprouviez au moins du repos, après les cruels jours que vous avez passés cette dernière semaine. Je compte sur vous, cher et tendre père, pour mes remerciements personnels à tous nos amis communs, qui ont témoigné tant d'intérêt à nos malheurs. Recevez, avec votre bonté et votre tendresse accoutumées, les embrassements d'un fils qui vous aime et chérit de tout son cœur. »
    <o:p> </o:p>* Je suis bien aise que Jacques ne soit pas venu à Londres. Hélas ! Sa vue et sa mission m'auraient fait du mal.

    <o:p> </o:p>L'indignation du duc de Bourbon suite à la cérémonie faite ce 21 mars 1816 à Vincennes.

    <o:p>  </o:p>96. Bourbon à Jacques.25 mars 1816.
    « Que je vous plains, mon cher Jacques ! Comme vous avez dû souffrir ! Hélas ! J'ai tout vu dans les papiers. Grand Dieu, quel supplice ! Quelle horreur ! Quelle existence ! Quel renouvellement de peine déchirantes, après tout ce que nous avons souffert ! Au milieu de ma douleur, j'ai bien pensé particulièrement à la vôtre, à celle d'un si bon et si loyal serviteur. Le Times, que j'ai maintenant sous les yeux, en rendant compte de cette cruelle cérémonie, observe avec raison qu'il est monstrueux que tous les scélérats qui ont prononcé ce jugement inique, existe encore, et que l'on n'a entendu parler de l'arrestation ni jugement d'aucun d'entre eux. Parlez donc de cela : qu'on les recherche ; qu'on les mette en poussière. Il ajouta que Murat est le seul qui ait péri. Je n'ai pas la force d'écrire plus longtemps aujourd'hui ; mais j'étais empressé de joindre mes larmes aux vôtres. Ce n'est pas une consolation, mais c'est une jouissance pour des coeurs qui sentent de même. Constante et bien sincère amitié, mon cher Jacques. »

    <o:p> </o:p>Mémoires sur l'enlèvement du duc d'Enghien  et la sentence de Vincennes :

