• Correspondance de la famille de Condé de 1 à 37.

    Pièces justificatives.

    L'argent, toujours l'argent !

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>1. Enghien à Bourbon.7 juin 1801.
    « Mais j'ai vu les Anglais, et tout ce que j'ai pu obtenir, c'est la certitude de la continuation de mon traitement jusqu'au 1° août, et encore à titre de prêt ou d'avance sur mon traitement à venir. Cela me donne du moins le temps d'attendre de vos nouvelles, et de celles de mon grand-père après son arrivée. Mais mes chevaux, que j'ai toujours gardé, restent à mon compte ; et c'est une forte dépense. Je vais me hâter de les vendre en grande partie. Pauvres vieux serviteurs ! Je les regretterai de tout mon cœur..»

    <o:p> </o:p>2. Enghien à Bourbon.29 septembre 1801.
    « J'attends avec impatience le premier résultat qui, je pense, sera de nous assurer de quoi vivre à chacun, mais peut-être faudra-t-il l'attendre longtemps ; et l'intervalle est assez pénible à passer, surtout lorsque l'on mange son fonds, comme je le fais en ce moment, et que le fonds est aussi court que le mien. Car mes économies ont été courtes, pendant la guerre, où ma position me nécessitait une dépense considérable ; et, aujourd'hui, chaque jour je dépense et ne reçois plus rien. Ma vie ici sera aussi économique que possible, et en même temps agréable. »
    « Il y a, dans nos environs, beaucoup d'émigrés ; plusieurs sans moyen, sans ressources. Je ne puis me refuser à faire passer à mon grand-père les suppliques de ceux qui me paraissent demander avec justice et discrétion. » 

    <o:p> </o:p>3. Enghien à Marans.6 octobre 1801.
    « Pourtant je viens de recevoir une lettre de mon père, qui me paraît croire que le quantum va être fixé. (Pension) Il me donne même un tarif dans lequel ma tante est comprise ».« J'entends bourdonner à mes oreilles des conversations qui me dégoûtent : l'intérêt, toujours l'intérêt : l'argent, toujours l'argent. »

    <o:p> </o:p>4. Enghien à Condé.30 octobre 1801.
    « Et puis nous lui devons encore la décision définitive de nos affaires pécuniaires que vous m'annoncer. Sans doute, j'ai tout lieu d'être content et je suis traité fort au-dessus de mon mérite. Avec de l'ordre et de l'économie mon père et moi nous serons bien. Mais vous, cher papa, avec votre maison nombreuse, vos charges, vos dettes, les intérêts que vous payer, les avances que vous avez faites de tous côtés. Je trouve que vous serez bien gêné surtout si vous vous décidez à passer l'hiver dans un pays aussi cher sous tous les rapports que doit l'être pour vous l'Angleterre. »

    <o:p> </o:p>5. Enghien à Marans.30 novembre 1801.
    « Et que puisque à présent je ne vois détruites aucunes des raisons d'honneurs qui nous ont fait abandonner notre patrie et notre fortune, pour rester fidèle à notre Roi et à nos serments. Pardonnez-moi cette réflexion, mais je ne vous cacherai pas ce que j'ai dit tout haut à qui a voulu l'entendre à plus forte raison, à vous pour qui j'ai estime et amitié.
    Donc je ne trouve rien de changer en 1801 à ce qui nous a forcés, par honneur, de tout abandonner en 1789, excepté l'opinion qui s'est avilie par le contact de nos ennemies et par les absurdes jugements et raisonnements de nos amis sur notre cause ».

     6. Enghien à Bourbon.2 février 1802.
    « Je ne vous cacherai pas que mon désir est de m'attacher au service de quelque puissance, tout le temps où mon Roi n'aura pas besoin de moi ; mais, si vous approuvez ce parti, je voudrais d'avance être assuré de conserver le traitement anglais, qui seul peut me donner la facilité de me proposer, puisque je ne serais pas à la charge à la puissance que je servirais. Vous serez sans doute à portée de sonder si je puis, dans ce cas, espérer de conserver mon traitement. »

    <o:p> </o:p>7. Condé à Enghien.10 avril 1802.
    « C'est une affaire fort malheureuse que celle dont vous me parlez. L'homme paraît avoir des torts, et je ne l'excuse point. Il est cependant certains que, s'il a été volé de tout ce qu'il avait, il ne pouvait plus rien payer dans le moment où l'on est venu lui demander. Je ne désapprouve point le parti que vous avez pris pour ces soldats ; cependant je vous prie de songer que, pour quelque cause que ce soit, je ne suis en état de payer ce que vous tireriez sur moi. Il est plus que douteux qu'avec toutes les charges que j'ai, je puisse gagner le bout de l'année avec ce qu'on me donne ; mais à la bonne heure pour cette fois-ci seulement, et que ce soit la dernière. J'écris par ce même courrier à monsieur Brentano, banquier à Francfort, de vous envoyer à Ettenheim la somme de...... louis. Vous donnerez à ces soldats ce qui leur est dû, et vous les congédierez sur le champ. Nous ne pouvons, ni physiquement ni politiquement, entretenir des soldats dans le pays étranger, en quelque petit nombre qu'ils soient ; et je ne pourrais pas vous soutenir dans une démarche aussi déplacée. Vous vous rembourserez, sur le reste de l'argent, des avances que vous aurez faites. Voilà tout ce que j'ai à vous dire à ce sujet. Faites vos magnificences vous-même, tant que vous croirez le pouvoir, mais j'en ai trop à faire d'ailleurs, pour que vous puissiez disposer des miennes. J'ai la satisfaction d'avoir fait pour le corps tout ce qu'il m'a été possible de faire, et je suis persuadé qu'il me rend justice. »

    <o:p> </o:p>8. Enghien à Condé.20 juin 1802.
    « Les Premiers paiements des Anglais m'avaient fait espérer que, tant qu'ils seraient en retard, on donnerait toujours deux mois, chaque mois. S'ils ne recommençaient pas l'année de cette manière, je me trouverais fort attrapé, ayant calculé d'avance sur ce mode, qui paraissait annoncé et juste. Contye me ferait grand plaisir de s'en informer sous main : il est bon de savoir d'avance sur quoi compter. Daignez lui en parler de ma part. Il pourrait en écrire à Jacques, qui lui répond par ce même courrier. L'économie que le nouveau moyen m'a procurée est assez considérable, et j'espère qu'elle sera encore plus grande à l'avenir. »

    <o:p> </o:p>9. Enghien à Condé.24 septembre 1802.
    « J'ai reçu, cher papa, l'envoi du mois de ma pension ; il m'eût fait grand plaisir, si vous aviez daigné y joindre un mot de bonté pour celui à qui il était adressé. À coup sûr, vous n'avez pas l'intention de la lui retirer à tout jamais ».

    <o:p> </o:p>10. Enghien à Condé.18 février 1803.
    « Oserais-je vous prier, cher papa, de dire mille tendresses de ma part à mon père, et d'être toujours convaincu de mon respect et de ma tendresse pour vous ?
    C'est avec bien de la peine que je vois s'accroître journellement l'arriéré de nos pensions. »
    <o:p> </o:p>*La pension d'août et de septembre 1802 avait été reçue par le duc d'Enghien le 28 février, et celle d'octobre et de novembre le 17 mars.