    <o:p>  </o:p>97. Relation de Canone : Marquis de Bonnay.15 septembre1805.
    « Le 12 mars 1804, le duc fut secrètement averti que Bonaparte voulait le faire enlever : la nouvelle venait d'une personne affidée et sûre, et l'on conjurait le prince de quitter Ettenheim sans délai. Monseigneur le duc d'Enghien, peu accoutumé à croire au danger et moins encore à le fuir, méprisa cet avis, qu'il traita même de fable. Il eût cependant la bonté d'en parler à Canone, en qui l'on verra qu'il avait la plus grande confiance. Celui-ci, tout effrayé, prit la liberté de lui représenter qu'un tel avertissement n'était pas à négliger, et qu'il serait prudent de prendre quelques mesures. Son Altesse Sérénissime lui répondit que la chose ne regardait qu'elle, et qu'il se préparât à la suivre à la chasse.
    Monseigneur chassa, en effet, toute la journée, dans les bois de Grafenhausen, près du Rhin. Il n'y avait que la guerre que ce prince préférât à la chasse. Aussi y retourna-t-il encore le 13, après avoir envoyé le baron de Grünstein, son aide de camp, à Offenburg, pour prendre des renseignements sur des arrestations qui venaient de s'y faire, à main armée, par des gendarmes de Bonaparte.
    Le soir de ce même 13, sur le rapport de monsieur de Grünstein, monseigneur le duc d'Enghien permit à celui-ci de coucher dans une chambre voisine de la sienne ; et il ordonna à Canone de faire le guet toute la nuit dans les rues d'Ettenheim. Ce malheureux prince était persuadé que, si Bonaparte osait tenter de le faire enlever, ce ne serait que par un petit nombre de brigands déguisés, et que, pourvu qu'il ne fût pas surpris pendant son sommeil, il lui serait facile de se défendre contre eux.
    Canone passa la nuit à faire la ronde dans toutes les rues d'Ettenheim, et même au dehors. Il n'aperçut ni n'entendit rien, et le lendemain matin, après que son maître fut habillé, il lui en fit son rapport. Cependant, d'après les avis reçus l'avant-veille, et d'après les arrestations déjà faites sur la rive droite du Rhin, il se permit de représenter au prince qu'il serait prudent d'envoyer un homme à cheval à Grafenhausen (village qui se trouvait sur le chemin qui conduit au Rhin), et de l'y tenir caché dans quelque maison bourgeoise, avec ordre de venir avertir en toute diligence, s'il apercevait le moindre mouvement. L'événement n'a que trop prouvé combien cette mesure eût été sage ; car ce fut par ce même Grafenhausen que les assassins de Bonaparte arrivèrent la nuit suivante. Monseigneur le duc d'Enghien répondit à Canone qu'il reconnaissait et qu'il excusait son zèle, mais qu'il devait savoir qu'il n'aimait pas être conseillé. Il le renvoya ensuite en lui disant de revenir prendre ses ordres à neuf heures, et de charger ses pistolets ainsi que toutes les autres armes.
    On était alors au 14 mars. Le prince étant descendu à huit heures chez son hôte, monsieur le baron d'Ichtrazheim, Canone, par la fenêtre du premier étage, aperçut dans la rue deux hommes qui regardaient attentivement la maison : L'un était un ancien quartier-maître du régiment de Rohan, établi depuis quelques mois à Ettenheim sous un prétexte assez vague ; l'autre, quoique déguisé, fut reconnu par Canone pour un maréchal des logis de la gendarmerie de Strasbourg, nommé Felzdorf, ou d'un nom à peu près semblable.
    Canone descendit aussitôt et alla faire part à son maître de sa découverte. Il lui offrit en même temps de suivre ces deux hommes et de lui en rendre bon compte. Monseigneur lui répondit qu'il avait l'esprit frappé, et qu'il se créait des chimères. Il lui ordonna de se calmer, et lui dit au surplus d'observer ces deux hommes, et de voir ce qu'ils deviendraient. Canone courut, et bientôt il revint dire au prince que l'espion Felzdorf était en sentinelle sur la porte de l'auberge, sans doute pour l'examiner quand il sortirait et pour prendre son signalement ; que du reste il avait loué deux chevaux pour Ichenheim, village sur le chemin de Strasbourg. Cependant, monseigneur n'étant pas sorti assez vite, l'homme, lassé d'attendre, renonça à l'espoir de le voir et partit. Canone voulait monter à cheval et courir après lui : Monseigneur le duc d'Enghien, redoutant l'excès et la chaleur de son zèle, s'y opposa, et il envoya à sa place monsieur Schmitt, lieutenant de son régiment, avec ordre d'aller jusqu'à Ichenheim, et de tâcher de découvrir les allures de l'espion.
    Il envoya en même temps monsieur de Grünstein d'un autre côté, prendre des informations sur deux officiers français qui, la veille, avaient traversé Ettenheim en poste, en lui ordonnant de revenir le joindre au bois de Rhinheim, où il serait à chasser.
    Canone se permit encore des observations sur ce projet de chasse : elles furent encore écartées, et l'on partit. Au milieu du bois, le prince rencontra Canone, appuyé sur son fusil, l'air rêveur et préoccupé : «  À ce que je vois, dit-il en passant auprès de lui, la chasse n'est pas aujourd'hui du goût de monsieur ! »
    « En effet, monseigneur, dit Canone, le jour ne me paraît pas très favorable. »
    On chassait encore quand un paysan vint, à travers bois, joindre le prince et lui remettre une lettre. Elle était écrite par un habitant de la rive gauche du Rhin, personnellement connu de monseigneur le duc d'Enghien, et elle portait en substance qu'il y avait des mouvements de troupes dans les environs, et que l'on venait de consigner tous les bateaux de la rive gauche du fleuve. On suppliait le prince de se trouver à la chute du jour dans une petite île en face d'Ettenheim ; on l'assurait que l'on ne manquerait pas de s'y rendre, et que là on lui donnerait de plus grands détails.
    Sur cette nouvelle, monseigneur fit rompre les chiens et retourna à Ettenheim. Il se rendit d'abord chez son secrétaire, monsieur Jacques, malade depuis quelques jours et qui gardait encore le lit. Il lui fit part de la lettre qu'il venait de recevoir. Comme l'heure approchait, monsieur Jacques fut d'avis qu'il n'y avait pas à hésiter, et que son Altesse devait se rendre au lieu indiqué. Après un moment de silence : «  Toute réflexion faite, dit monseigneur, je n'irai pas. » Monsieur Jacques proposa d'envoyer Canone : Monseigneur y consentit d'abord ; mais il était écrit que ce malheureux prince se refuserait à tous les conseils qui auraient pu le sauver. Au moment où Canone allait partir, il le fit rester. On a su depuis que le donneur d'avis, selon sa promesse et non sans danger, s'était trouvé au rendez-vous, y avait attendu longtemps, et s'en était retourné, désespéré de ne pouvoir avertir ni faire avertir le prince de tout ce qu'il avait découvert depuis l'heure de la date de sa lettre.
    Messieurs Schmitt et Grünstein, à leur retour, rendirent compte de leur mission.
    Le premier avait dîné avec l'espion à l'auberge d'Ichenheim. Cet homme s'y était donné pour un marchand de Strasbourg ; il avait dit venir d'Ettenheim où il était à la poursuite d'un débiteur, et il avait loué d'autres pour se rendre à Strasbourg. Monsieur de Grünstein rapporta que les deux officiers français de la veille avaient continué leur route sur Bâle ; que, du reste, il était revenu le long du Rhin et qu'il n'avait rien aperçu.
    Monseigneur sortit pour aller souper dans une maison voisine, et ordonna à Canone d'aller l'y chercher à neuf heures. Ce dernier, se trouvant seul avec monsieur le baron de Grünstein, le conjura de faire en sorte, soit par lui-même, soit par les amis de monseigneur, que son Altesse ne couchât pas cette nuit-là à Ettenheim, et qu'elle s'éloignât pour quelques jours ; mais les plus vives instances lui avaient déjà été faites à cet égard et inutilement : personne n'osait plus revenir à la charge.
    À neuf heures, Canone alla prendre son maître, qui rentra et fit mettre deux lits dans la chambre qui précédait la sienne, l'un pour monsieur de Grünstein et l'autre pour monsieur Schmitt. Quand il fut déshabillé, il demanda ses armes, les fit placer sur une table avec des munitions, puis ordonna à Canone d'aller s'assurer si toutes les portes de la maison étaient bien fermées, et de défendre qu'on les ouvrît à d'autres qu'à des personnes sûres et connues. Enfin, il lui dit de mettre son fusil à côté de lui en se couchant. Canone le supplia de permettre qu'il fit le guet dans les rues, comme la nuit précédente.
    « Non, dit le prince ; il y a trois jours que tu cours jour et nuit ; tu dois être fatigué, et je ne veux pas que tu sortes. » Il lui ordonna de nouveau de se coucher et de laisser ouverte la porte de la chambre. Cette porte était placée de manière que, de son lit, monseigneur le duc d'Enghien pouvait apercevoir le lit de Canone et s'assurer qu'il était là. Canone, agité de mille terreurs et au désespoir que son maître lui eût défendu de sortir, ne put parvenir à s'endormir que vers les quatre heures du matin.
    Un peu après cinq heures, c'était le 15 mars, et il ne faisait encore qu'un très petit jour. Monseigneur l'éveilla en lui criant : « Vite à ton fusil, ils sont à ma porte ! » Canone s'élança. Monseigneur ouvrit une de ses fenêtres, Canone se mit à l'autre, tous deux en joue et prêts à tirer. « Qui est-ce qui commande ici » ? demanda Monseigneur. Il partit une voix qui cria : «  Nous n'avons pas de compte à vous rendre. » Monseigneur mit en joue celui qui avait parlé.
    Alors une des personnes qui avaient couché chez Monseigneur le duc d'Enghien entra dans sa chambre et le retint par le bras, en représentant que toute résistance était inutile, que ce n'était plus quelques brigands déguisés, mais une troupe de ligne très considérable, que déjà les murs de la maison étaient escaladés et la cour remplie de soldats.
    Canone eut la pensée de faire sauver son maître par les fenêtres d'une chambre de domestique, qui donnait sur une ruelle écartée et très étroite, d'où il eût été facile, soit de se cacher dans quelque recoin impossible à découvrir, soit de gagner la campagne en cas que la ville ne fût entièrement cernée. Le prince répugnant à l'idée de se sauver : «  Eh bien, Monseigneur, s'écria Canone, il faut nous défendre jusqu'à l'extrémité. »  «  Tu as raison, s'écria le prince, et suis-moi ! » Tous deux coururent de nouveau à la croisée pour faire feu sur ceux qui étaient dans la rue : on retint le prince une seconde fois.
    Canone alors, voyant que tout était perdu, courut à la chambre par où il avait encore quelque espoir de faire sauver Monseigneur le duc d'Enghien. Deux valets de pied avaient déjà sauté avec succès par cette fenêtre. Si Monseigneur en eût fait autant, jamais il n'aurait pu être trouvé ni atteint : ses valets de pied ne le furent pas. Canone revint le conjurer de prendre ce parti, puisque celui de la résistance n'était plus possible. Monseigneur ne put jamais se résoudre à fuir.
    Un instant après, les portes s'ouvrirent avec fracas, et des soldats mêlés de gendarmes se précipitèrent dans la chambre, les uns la baïonnette en avant, les autres le sabre au poing et le pistolet à la main. Les deux aides de camp de Monseigneur le duc d'Enghien, ainsi que Canone et Féron (celui-ci premier valet de chambre du prince), mais dont le service se bornait à l'intérieur), firent à leur maître un rempart de leur corps. Alors, le commandant de la gendarmerie, ancien perruquier nommé Charlot, s'étant avancé avec l'espion de la veille, demanda : «  Qui est le duc ? » «  Si vous avez ordre d'arrêter le duc, dit le prince, vous devez sans doute le connaître. » « C'est, répliqua l'autre, parce que je ne le connais pas que je le demande », et en même temps, il cria à sa troupe : « Emmenez-moi tous ces messieurs hors de la ville, et attendez-moi près du moulin. »
    Alors on se mit en devoir d'emmener tout le monde, donnant à peine à Monseigneur le temps de jeter un manteau sur ses épaules. Il était en pantalon, en pantoufles et sans bas. Canone courut en ce moment risque de la vie, pour avoir voulu arracher un des pistolets de son maître des mains d'un gendarme qui s'en était saisi. Dix baïonnettes furent croisées sur sa poitrine ; l'ordre de le tuer fut même donné, et il ne dut peut-être son salut qu'à un grand bruit qui se fit entendre au même instant du côté de la porte et qui détourna l'attention.
    C'était monsieur Jacques, le fidèle secrétaire de Monseigneur le duc d'Enghien, qui, oubliant tous ses maux et forçant toutes les résistances, c'était fait jour à travers les soldats. Il se précipita dans la chambre en criant : «  J'espère qu'il me sera libre de rejoindre mon maître, si je le trouve. » Un signe de Monseigneur l'empêcha de poursuivre.
    « Bon, dit le chef, en voilà un de plus ! »
    On traversa la ville ; toutes les rues étaient occupées par des pelotons d'infanterie ; beaucoup de personnes étaient à leurs fenêtres et pleuraient, car Monseigneur le duc d'Enghien était adoré de tous les habitants d'Ettenheim. Arrivés hors des portes, on fit halte près d'un ruisseau qui fait tourner deux moulins, et que les gens de pied passent sur une planche étroite, laquelle se trouvait justement en face de la troupe. On était alors fort peu cerné. Canone fit plusieurs signes au prince pour lui montrer le passage. Au-delà du ruisseau, il  n'y avait qu'une course de cinq minutes à faire pour gagner les vignes ; et si Monseigneur le duc d'Enghien, qui courait mieux et plus longtemps que personne, avait pu les atteindre, on l'aurait bientôt perdu de vue : quelques balles peut-être auraient sifflé à ses oreilles ; mais il aurait échappé. L'inspiration de Canone qui, comme on voit, n'a jamais perdu la tête un instant, était, si l'on y prend garde, le cinquième ou sixième moyen de salut qu'il avait indiqué à son maître. Les autres avaient été rejetés : celui-ci ne fut pas compris.
    Le commandant de la gendarmerie revint en ce moment, amenant avec lui un bourgeois d'Ettenheim qu'il voulait contraindre à lui faire reconnaître le prince. Le pauvre homme pleurait beaucoup et ne répondait rien. Monseigneur, craignant qu'il ne fût maltraité, s'écria alors : «  C'est moi qui suis le duc.»
    L'ordre fut donné de le conduire dans le moulin. On vit ensuite arriver d'autres personnes de la suite de Monseigneur le duc d'Enghien qui avaient été arrêtées dans leurs logements, entre autres monsieur le marquis de Thumery, monsieur l'abbé de Weinborn, officiel de Strasbourg, et son secrétaire, monsieur l'abbé Michel. Monseigneur obtint alors la permission d'envoyer Féron lui chercher du linge et quelques effets.
    Toute la troupe fut conduite au moulin, et un peu après on le fit monter dans un chariot de paysan qui y fut amené. Le général Fririon, qui commandait l'expédition, avait rejoint. Il fit ouvrir la marche par une colonne d'infanterie, la gendarmerie escortait et entourait la voiture.
    Monseigneur le duc d'Enghien, derrière qui Canone se trouvait placé dans le chariot, lui demanda tout bas l'explication des signes qu'il lui avait faits auprès du ruisseau, et il regretta vivement de ne les avoir pas compris. Il lui ajouta que si l'on passait le long du bois de Grafenhausen, il s'élancerait de la voiture et s'y jetterait, et il lui recommanda d'en faire de même. Par malheur, on traversa le village même de Grafenhausen, ensuite celui de Kappel, où l'on se trouva au bord du Rhin.
    Après avoir passé ce fleuve en bateau, on arriva à Rheinau, et de là, à pied, à un grand village, qui est sur la route de Schlettstadt à Strasbourg, et où l'on fit entrer le prince dans une chambre d'auberge, en attendant une voiture. Monseigneur dit alors à Canone : «  Si l'on me sépare ici de ces messieurs, je t'emmènerai avec moi ; nous trouverons peut-être quelque bois sur la route ; alors je me jetterai dedans ; tu me suivras ; nous gagnerons le Rhin, et je compte sur toi pour me passer à la nage. En auras-tu bien la force ? » « Oui, Monseigneur, » répondit Canone, et son ton semblait garantir le succès.
    La voiture arriva. C'était un chariot de poste à quatre places ; on voulait que le prince y montât seul ; il refusa de partir sans Canone ; enfin on s'y prêta. Monseigneur monta le premier ; Charlot, le commandant, se mit à sa droite, Canone et l'espion sur le devant, et un gendarme sur le siège. Chemin faisant, Charlot demanda au prince pourquoi il avait demandé par la fenêtre qui est-ce qui commandait. «  C'est, dit le prince, parce que je ne voulais pas tirer sur un soldat innocent, mais sur le chef. »
    « C'était moi, dit l'autre, que vous teniez en joue. » «  Si je l'avais su, dit le prince, vous n'existeriez plus. » «  Et quel est celui qui, de l'autre fenêtre, me tenait en joue ? » demanda alors l'espion. «  C'était moi, répondit Canone, et je n'attendais que le signal de mon maître pour vous tuer. » «  Diable ! dit-il, vous n'êtes pas bons, à ce qu'il paraît. »
    Il ne se trouva aucun bois sur toute la route. Monseigneur descendit à la citadelle, chez le commandant. Il était quatre heures du soir Il fut mis dans une grande salle, avec de nombreuses sentinelles aux portes et aux fenêtres. Sa suite, qui n'arriva que dans la soirée, y fut mise avec lui.
    Le lendemain 16, à dix heures du matin, le général Leval, commandant de Strasbourg, se présenta. Il paraît que l'on ne soupçonnait nullement à Strasbourg l'ordre que le télégraphe y transmit dès le jour suivant, et que l'on était disposé à témoigner des égards au prince. Le général Leval fit retirer tous les factionnaires de l'intérieur de la chambre. Il transférait Monseigneur le duc d'Enghien dans l'appartement du colonel, mit cinquante hommes de garde dans la première pièce et, de plus, une sentinelle en dehors de chaque croisée de la chambre où était le prince, avec ordre de tirer sur tous ceux qui se montreraient à la fenêtre.
    Le soir du même jour, monsieur de Grünstein fut mis au secret ; monsieur l'abbé de Weinborn et son secrétaire furent également transférés ailleurs. Les uns et les autres furent bientôt et successivement envoyés à Paris et enfermés la plupart au Temple, ainsi que monsieur Jacques, et Schmitt, et que toutes les personnes précédemment arrêtées à Offenburg ;  De sorte qu'après le départ de Monseigneur le duc d'Enghien, il ne resta à Strasbourg que le marquis de Thumery, vieillard qui eut la citadelle pour prison, et que les sieurs Féron et Canone, lesquels furent jetés dans les cachots de la ville, ainsi que Poulin, officier d'office de Monseigneur.
    La journée du 17 se passa assez tranquillement. Le commandant Charlot et un magistrat de Strasbourg vinrent l'après-midi faire à Monseigneur le duc d'Enghien la lecture de quelques papiers trouvés dans un portefeuille qui avait été saisi chez lui : il reconnut que tout lui appartenait. Dans ces papiers était son testament : il demanda s'il pourrait y ajouter quelque chose. On lui répondit qu'il en serait le maître, et on lui remit.
    Le même jour, dans la soirée, le commandant et le major de la citadelle vinrent annoncer à Monseigneur qu'ils venaient de recevoir des ordres, d'après lesquels il aurait la citadelle pour prison et pourrait s'y promener quand il le jugerait à propos. Le commandant même ajouta qu'il savait que le prince aimait le jardinage et qu'il pourrait s'amuser à cultiver le jardin de la maison qu'il occupait. Cette annonce parut faire plaisir à Monseigneur. Il dit à Canone : « Eh bien ! C'est demain dimanche ; nous irons à la messe et lundi nous travaillerons. » Malheureux prince, de quelles illusions il se berçait ! Les ordres reçus par le télégraphe étaient de le conduire à Paris.
    Le 18 mars, à une heure du matin, on frappa rudement à la porte. Canone, va ouvrir. «  C'était cet infâme Charlot avec une nombreuse escorte. «  Allons, monsieur le duc, il faut nous suivre. » Canone habilla son maître : après quoi, il fit un petit paquet de linge qu'il mit sous son bras et il suivait Monseigneur que l'on emmenait déjà. On lui dit que le prince partait seul. « Eh ! Qui le servira ? » S'écria Canone. «  On lui donnera du monde », dit le commandant. «  Mais ces personnes ne connaîtront pas son service. Je veux suivre mon maître ; je ne veux pas quitter mon maître. » Monseigneur s'éloignait toujours. Canone voulut passer malgré la garde ; il fut repoussé et rudement maltraité à coup de crosse de fusil. Monseigneur le duc d'Enghien, qui se retourna, s'en aperçut : «  Rentre, Joseph, lui cria-t-il ; rentre, et crois que je t'en sais le même gré. » Ce furent les dernières paroles du meilleur des maîtres au plus fidèle des domestiques. Ils ne se sont plus revus.
    Monseigneur le duc d'Enghien fut mené à pied hors de la citadelle, peut-être même hors de la ville, jusqu'à l'endroit où l'attendait la voiture destinée à le conduire au supplice. Il y monta, à ce qu'on croit, avec ce même espion Felzdorf, que Canone avait aperçu et reconnu le 13 à Ettenheim. Deux autres gendarmes y montèrent avec lui.
    Il partit, et voici encore un exemple de l'incroyable fatalité qui le poursuivait. À sept lieues de Strasbourg on rencontre la montagne de Saverne, qui est une chaîne des Vosges extrêmement boisée : elle est très raide, très longue, bordée de précipices et il faut la monter au pas. Le plus souvent même, les voyageurs y mettent pied à terre.    Quelques Alsaciens dévoués avaient formé le plan d'enlever de vive force Monseigneur le duc d'Enghien au moment où il passerait. Malheureusement on le fit partir de Strasbourg vingt-quatre heures trop tôt, et le projet échoua. Quelques jours après, monsieur l'abbé Michel, que l'on conduisait également à Paris, étant descendu à cette même montagne sous le prétexte d'un besoin, échappa à deux gendarmes qui le gardaient et ne put jamais être repris.
    Monseigneur le duc d'Enghien partit donc, et l'on sait que pendant la route on ne lui laissa prendre ni nourriture ni sommeil, espérant sans doute qu'à force de fatigues on parviendrait à lui surprendre quelque moment de faiblesse. On sait également que sa grande âme résista à tout et que son courage ne se démentit jamais. On sait enfin qu'il est mort debout, sans permettre qu'on lui bandât les yeux, le front calme, le regard assuré, et donnant lui-même le signal à ses bourreaux. On a rapporté qu'en marchant au supplice  il avait remis un dépôt à un gendarme, et que ce gendarme avait disparu depuis. Ce fait n'a rien d'invraisemblable ; mais l'authenticité ne m'en paraît pas assez garantie pour que je puisse l'attester. Ce qui est constaté, c'est le deuil général qu'a laissé, c'est horreur universelle qu'a excité, en France comme hors de France, la mort de Monseigneur le duc d'Enghien, horreur qui a été partagée par les soldats, par les amis, par les confidents et par la famille même de son assassin. »

    <o:p>  </o:p>98. Mémoire de Carrié.4 novembre 1814.
    « J'étais en garnison à Schlettstadt avec le 22° de dragons ; Je devais à l'estime du général Moreau la place de colonel de ce régiment, lorsque, partageant la disgrâce de cet homme vertueux, et mis sous la surveillance du procureur impérial de Strasbourg, je reçue inopinément, à onze heures du soir, par un aide de camp, l'ordre de faire monter de suite le régiment à cheval et de le porter à Benfeld, moitié chemin de Schlettstadt à Strasbourg, où les généraux commandant la division me donneraient d'autres instructions. Cet officier y mit tant de mystère et de précipitation que cela, joint à la circonstance de la mise en surveillance, firent craindre qu'il vînt pour m'arrêter.
    Parvenu au rendez-vous, les généraux passèrent le Rhin à notre tête. Chemin faisant, je leur entendis prononcer, à voix basse, le nom de Dumouriez : ce mot fixa de suite mon opinion sur le but de l'opération de la gendarmerie, qui était déjà à Ettenheim où elle faisait ses arrestations. Nous étions en bataille devant cette ville, lorsqu'on entendit sonner le tocsin ; Ce qui fit prescrire des mesures pour contenir les habitants, qui semblaient disposés à se soulever. En traversant la ville, je fus ému des cris d'une jeune dame, que j'ai su depuis être madame la princesse de Rohan. Je m'approchai d'elle pour lui prodiguer des égards : elle me dit qu'on venait de lui enlever ce qu'elle avait de plus cher au monde, mais elle ne s'expliqua pas davantage. Les généraux, les troupes, la gendarmerie et quelques personnes arrêtées prirent la route de Strasbourg, et nous reçûmes l'ordre de rentrer à Schlettstadt... »