    <o:p> </o:p>11. Enghien à X.(Il s'agirait sûrement de monsieur Chodron). Ettenheim été 1803.
    « Convaincu comme je le suis, mon cher, de votre honnêteté comme de votre attachement pour moi, je vous fais avec confiance la proposition de vous charger d'une affaire, au succès de laquelle je met un grand prix, puisqu'elle est d'une importance majeure pour les intérêts d'une personne pour laquelle vous connaissez sans doute mon attachement. Je pense que ma proposition ne pourra que vous être agréable, puisqu'elle vous est une preuve non équivoque de ma confiance en vous. J'exige cependant que vous me mandiez franchement s'il vous plaît ou non de vous charger, et que vous ne vous gêniez pas par déférence : dans le premier cas, soyez assuré d'avance que vous n'aurez pas obligé des ingrats. Voici le fait : »
    «  À la mort du cardinal, la part qu'il possédait est tombée en propriété à la princesse Charlotte de Rohan Rochefort, son héritière universelle, propriété qui lui est en outre assurée par une donation particulière, faite du vivant de son oncle ; mais ceci ne fait rien à la chose. L'archevêque de Cambrai, dans un moment de gêne, a vendu sa part à la maison Mainoné, de Fribourg-en-Brisgau.
    Les trois parties sont d'accord aujourd'hui pour se défaire de l'habitation, aussitôt que la position des affaires permettra d'y mettre un prix raisonnable. »
    «  La princesse m'ayant communiqué son embarras et la gêne extrême qu'elle éprouverait pour traiter, d'aussi loin et avec les difficultés de communications que la guerre entraîne, une affaire de si grande importance pour sa petite fortune, l'idée m'est venue de lui parler de vous, comme d'un homme loyal et sûr, duquel je répondais, et qui, par attachement pour moi, se chargerait peut-être d'être en cette occasion son agent de confiance. Lorsqu'il s'agirait de traiter sérieusement, vous seriez chargé des pouvoirs nécessaires pour les Mainoné, qui s'entendent parfaitement avec la princesse Charlotte. Quand au prince, de Guémené, il a où vous êtes un agent de confiance, qui probablement serait son fondé de pouvoirs, mais qui aurait instruction de s'entendre ave vous. »
    «  Que vous vous chargiez ou non de la chose, il faut me garder l'absolu secret du tout. J'exige cela absolument. Vous me répondrez sous le couvert de monsieur Jacques, demeurant chez le sieur Loeble, négociant à Ettenheim, électorat de Baden, et vous le ferez part avec détail de votre première conversation, de la manière dont on vous aura reçu du plus ou moins de confiance que l'on vous aura témoigné, enfin du plus ou moins d'espérance que vous aurez de réussir.  Ne ménagez pas vos lettres chaque fois qu'il y  ‘aura la moindre chose à mander.
    Songez que je ne dois paraître en rien dans tout cela, et que c'est toujours au nom de la princesse Charlotte, et comme fondé de pouvoirs, que vous devez paraître. Elle se réserve de vous écrire elle-même, et de vous faire ses remerciements, aussitôt qu'elle saura que vous voulez bien prendre cette peine pour elle.....
    Adieu, mon cher ; j'espère que vous serez dans tous les cas sensibles à la preuve de confiance que je viens de vous donner, et que vous rendrez justice à mes sentiments d'intérêt et d'amitié pour vous. »
    *Chodron Joseph, né à Toul en 1744. Il était trésorier de l'armée de Condé en 1801, et avait rejoint le prince en Angleterre.

    <o:p> </o:p>12. Enghien à Bourbon.17 février 1804.
    «  Je viens d'apprendre par la gazette qu'enfin Saint-Domingue est rendu. Ceci me fait un bien grand plaisir, car je ne doute pas que les nègres ne soient très accommodants pour les propriétaires anglais ; et une personne qui habite Ettenheim, et pour laquelle vous connaissez toute ma tendresse et constante amitié, se trouve propriétaire dative d'une habitation dans cette île, habitation estimée.1 500 000fr avant la guerre. Cet heureux événement va, Dieu merci, la tirer enfin, j'espère, de la position cruelle et gênée dans laquelle elle a passé les trois quarts de son émigration. Je serai bien content quand je la verrai ce qui s'appelle au-dessus de ses affaires. »