    <o:p>  </o:p>99. Relation de Schmitt :
    «  Le 13 mars 1804, monsieur de Grünstein fut envoyé par son Altesse à Offenburg pour prendre des informations au sujet de madame de Reich, et devait en même temps y rencontrer un colonel de F... : celui-ci ne se trouva pas au rendez-vous, et monsieur de Grünstein revint et nous apprit que madame de Reich se trouvait encore en arrestation, mais gardée par les bourgeois d'Offenburg.
    Le 14 mars 1804, Monseigneur le duc vint lui-même dans mon logis, et me dit de prendre un de ses chevaux et de suivre sur la route d'Ettenheim à Kalsruhe, un individu arrivé de très bonne heure, à franc étrier, et se donnant pour marchand. Son Altesse me recommanda d'observer l'homme en question, de m'enquérir du but de son voyage et de la direction qu'il prendrait. Je suivis les ordres du prince. Bien monté, je ne tardai point à le rejoindre à Ichenheim, village distant d'environ quatre lieues et situé sur la route d'Ettenheim à Strasbourg... Ses manières et sa tournure dénotaient un militaire déguisé. Je continuai donc ma poursuite, et réglant l'allure de mon cheval, je le gardai en vue jusqu'aux environs de Kehl. Certain qu'il prenait cette direction, je revins sur mes pas, son Altesse m'ayant recommandé d'être de retour vers cinq heures du soir...
    Lorsque je revins à Ettenheim, son Altesse était encore à la chasse, dans la forêt de Rinheim, éloignée d'une demi-lieue environ. Je m'empressai d'aller au-devant du prince. En sortant de la ville, je rencontrai monsieur le baron d'Ichtrazheim, qui s'informa où j'allais en toute hâte. Sur ma réponse, il me remit une lettre pour Monseigneur, me recommandant de la lui remettre à lui-même, et de le prier de la brûler quand il l'aurait lue. Je rencontrai le prince et sa suite au sortir de la forêt. Il me fit aussitôt signe de me taire et m'invita à monter dans sa voiture. Dès qu'il fut rentré, il congédia son monde et me fit monter dans son appartement. Je remis d'abord à son Altesse la lettre du baron d'Ichtrazheim. Lorsque le prince vit l'adresse, il témoigna beaucoup de surprise et me demanda comment cette lettre était venue dans mes mains : je nommai alors la personne qui me l'avait remise et le prince en parut satisfait. Puis, je lui rendis compte de ma mission et des observations que j'avais faites. Monseigneur me répondit : «  Vous avez bien jugé votre homme ; je sais à quoi m'en tenir. » Et, sans autre réflexion, il me congédia.
    J'ai appris après l'événement que le prétendu marchand n'était autre que le brigadier de gendarmerie Pfersdorf, le même qui le lendemain pénétra à la tête des soldats dans l'appartement de son Altesse. Cet homme s'était abouché avec un nommé Stohl, ancien quartier-maître du régiment du prince de Rohan, avec lequel il avait parcouru tout Ettenheim et qui lui avait montré la demeure de son Altesse.
    Le même jour, 14 mars, fatigué de ma course, je me couchai de bonne heure ; mais à peine étais-je au lit, que le domestique de monsieur Grünstein vint me prier de me rendre de suite chez son maître, qui avait quelque chose d'important à me communiquer. Je pris à la hâte quelques vêtements et me rendis auprès de monsieur de Grünstein, où, à peine arrivé, se présenta Joseph (Canone), le chasseur du prince, qui nous dit : «  Son Altesse vous attend en bas. » Nous nous empressâmes de la rejoindre. Le prince nous engagea à l'accompagner chez lui : je m'excusai sur mon négligé et demandai à son Altesse la permission de m'habiller ; mais le prince ne le permit pas. Je dus donc le suivre. Arrivés au domicile du prince, nous apprîmes seulement le motif pour lequel il nous fait appeler.
    Dans la chambre d'entrée qui servait aussi de salon (le logement était fort exigu), des matelas étaient disposés par terre. Le prince nous dit alors : «  Mes amis, je vous ai fait venir pour que vous couchiez près de moi, parce qu'il pourrait prendre envie au gouvernement français de me faire arrêter comme madame de Reich. » Ces paroles de son Altesse, rapprochées de ce qui s'était passé dans la journée, me donnèrent de l'inquiétude. Je l'engageai de se mettre en sûreté en s'éloignant d'Ettenheim, ou au moins de passer la nuit dans un autre local. Mes instances,  réunies à celle des personnes qui se trouvaient là, furent sans effet. J'offris de faire la ronde avec Joseph ; mais son Altesse ne le souffrit pas. Le prince chercha à nous tranquilliser, en nous disant qu'il ne croyait pas le danger si proche, et que si, contre toutes probabilités, nous devions être surpris, il restait une chance de fuite certaine, par l'issue secrète qui se trouvait dans la maison. Son Altesse pour être certaine qu'aucun de nous ne sortirait de l'appartement, le ferma elle-même à clef. Malgré la course fatigante que j'avais faite, je ne pus dormir ; l'apparition d'un homme déguisé, la lettre de monsieur d'Ichtrazheim, l'inquiétude du prince, tout cela me préoccupa fortement.
    Vers minuit, du 14 au 15 mars, j'entendis un bruit ressemblant au piétinement de plusieurs chevaux : je réveillai monsieur de Grünstein ; nous nous mîmes à la fenêtre ; il faisait tellement obscur qu'on ne pouvait rien distinguer, et le bruit avait cessé dans ce moment. Vers quatre heures du matin, le bruit se renouvela, mais avec plus de force : monsieur de Grünstein et moi nous levâmes à la hâte ; on ouvrit une fenêtre, et nous vîmes la cour remplie de soldats. Quelques-uns étaient encore occupés à escalader la porte cochère. Nous réveillâmes le prince, qui dormait d'un sommeil paisible. Dès que son Altesse fut debout, elle nous recommanda le silence, et accompagné de monsieur de Grünstein et de son chasseur Joseph, le prince sortit de l'appartement pour se diriger vers l'issue secrète. Pendant ce temps, Féron, le valet de chambre, et moi, étions occupés à serrer les objets de valeur. L'absence du prince se prolongeant, nous nous en réjouissions déjà, le croyant en sûreté. Mais quelle ne fut pas notre douleur, lorsqu'au bout de sept à huit minutes, nous le vîmes revenir ! La clef de l'issue secrète ne s'y trouvait pas ; on perdit un temps précieux à la chercher, et quand on voulut sortir, tous les abords de la maison étaient gardés.
    C'est alors seulement que le prince nous ordonna de prendre les fusils encore chargés : on se distribua aux fenêtres, prêt à faire feu sur l'ordre de son Altesse. C'est à ce moment que le commandant Charlot, sans aucun doute pour éviter au prince le sort qui le menaçait, s'écria : «  Monsieur le prince, ce n'est pas à vous qu'on en veut ; nous ne cherchons que des émissaires anglais. » Dans le même temps, les portes furent enfoncées, et des gendarmes, ayant à leur tête le brigadier Pfersdorf, le même qui avait fait l'espion, se précipita dans l'appartement, le pistolet au poing.  Monseigneur, voyant alors que toute résistance était inutile, déposa son arme. Nous en fîmes autant.
    On s'empara de nous, et nous fûmes immédiatement dirigés sur le moulin à proximité d'Ettenheim. Ce trajet se fit à pied. Là on s'arrêta, et pendant qu'on saisissait les papiers du prince et que l'on préparait les moyens de transport, le bourgmestre d'Ettenheim constata non seulement l'identité du prince, mais il fut obligé de nommer tous les prisonniers. Cette mesure fut prise, je pense, non pour reconnaître son Altesse, mais pour se convaincre que le nombre des prisonniers à arrêter était complet....
    Nous fûmes tous placés sur un chariot avec des sièges de paille, et ainsi transportés jusqu'au Rhin. Notre escorte était composée du 17° régiment, autant qu'il m'en souvient. Durant la route, je fis la remarque que d'autres troupes étaient échelonnées sur divers points. On passa le Rhin à Kappel. Arrivés sur la rive gauche, on fut obligé de marcher jusqu'à Rheinau. Là son Altesse fut placée sur une voiture avec monsieur Grünstein et Joseph Canone ; le commandant Charlot prit place dans la même voiture et deux gendarmes furent placés sur le siège de devant. Les autres prisonniers furent mis sur un chariot et, entourés d'une forte escorte, nous fûmes conduits à la citadelle de Strasbourg, où l'on arriva vers cinq heures du soir.Rien n'étant disposé pour notre réception, on resta réunis dans une des chambres du commandant de la citadelle. Dans la soirée on nous servit à souper ; mais, malgré notre fatigue et quoique  n'ayant pas encore pris d'aliment depuis la veille, personne ne put manger : les émotions de la journée avaient ôté tout appétit. Après que la table  fut desservie, chacun reçut deux matelas pour sa couche de la nuit.
    Le lendemain, 16 mars, monseigneur le duc fut transféré, ainsi que nous, dans une autre partie de la citadelle ; chacun eut une chambre à lui ; et la disposition du logement était telle que le prince pouvait communiquer avec nous. Monsieur de Grünstein seul fut séparé entièrement de ses compagnons. Dans la matinée du même jour, monsieur le général Leval, gouverneur de Strasbourg, vint avec son aide de camp auprès de son Altesse. Après quelques paroles insignifiantes, le général annonça que Monseigneur et ceux qui l'entouraient auraient la faculté d'écrire, et de faire venir les objets dont nous étions privés pour notre toilette, ajoutant qu'il se chargeait de faire parvenir nos lettres. Chacun s'empressa de profiter de la permission. Son Altesse écrivit à la princesse de Rohan, et nous, soit à nos parents soit à nos amis ; mais les lettres, au lieu d'être rendues à leur destination, prirent la route de Paris. Quelle jolie canaillerie ! Dans l'après-midi le valet de chambre de son Altesse, escorté d'un gendarme, se rendit à Ettenheim pour prendre les effets du prince et de l'argent. Le même jour, vers le soir, se présentèrent un sieur Popp et le commandant Charlot, pour procéder à la visite des papiers du prince.
    Le 17 mars, on fit une partie de cartes. Après-midi, les mêmes personnages visitèrent encore les papiers de son Altesse et les placèrent sous scellés pour être envoyés à Paris. Le soir, l'aide de camp du général Leval vint nous dire que l'ordre était arrivé par le télégraphe, d'alléger autant que possible notre captivité et que nous aurions le loisir de nous promener dans la cour de la citadelle. On fit espérer au prince qu'un petit jardin serait mis à sa disposition et que, le dimanche, nous pourrions entendre la messe dans la chapelle de la citadelle. Cette amélioration dans notre sort, qu'on nous promettait, nous parut de bon augure et releva notre moral. Monseigneur lui-même se fit illusion ; aussi le souper fut gai, contre l'ordinaire. On fit mille conjectures sur ce changement à notre égard ; le prince nous dit : «  Il est probable que tout ceci n'est que le résultat d'une erreur ; car rien dans ma conduite, ni dans ma correspondance ne justifie la rigueur avec laquelle on me traite » : et il ajouta : «  Ce qui peut m'arriver de pire, c'est d'être retenu prisonnier jusqu'à la conclusion de la paix avec l'Angleterre. Quand à vous, mes amis, je ne doute pas qu'on va vous rendre bientôt la liberté. »
    Ce fut, hélas ! Le dernier jour que nous devions avoir l'honneur de nous trouver avec l'infortuné prince ; tout l'espoir que nos geôliers avaient donné, toutes les promesses faites n'étaient qu'amère ironie ; et tout cependant, pour le moment, devait nous confirmer dans notre erreur ; car on sembla se relâcher de la surveillance sévère à laquelle nous fûmes d'abord soumis. Il n'y eut plus de sentinelles dans la chambre ; il n'y eut qu'un poste à l'extérieur de l'appartement. Bercés par un espoir qui devait être cruellement déçu, chacun s'apprêtait à passer, pour la première fois depuis notre arrestation, une bonne nuit. Son Altesse voulut bien, cette même nuit, faire placer mon lit dans sa chambre. Je couchai par terre sur les matelas à côté du prince. Vers minuit, on frappa à la porte, fermée pour la première fois. Son Altesse, qui dans ce moment ne dormait pas, m'appela et me dit : « Schmitt, on frappe à la porte ; voyez ce que l'on veut. » Je me levai à la hâte pour ouvrir : quatre personnes couvertes de manteaux entrèrent : c'étaient le commandant de la citadelle, le commandant Charlot, l'officier de garde et le sous-officier de gendarmerie Pfersdorf. Le commandant Charlot prit la parole et dit : «  Monsieur le duc, on vous demande à Paris. » Le prince questionna : « Tout seul ? » La réponse se faisant attendre, Monseigneur ajouta : «  Ne pourrais-je pas prendre un de mes officiers ou au moins un domestique avec moi ? » Le commandant répondit sèchement : «  Je n'ai point d'ordre pour cela. » Son Altesse demanda alors quelque linge, qu'on mit dans une serviette, et son manteau. Je réveillai nos autres compagnons, messieurs de Thumery, Jacques et les domestiques. Dès que l'infortuné prince fut habillé, qu'il eut pris sa montre et quelque argent, il nous fit ses adieux et nous embrassa ; nous voyant tous en larmes, son Altesse ajouta : «  Tranquillisez-vous ; nous nous reverrons. » Ce furent les dernières paroles que nous entendîmes sortir de sa bouche. Le prince partit escortés par un officier et le brigadier Pfersdorf, sa voiture entourée de gendarmes qui se relayaient de deux heures en deux heures, et fut ainsi transporté à Paris.
    Les autres prisonniers, à l'exception de monsieur de Thumery, de Joseph Canone et de Féron, furent aussi dirigés sur Paris, monsieur Grünstein le 20 mars, monsieur Jacques le 24 mars. Je l'avais précédé dès le 22 mars avec monsieur l'abbé d'Eymar, arrêté à Offenburg et deux sous-officiers de dragons. Arrivés à Paris, monsieur de Grünstein fut mis à l'Abbaye, monsieur Jacques à Bicêtre, monsieur l'abbé d'Eymar à la Petite Force, et moi à la Grande Force, où je restai près de trois mois au secret. Au bout de ce temps, étant tombé malade, on me transporta à la Petite Force, où je restai jusqu'au mois d'août, traité avec moins de rigueur ; puis je fus conduit au Temple. Je n'obtins ma liberté que quelques jours avant le couronnement de l'empereur. On me donna d'abord une carte de sûreté avec défense de sortir de Paris, et la veille du couronnement j'obtins un passeport, avec injonction de sortir de France et de me tenir à trente lieues des frontières.
    Voici le récit des événements dont j'ai été le témoin oculaire et auxquels j'ai été mêlé. L'histoire a consigné à jamais les suites qu'a eues cette arrestation arbitraire, faite en violation du droit des gens.
    (Ce récit, composé en allemand, a été traduit par le petit-fils de monsieur Schmitt et inséré dans la Revue d'Alsace « numéro de mai-juin 1895 ». En 1844, il avait été communiqué à monsieur Muret par monsieur Schmitt, mort seulement en 1847. Monsieur Muret par la suite en a reproduit en grande partie une version française dans son histoire de l'armée de Condé.)

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  •   100. Récit de Borgh. (Emigrés)14 février 1811.
    « Je vais consigner ici les douloureux détails... qui m'ont été à New York, dans le courant de l'année 1809, par le général Moreau, en même temps qu'ils m'y furent aussi confirmés par monsieur Hyde Neuville. Prisonnier au Temple, le général Moreau y obtint ces détails de l'un des gendarmes qui, peu de jours après la consommation du crime, se trouvait de garde auprès de lui... »
    « Commandé de service extraordinaire au château de Vincennes, ainsi que plusieurs de mes camarades, je ne savais nullement, ni eux non plus, de quoi il était question. Vers les onze heures du soir, nous apprîmes, mais confusément, que le duc d'Enghien, convaincu d'avoir voulu faire assassiner Bonaparte, incendier Paris, etc., était dans le château pour y être jugé cette nuit même. À une heure du matin, seize d'entre nous, du nombre duquel j'étais, reçûmes ordre de prendre et charger nos armes. On nous fit ensuite descendre dans les fossés du château, en observant le plus grand silence, et sans nous informer de ce que l'on se proposait. Arrivés à trois ou quatre pas du premier angle, on nous fit faire halte, l'arme au pied. La nuit était froide, pluvieuse et très obscure. Au bout d'une grosse demi-heure de silence et d'immobilité, que tout nous fit paraître plus longue, on nous dit enfin qu'un conspirateur, bien convaincu d'avoir voulu tout bouleverser et replonger la France dans les horreurs des derniers temps de Robespierre, et très justement condamné à mort, allait être amené sous peu d'instant vis-à-vis de nous, à la distance de quatre ou cinq pas ; que le signal de le fusilier serait donné par un officier faisant face au criminel, et que ce signal serait 1° de porter la main à son chapeau ; 2° de se découvrir la tête. On nous recommanda de nouveau de ne pas bouger, d'observer constamment le plus grand silence et de n'avoir d'yeux que pour le signal et le criminel, etc. Quelques-uns observèrent que l'obscurité de la nuit ne permettait pas que l'on vît à un pas devant soi : on leur répondit qu'il y serait prévu lorsqu'il en serait temps ; qu'eux ne seraient pas vus, mais qu'ils verraient très bien. Chacun se tut, et le plus morne silence succéda. »
    « Vers les deux heures du matin, nous entendîmes marcher vers nous et confusément ; à un signal convenu d'avance, séparés en deux parties de huit hommes chaque, nous nous préparâmes. Bientôt, à la faible lueur d'une sorte de lanterne sourde, à demi ouverte, que portait un adjudant général dépasser l'angle du mur d'environ sept ou huit pas, suivi à peu près à la même distance par un homme (c'était le malheureux prince), qu'on fit arrêter précisément vis-à-vis de nous, à cinq pas tout au plus. L'adjudant général tenait sa lanterne de manière qu'on ne pouvait effectivement pas nous voir, quoique nous vissions distinctement, non seulement les deux personnes déjà nommées, mais encore quelques autres (principalement gendarmes), qui fermaient la marche et ne tardèrent pas  à  se retirer de quelques pas, aussitôt que le prince se fut arrêté. Alors aussi nous observâmes qu'un trou, fraîchement fouillé, se trouvait entre le prince et nous (il ne pouvait pas non plus le voir). L'adjudant général, s'étant arrêté, se retourna pour faire face au prince, ouvrit son manteau, et s'éclairant de sa lanterne, lut l'acte d'accusation et la sentence. Lorsqu'il eut fini, le prince, qui était debout, demanda qu'il lui fût accordé de voir Bonaparte et de lui parler. L'adjudant général, sans dureté dans ses expressions ou dans le son de sa voix, répondit que cela ne se pouvait pas. Le prince demanda qu'il lui fût au moins permis d'écrire à Bonaparte. Cette seconde demande fut refusée de même que la première. Alors l'illustre victime exprima le désir qu'on lui accordât un ecclésiastique pour lui administrer les secours de la religion, témoignant en même temps quelque confiance qu'une demande si juste ne pouvait lui être refusée, observant d'ailleurs qu'une ou deux heures suffiraient. L'adjudant général, paraissant ému ou humilié, lui répondit d'une voix faible et altérée, qu'il était peiné de devoir refuser même cette dernière demande, mais que ses ordres étaient positifs. Alors monseigneur le duc d'Enghien, levant les yeux vers le ciel et s'élevant la voix, s'écria :
    « Combien il est affreux de périr ainsi de la main des Français !
    En ce moment, l'adjudant général portant vivement la main à son chapeau, comme s'il eût craint ce que pourrait ajouter le prince, et se découvrant aussitôt, huit gendarmes firent feu. Le prince tomba mort et fut aussitôt mis, tout habillé, dans la fosse qui lui avait été préparée. L'adjudant général ne se retira qu'après l'avoir fait combler... »