    <o:p> </o:p>13. Condé à Enghien.26 mars 1804.
    « Vraisemblablement, on a jugé que ce qui vient de se passer n'était pas plus dans mon genre que dans le vôtre ; car je n'étais pas, pas plus que vous, dans la confidence du grand projet qui vient d'échouer. Mais quoiqu'on ne m'ait pas mis dans le secret, je n'ai nullement à me plaindre des personnes qui l'ont entrepris, conseillé, commandé ou permis. Je n'ai su que par le public le départ des acteurs : l'objet n'en était pas difficile à deviner ; mais je ne l'ai appris positivement que par les journaux. Au reste, il ne faut pas mal parler des malheureux qui se sont dévoués pour notre cause. En tout, il faut pénétrer nos âmes de reconnaissance pour les bons, et d'indulgence pour les mauvais ; car on ne se tirera jamais de ceci sans allier les deux sentiments dans ses paroles et dans ses actions, en ne perdant jamais de vue d'en tirer parti pour la cause du Roi. Mais pour les victimes, quelles qu'elles soient, il faut toujours les plaindre de tout notre cœur.
    Quoique vous ne soyez pour rien dans tout ce qui vient de se faire, je vous avoue que je suis inquiet, en ce moment, de votre position trop rapprochée de la France. Je désirerais que vous fussiez un peu plus enfoncé dans l'Allemagne : vous seriez de même à portée de tout dans l'occasion, et vous seriez plus en sûreté. Je vois qu'il vous en coûterait de quitter un lieu où vous vous plaisez ; mais songez que nous avons affaire à un homme capable de tout, et que la première des considérations est de ne pas devenir sa victime, inutilement et même dangereusement pour la cause. Choisissez, croyez-moi, quelque ville un peu plus loin, plus habitée et où il y ait garnison, si cela est possible. En attendant qu'on ait besoin de votre courage, je vous exhorte à la prudence, et je dois m'en rapporter à la tendresse que vous nous avez. »

    <o:p> </o:p>Les envies du prince pour s'installer et la persistance de faire venir son père auprès de lui.

    <o:p> </o:p>14. Enghien à Bourbon.3 juin 1801.
    « Aussi je vous assure qu'il me tarde bien d'avoir un sort assuré, tel modique qu'il soit, pour me caser quelque part et devenir tout à fait étranger, ou Autrichien, ou Russe, ou Prussien, peu m'importe ; mais tout vaut mieux que prince émigré. »
    « Quand on a un état quelconque, au moins on est avoué ou protégé par la puissance que l'on sert ; on est quelque chose. Mais n'être rien, n'avoir d'autre état que le nom de celui que l'on a eu ; éprouver tous les jours quelque nouvelle humiliation, toujours vouloir p..., comme on dit, plus haut que le c..., et en reconnaître à chaque instant l'impossibilité, c'est l'état le plus malheureux que je connaisse. Cette ancienne considération que notre nom apportait sur nos personnes n'existe malheureusement plus aujourd'hui. À peine regarde-t-on mon grand-père à Vienne ; à peine l'Empereur lui fait-il l'honneur de le recevoir chez lui ; »
    « Pardon, cher papa, de mes tristes et ennuyeuses réflexions ; mais c'est pour en venir à ce que je disais, qu'il fallait absolument se naturaliser étranger quelque part, devenir quelque chose ; car être émigré français, ce n'est être rien. On n'est ni plus aimé ni plus estimé ; et l'on vous regarde comme un être dangereux, comme un pestiféré, qui apporte avec lui le venin et la contagion du mal qui l'a frappé. »

    <o:p> </o:p>15. Enghien à Bourbon.21 septembre 1802.
    « On nous assure ici que mon grand-père songe à revenir sur le continent et à s'y fixer. Y'a-t-il quelque fondement à cette nouvelle, et que feriez-vous dans ce cas ? »

    <o:p> </o:p>16. Enghien à Condé.20 novembre 1802.
    « Je suis affligé que les bruits qui couraient de votre prochain retour sur le continent soient sans fondement. »

    <o:p> </o:p>Les allusions de mariage du duc d'Enghien et la passion pour Charlotte de Rohan. les devoirs de ses parents pour la recherche d'une femme.