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Lettre annonçant l'envoie des premiers papiers confisqués à Ettenheim par le général Ordener. Ainsi que la lettre du Premier Consul attestant de la réception de la correspondance du prince.

    <o:p>  </o:p>101. Ordener au Premier Consul.15 mars 1804.
    « J'ai l'honneur de vous adresser, mon général, le procès-verbal, et les papiers qui ont été saisis chez le duc d'Enghien. À mesure que ceux des autres individus seront vérifiés, le général Caulaincourt vous les fera passer. Quoique ma mission soit remplie, j'attendrai vos ordres pour mon retour à Paris. »
     
    *Bizarrement le rapport de l'enlèvement rédigé par Ordener n'a pas été retrouvé. L'existence de cette pièce a été attestée plus tard par le fils du général, qui accompagnait son père à Ettenheim et même pénétra dans la maison du duc. Et apparemment l'envoient des papiers du duc d'Enghien n'eurent pas lieu ce 15 mars, mais un peu plus tard.

    <o:p>  </o:p>102. Le Premier Consul à Réal.19 avril 1804.
    « Citoyen Réal, conseiller d'État, je vous envoie les papiers du duc d'Enghien. J'ai gardé le paquet de sa correspondance avec le comte de Lille, qui ne contient rien d'important que deux lettres de bonne année, et une relative aux prétendues propositions qui leur ont été faites par la Prusse pour qu'ils renoncent à leurs droits au trône.
    Il est question, dans le procès-verbal, d'un portefeuille rouge où il y aurait des lettres de la duchesse de Bourbon, sa mère. « Ce portefeuille ne m'a pas été envoyé. »
    Je vous transmets aussi un rapport de Freiburg, que Caulaincourt m'envoie.
    Je désire deux choses : la première, que vous fassiez mettre dans tous les journaux un article qui fasse connaître que l'Angleterre, au moment où elle envoyait Georges sur nos côtes, prenait à  soldes tous les émigrés qui se trouvaient en Allemagne ; la deuxième, que vous envoyiez deux agents adroits, l'un à Munich, l'autre à Freiburg, qui prendraient les noms de tous les émigrés qui s'y trouvent, avec leur âge et le département dont ils sont, afin que ces notes puissent nous servir à arrêter enfin notre liste d'émigrés.
    Je vous envoie aussi une note relative à un employé de la poste qui a été arrêté, et une autre relative à un passage d'un journal qui s'imprime à Weissemburg et qu'il faut faire supprimer...
    Enfin je vous prie de consulter Méhée sur notre agent près l'électeur de Baden, nommé Massias, pour savoir s'il est ou non marié, et quelles sont les preuves de suspicion contre lui....... »
    <o:p> </o:p>*C'est vers dix heures du matin, le 19 mars, que le Premier Consul a reçu à la Malmaison un troisième courrier, probablement Dufour, envoyé de Strasbourg le 17, à trois heures et demie de l'après-midi. Ce courrier apportait :
    1° Les papiers du duc, divisés en liasses et accompagnés d'un procès-verbal, remis au général Ordener.
    2° Une correspondance de monsieur de Caulaincourt, contenant notamment des plaintes contre l'esprit jacobin du journal et de deux magistrats de Weissenburg, un rapport sur les émigrés de Freiburg, le conseil d'envoyer promptement à Paris les prisonniers, quelques renseignements sur le général Desnoyers.
    3° Le rapport de monsieur de Berckheim sur sa mission à Karlsruhe le 16 mars, et la dépêche de monsieur Massias du 15-16 mars.

    <o:p> </o:p>Les départs des courriers pour Paris :
    Le courrier Amadour-Clermont a été dépêché de Strasbourg le 15 mars, à neuf heures et demie du soir. Il est arrivé le 17 mars à Paris. (Archive Nationale) Ce courrier emportait les rapports des deux généraux sur les enlèvements et une demande d'instructions. Il emportait aussi la nouvelle de l'arrestation du général Desnoyer.

    <o:p>  </o:p>103. Popp à Réal.19 mars 1804.
    « J'ai l'honneur de vous rendre compte, qu'en vertu des ordres du gouvernement, transmis par le général de brigade Ordener, commandant les grenadiers à cheval de la garde du gouvernement, j'ai été chargé par le conseiller d'État préfet, d'examiner, conjointement avec le chef du 38° escadron de gendarmerie nationale, les papiers saisis sur le duc d'Enghien, à l'époque de sa translation d'Ettenheim sur la rive gauche du Rhin. Nous avons procédé à cette opération avant-hier soir et hier matin ; les papiers que nous avons joints à notre procès-verbal ont été remis sur le champ au général Ordener, et par lui adressés au Premier Consul par un courrier extraordinaire, parti hier à trois heurs de l'après-dîner.
    Nous allons continuer la vérification des papiers de toutes les autres personnes déposées à la citadelle. Ces opérations nous laissent à peine quelques moments pour la correspondance la plus essentielle. Nous saisirons le premier moment opportun, le chef d'escadron Charlot et moi, pour coucher par écrit la relation des deux entrevues que nous avons eues avec le duc : peut-être ne vous paraîtra-t-elle pas sans quelque intérêt.
    Je dois à la justice, citoyen conseiller d'État, de vous parler ici du chef d'escadron Charlot. Dans le compte qu'il a rendu au général Moncey de l'expédition d'Ettenheim, il a demandé un avancement promis depuis longtemps et bien dû au brave Pfersdorf, maréchal des logis de la gendarmerie ; mais sa modestie l'a empêché de parler des excellentes dispositions que lui (le citoyen Charlot) a faite, du sang-froid et de l'énergie qu'il a mis dans cette importante circonstance, et des dangers imminents qu'il a courus, au moment où il a sommé le duc et les siens de se rendre et que celui-ci l'a couché en joue. Témoin du récit que le duc en a fait lui-même, et des regrets qu'il paraît éprouver de ne pas avoir tué le citoyen Charlot, je dois cet hommage à la vérité et aux principes du gouvernement de récompenser ceux qui en ont bien mérité. Sous ces rapports, le chef d'escadron Charlot, déjà si recommandable par ses services antérieurs, est digne de fixer les regards du gouvernement. Pardonnez, citoyen conseiller d'État, cette digression que m'arrache mon amour pour la vérité et mon respect pour le gouvernement. »
    <o:p> </o:p>* Cette lettre est datée du 19 mars : elle a cependant été écrite la veille, puisque Popp dit que l'examen des papiers du duc a été fait « avant-hier soir et hier matin », c'est-à-dire les 16 et 17 mars.

    <o:p>  </o:p>104. Le Premier Consul à Réal.22 mars 1804.
    « Citoyen Réal, conseiller d'État, vous trouverez ci-joint un portefeuille rouge du duc d'Enghien, contenant les lettres de change ci-après :
    Une lettre de change de 2000 ducats ;
    Une de 7,150 florins d'Empire ;
    Une de 500 louis ;
    Une de 3,850 florins d'Empire ;
    Une de 100 louis ; Une de 300 louis ;
    Ci-joint également deux notes qui y sont relatives.

    <o:p> </o:p>Lettre du duc d'Enghien à la princesse Charlotte.

    <o:p>  </o:p>105. Enghien à Charlotte de Rohan.16 mars 1804.
    « On me promet que cette lettre vous sera exactement remise ; ce n'est qu'en ce moment que j'ai pu obtenir de vous rassurer sur mon sort présent, et je ne perds pas un instant pour le faire, vous priant de rassurer aussi tous ceux qui me sont attachés dans les environs. Toute ma crainte est que cette lettre ne vous trouve plus à Ettenheim, et que vous ne soyez en marche pour venir ici ; le bonheur que j'aurais de vous voir n'égalerait pas à beaucoup près la crainte que j'aurais de vous faire partager mon sort. Conservez-moi votre amitié, votre intérêt ; il peut m'être utile, car vous pouvez intéresser à mon malheur des personnes de poids. J'ai déjà pensé que peut-être vous étiez partie. Vous avez su, par le bon baron d'Ischtrazheim, la manière dont j'ai été enlevé, et vous avez pu juger, à la quantité de monde que l'on avait employé, que toute résistance eût été inutile ; on ne peut rien contre la force. J'ai été conduit par Rheinau et la route du Rhin. On me témoigne égards et politesse ; je puis dire qu'à la liberté près, car je ne puis sortir de ma chambre, je suis aussi bien que possible ; tous ces messieurs ont couché avec moi parce que j'ai désiré ; nous occupons une partie de l'appartement du commandant, et l'on m'en fait préparer un autre dans lequel j'entrerai ce matin et où je serai encore mieux. On doit examiner les papiers que l'on m'a pris, et qui ont été cachetés sur le champ avec mon cachet, ce matin, en ma présence. D'après ce que j'ai vu, on trouvera des lettres de mes parents, du Roi, et quelques copies des miennes.  Tout cela, comme vous le savez bien, ne peut me compromettre en rien de plus que mon nom et ma façon de penser ne l'ont pu faire pendant le cours de la Révolution. Je crois que l'on enverra tout cela à Paris, et l'on m'a assuré que, d'après ce que je disais, on pensait que je serais libre sous peu de temps. Dieu le veuille ! On cherchait Dumouriez, qui devait être dans nos environs ; on croyait apparemment que nous avions eu des conférences ensemble, et apparemment il est impliqué dans la conjuration contre la vie du Premier Consul. Mon ignorance de tout cela me fait espérer que je pourrai obtenir ma liberté ; mais cependant, ne nous flattons pas encore. Si quelques-uns de ces messieurs sont libres avant moi, j'aurai un bien grand bonheur à vous les renvoyer, en attendant le plus grand. L'attachement de mes gens me tire à chaque instant des larmes des yeux : ils pouvaient s'échapper, on ne les forçait point à me suivre ; ils l'ont voulu. J'ai Féron, Joseph et Poulin ; le bon Mohilof ne m'a pas quitté d'un pas. Je n'ai encore vu ce matin que le commandant, homme qui me paraît honnête et charitable, en même temps que strict à remplir ses devoirs. J'attends le colonel de la gendarmerie qui m'a arrêté et qui doit ouvrir mes papiers devant moi. Je vous prie de faire veiller le baron à la conversation de mes effets ; si je dois demeurer plus longtemps, j'en ferai venir plus que je n'en ai ; j'espère que les hôtes de ces messieurs auront soin aussi de leurs effets. Le pauvre abbé Weinborn et Michel sont de notre conscription et ont fait route avec nous. Mes tendres hommages à votre père, je vous prie ; si j'obtiens un de ces jours d'envoyer un de mes gens, ce que je désire beaucoup et ce que je solliciterai, il vous fera tous les détails de notre triste position. Il faut espérer et attendre. Vous, si vous êtes assez bonne pour me venir voir, ne venez qu'après avoir été, comme vous le disiez, à Carlsruhe. Hélas ! Outre toutes vos affaires et les longueurs insupportables qu'elles entraînent, vous aurez à présent à parler aussi des miennes ; l'électeur y aura sans doute pris intérêt ; mais pour cela, je vous en prie en grâce, ne négligez pas les vôtres.
    Adieu, princesse, vous connaissez depuis bien longtemps mon tendre et sincère attachement pour vous : libre ou prisonnier, il sera toujours le même.
    Avez-vous mandé notre désastre à madame d'Ecquevilly ? »

    <o:p> </o:p>Interrogatoire :

     106. Interrogatoire de Vaudricourt.23 avril 1804.
    « Connaissez-vous le jeune homme que vous avez vu tel jour, à telle heure, en tel endroit ? Ce jeune homme a fait une fois un voyage : savez-vous qui il a été voir près de Thionville ? Connaissez-vous Vellecourt ? Avez-vous connaissance que ce jeune homme ait été ou dû aller à Vienne ou à Varsovie ? Pourquoi lui avez-vous remis des lettres ? Par quel autre moyen avez-vous reçu des correspondances de Clery et d'autres individus ? (Vous avez reçu de Clery un billet de la part du prétendant, dans lequel on vous dit que vous pourrez vous entendre avec un homme qui à toute confiance du comte de Lille).Connaissez-vous le duc d'Enghien ? (Vous êtes-vous vanté d'avoir été son mentor ? Qui connaissez-vous auprès de lui ?
    Qu'est venu faire chez vous, tels et tels jours, un homme... en demander le signalement à Fouché. Connaissez-vous... l'agent dont Maret donnera le nom ? Qu'y avez-vous été faire, tels et tels jours ? (Dans la première conférence, aux premiers jours de nïvôse, on lui a demandé avec quels hommes puissants d'autres hommes puissants pourraient traiter. Il a indiqué monsieur de la Rochefoucauld.) Connaissez-vous monsieur de la Rochefoucauld ? Qu'est venu y faire un tel, tels et tels jours, avec tels et tels agents ?
    Connaissez-vous le comte de Laval ? Où l'avez-vous vu la dernière fois ? Connaissez-vous monsieur de Virieu ? Quel discours avez-vous tenu à monsieur de Septeuil, ou tout autre membre... ce doit être le beau-frère de Damas. Fouché doit le savoir : il a été noté ; c'est celui du quai Voltaire.
    Quel jour a-t-il répondu ?
    Connaissez-vous madame Barbazan ? Combien de fois l'avez-vous vue ? De quoi traitiez-vous ?  Ne lui avez-vous pas remis une lettre ?........ »

    <o:p> </o:p>Cette lettre prouve que la sentence était déjà connue. (Seul prince proche de la France).