    <o:p> </o:p>17. Enghien à Marans.6 août 1801.
    « Pour revenir à moi, si la chose est comme me la mande mon père, j'aurai lieu d'être content pour le moment ; mais il ajoute une phrase fâcheuse :
    « Sans engagement pris pour la vie », ce qui nous tiendra toujours sur le qui-vive. C'est à peu près comme lorsque l'on dit à un enfant : Soyez bien sage, et vous aurez du bonbon. Au reste, pour tout cela, les réflexions sont bien inutiles : j'attends avec patience et m'arrangerai pour mon train de vie sur ce que j'aurai d'assuré, afin de ne pas, comme on dit, p.... plus haut que le c...., et à faire des dettes ; faute que j'ai en le bonheur jusqu'ici de ne jamais commettre. »
    « Je voudrais avoir près de moi quelqu'un qui me fût attaché, non pas parce que jusques ici il y a trouvé son intérêt, mais parce que ma personne lui plaît et que je serais sa société la plus agréable. Je voudrais quelqu'un qui, en quelque lieu que j'aille ou reste, en quelque circonstance que je me trouve, trouve aussi son plaisir à rester avec moi, qui y consacre sa vie, qui soit déterminé à partager ma bonne comme ma mauvaise fortune, quelqu'un qui ne me fasse pas sentir, comme beaucoup, que tout ce qu'ils font pour moi, c'est par complaisance, mais qui prenne réellement part à mes plaisirs comme à mes chagrins ; »

    <o:p> </o:p>18. Enghien à Bourbon.29 septembre 1801.
    « J'y suis près d'un intérêt constant et qui fait le bonheur de ma vie intérieure. Je profite du bon temps qui me reste avant que le devoir m'oblige à prendre des liens plus sérieux, mais probablement moins agréables.
    Heureusement que, jusqu'à ce jour, aucune des tentatives légères, qui ont été fait par mon grand-père, n'a eu de succès. J'en ai joui intérieurement, sans le lui marquer, et sans m'opposer à ce qu'il a cru devoir faire pour en assurer la réussite. Cette occupation rendra mon hiver ici fort heureux. Si j'y pouvais joindre l'espoir de vous voir vous rapprocher incessamment de ces climats, et la certitude de ne pas mourir de faim un jour, je serais très heureux. Je puis acquérir ces deux certitudes d'un moment à l'autre par vos lettres ; ainsi vous jugez de l'impatience avec laquelle je les attends. »

    <o:p> </o:p>19. Enghien à Bourbon.8 octobre 1801.
    « Je serai bien curieux, à propos d'elle, de savoir si le grand-père vous en a parlé. Longtemps il a craint des choses sérieuses ; et je ne sais s'il est encore revenu de ses soupçons, je puis dire injurieux pour moi. Car je ne lui ai jamais donné lieu de croire que j'eusse une assez mauvaise tête pour être un jeune homme à grandes sottises ; et ce serait, ce me semble, la plus grande possible, que de contacter un pareil engagement sans l'autorisation de ses parents. Je n'y ai jamais pensé. Ayez, cher papa, la confiance en moi de me mander s'il m'a jugé sévèrement auprès de vous, et mettez-moi à même de me disculper de bien des torts imaginaires, qui m'ont été supposés, et que le perfide entourage du chef n'a pas manqué d'accréditer et d'envenimer autant que possible. Je vous nommerai un jour les masques. »

    <o:p> </o:p>20. Enghien à Bourbon.8 octobre 1801.
    « La réserve de « sans engagement pour la vie » est d'une rare prudence. Au reste, elle doit peu inquiéter ; car, quand on prendrait engagement, cela ne donnerait pas plus de certitude : on en serait quitte pour y manquer, quand cela conviendrait. »