    <o:p>  </o:p>107. Le Premier Consul à Murat.19 mars 1804.
    « Citoyen général Murat, j'ai reçu votre lettre. Si le duc de Berry était à Paris logé chez monsieur de Conbenzl, et monsieur d'Orléans logé chez le marquis de Gallo, non seulement je les ferais arrêter cette nuit et fusiller, mais je ferais aussi arrêter les ambassadeurs et leur ferais subir le même sort, et le droit des gens ne serait en rien compromis. Mais, comme il est de toute impossibilité que ces ministres, sous peine de risquer leur tête, se fussent portés à une démarche aussi insensée, et comme, bien loin d'autoriser cette conduite, le cabinet de Vienne ne veut autoriser le séjour d'aucun prince français à Vienne, je ne veux faire aucune perquisition chez eux. Vous ferez bien de faire arrêter celui qui vous a donné cet avis, qui ne peut être qu'un misérable. Tout le monde sait, hormis les badauds, que les maisons des ambassadeurs ne sont point des asiles pour les crimes d'Etat. Ne vous laissez donc pas amuser par de pareilles folies. Rejetez cela bien loin, et ne souffrez pas que devant vous on dise cela. Quand à la seconde partie, le prince Charles, vous sentez vous-même combien cela est horriblement absurde. Le prince Charles est un homme brave et loyal, auquel je suis particulièrement attaché, et Coblenzl et Gallo sont des hommes qui, bien loin de cacher des individus qui conspiraient contre moi, seraient les premiers à m'en donner avis. 
    Mon intention n'est pas même qu'il y ait aucune surveillance extraordinaire autour de leurs maisons.
    Il n'y a pas d'autre prince à Paris que le duc d'Enghien, qui arrivera demain à Vincennes. Soyez certain de cela, et ne souffrez même pas qu'on vous dise le contraire. »

    <o:p> </o:p>Les ordres pour l'exécution de la sentence.
                                                              
      108. Réal à Murat.20 mars 1804, à 4 heures du soir
    « Général, d'après les ordres du Premier Consul, le duc d'Enghien doit être conduit au château de Vincennes où les dispositions sont faites pour le recevoir. Il arrivera probablement cette nuit à cette destination. Je vous prie de faire les dispositions qu'exige la sûreté de ce détenu, tant à Vincennes que sur la route de Meaux, par laquelle il vient. Le Premier Consul a ordonné que le nom de ce détenu et tout ce qui lui serait relatif fût tenu très secret. En conséquence, l'officier chargé de sa garde ne doit le faire connaître à qui que ce soit : il voyage sous le nom de Plessis. Je vous invite à donner, de votre côté, les instructions nécessaires pour que les intentions du Premier Consul soient remplies. »

    <o:p>  </o:p>109. Réal à Harel.20 mars 1804, à 4 heures et demie.
    « Un individu dont le nom ne doit pas être connu, citoyen commandant, doit être conduit dans le château dont le commandement vous est confié : vous le placerez dans l'endroit qui est vacant, en prenant les précautions convenables pour sa sûreté. L'intention du gouvernement est que tout ce qui lui sera relatif soit tenu très secret, et qu'il ne lui soit fait aucune question sur ce qu'il est, et sur les motifs de sa détention. Vous-même devrez ignorer qui il est. Vous seul devrez communiquer avec lui, et vous ne le laisserez voir à qui que ce soit, jusqu'à nouvel ordre de ma part. Il est probable qu'il arrivera cette nuit. Le Premier Consul compte, citoyen commandant, sur votre discrétion et votre exactitude à remplir ces différentes dispositions. »

    <o:p>  </o:p>110. Le Premier Consul à Réal.20 mars 1804.
    « Je vous envoie la lettre de Caulaincourt. Il paraît que le duc d'Enghien est parti le 26 (17 mars) à minuit. Ainsi, il ne peut tarder à arriver. Je viens de prendre l'arrêté dont vous trouverez ci-joint copie. Rendez-vous sur le champ à Vincennes pour faire interroger le prisonnier.
    Voici l'interrogatoire que vous ferez :
    1° Avez-vous porté les armes contre votre patrie ?
    2° Avez-vous été à la solde de l'Angleterre ?
    3° Avez-vous voulu offrir vos services à l'Angleterre pour combattre contre l'armée qui marchait sous les ordres du général Mortier pour conquérir le Hanovre ?
    4° N'avez-vous pas eu des correspondances avec les anglais, et ne vous êtes-vous pas mis à leurs dispositions, depuis la présente guerre, pour toutes les expéditions qu'on voudrait faire contre la France, à l'extérieur ou à l'intérieur ; et n'avez-vous pas oublié tous les sentiments de la nature jusqu'à appeler le peuple français votre plus cruel ennemi ?
    5° N'avez-vous pas proposé de lever une légion et de faire déserter les troupes de la République, en disant que votre séjour pendant deux ans près des frontières, vous avait mis à même d'avoir des intelligences parmi les troupes qui sont sur le Rhin ?
    6° Est-il à votre connaissance que les Anglais ont repris à leur solde et donneront encore des traitements aux émigrés cantonnés à Freiburg, à Offenbach, Offenburg et sur la rive droite du Rhin ?
    7° N'aviez-vous pas des correspondances avec les individus composant ces rassemblements, et n'êtes-vous pas à leur tête ?
    8° Quelles sont les correspondances que vous avez en Alsace ? Quelles sont celles que vous avez à Paris ? Quelles sont celles que vous avez à Breda et dans l'armée de Hollande ?
    9° Avez-vous connaissance du complot tramé par l'Angleterre et tendant au renversement du gouvernement de la République ; et, le complot ayant réussi, ne deviez-vous pas entrer en Alsace et même vous porter à Paris, suivant les circonstances ?
    10° Connaissez-vous un nommé Vaudricourt, qui a été commissaire des guerres et a fait la guerre contre la République ?
    11° Connaissez-vous un nommé la Rochefoucauld, tous deux arrêtés par suite d'une conspiration contre l'État ?
    Il sera nécessaire que vous conduisiez l'accusateur public, qui doit être le major de la gendarmerie d'élite, et que vous l'instruisiez de la suite rapide à donner à la procédure. »

    <o:p>  </o:p>111. Réal à Hulin.21 mars 1804.
    « Général, je vous prie de me transmettre le jugement rendu ce matin contre l'ex-duc d'Enghien, ainsi que les interrogatoires qu'il a prêtés. Je vous serai obligé si vous pouvez le remettre à l'agent qui vous portera ma lettre. »

    <o:p>  </o:p>112. Réal à Hulin.21 mars 1804.
    « Général, j'attends le jugement et les interrogatoires de l'ex-duc d'Enghien pour me rendre à la Malmaison auprès du Premier Consul. Veuillez me faire savoir à quelle heure je pourrai avoir ces pièces. Le porteur de ma lettre pourrait se charger du paquet et attendre qu'il soit prêt, si les expéditions sont avancées. »

    <o:p>  </o:p>113. Hulin à Réal.21 mars 1804.
    « Conformément à vos désirs, je vous fais passer sous ce pli, citoyen d'État, l'expédition du jugement rendu ce matin contre l'ex-duc d'Enghien. »

    <o:p>  </o:p>114. Hulin à Réal.21 mars 1804.
    « J'ai l'honneur de vous adresser, citoyen conseiller d'État, une copie conforme d'une pièce trouvée sur le ci-devant duc d'Enghien. »
    <o:p> </o:p>*Il s'agit de la copie du journal intime du prince.
         
      115. Reçu de Réal.23 mars 1804.
    « Le conseiller d'État, etc. ., À reçu du général de brigade Hulin, commandant les grenadiers à pied de la garde, un petit paquet contenant des cheveux, un anneau d'or et une lettre, ce petit paquet portant la suscription suivante :"
    « Pour être remis à madame la princesse de Rohan, de la part du ci-devant duc d'Enghien. »
    <o:p> </o:p>*Le paquet avait été confié au lieutenant de gendarmerie Noirot, qui avait cru de son devoir de le remettre au président Hulin. Ces reliques ne furent pas envoyées à la princesse Charlotte ; déposées à la préfecture de police, elles y restèrent enfermées dans un carton, qui a disparu sous le second empire.

     

    FIN


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