    <o:p> </o:p>21. Enghien à Bourbon.8 avril 1802.
    «  Mon grand-père m'ajoute, dans un dernier article de sa lettre :
    ‘' Nous ne nous occupons, votre père et moi, que de vous chercher en Europe un bien-être au-dessus du nôtre. ‘'  Je suppose que c'est un « mariage » dont il veut parler ; mais je m'étonne, s'il y a quelque chose en l'air, que moi, qui suit la partie intéressée, je ne sois pas plus au fait de ses désirs sur cet objet. Si cela était sérieux (comme je ne le crois pas, car cette phrase m'a déjà été souvent dite, qu'il n'y avait rien du tout), vous me feriez grand plaisir de m'en donner les détails. Je ne suis plus un enfant depuis fort longtemps : par conséquent, c'est de concert que nous devons travailler sur cet objet que je regarde comme le plus important de ma vie, et auquel je ne me déciderai pas légèrement, comme je lui ai dit souvent. » 

    <o:p> </o:p>22. Enghien à Condé.30 avril 1802.
    « Vous me parlez ensuite, cher papa, d'un autre objet. Vous me dites que vous cherchez à m'assurer en Europe un bien-être au-dessus du vôtre. Comme partie très intéressée, j'espère que, lorsque vous aurez quelques vues, vous voudrez bien me donner des détails sur cette affaire, le bonheur intérieur étant, comme vous savez, celui que je préférerais toujours à toutes les grandeurs, ou sort brillant, ou avantage pécuniaires. Le hasard ou les convenances ne me détermineront pas. J'ai donc besoin d'un petit examen préalable. Je sais bien qu'autrefois il n'en était pas ainsi ; mais autrefois on avait beaucoup de motifs de distraction et des consolations en foule ; et ce n'est pas cela aujourd'hui, où un choix malheureux pourrait faire le malheur du reste de la vie. Car, cher papa, si l'on veut toujours juger d'aujourd'hui par autrefois, le calcul devient bien faux, et,  les circonstances ayant changé, les résultats deviennent aussi tout autres. »

    <o:p> </o:p>23. Enghien à Bourbon.22 août 1802.
    « Ici, cher papa, je trouve paix intérieure attachement véritable et constant, confiance entière, fondée sur une épreuve de dix années. (S'il fallait prendre ce nombre d'années à la lettre, la liaison avec la princesse Charlotte aurait commencé en 1792). Je mène une vie uniforme et douce ; jamais un nuage, jamais un moment d'humeur, d'ennui, à plus forte raison de dégoût de part et d'autre. Je me plais à faire le bonheur d'un être, comme cet être met son bonheur à faire le mien. Je ne connaîtrais pas une vie plus heureuse, si la proximité d'un père tendre et que j'aime, me permettait de partager mon temps entre lui et l'amie de mon cœur. Tout changement sera pour moi un malheur, tout autre engagement un chagrin bien douloureux. Je me soumettrai par devoir à ce que l'on appellera mon bonheur ou un établissement convenable et avantageux ; mais ce sera un sacrifice pénible, auquel nous sommes de tout temps résigné. Les craintes de mon grand-père sur cet objet, comme sur beaucoup d'autres, n'ont jamais eu de fondement. Je ne prendrai aucun grand engagement sans le consulter et sans avoir votre agrément. Je prie chaque jour le ciel ardemment pour qu'il ne se présente aucune facilité pour un sort avantageux. Ce serait la fin du bonheur le plus pur et le mieux senti qui ait peut-être jamais existé, et pour mettre à la place Dieu sait quoi ! Vous ne me parlez jamais de cet objet, cher papa ; cela me fâche ; je voudrais en causer avec vous, je voudrais vous entretenir de ce qui m'intéresse ; mais je voudrais que cela vous intéresse aussi. »
    <o:p> </o:p>*Déjà le 8 octobre 1801, Enghien écrivait dans le même sens à son père :
    (« Ce serait, ce me semble, la plus grande sottise possible, que de contacter un pareil engagement sans l'autorisation de ses parents. Je n'y ai jamais songé. »)

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>Le duc d'Enghien apprend qu'il a une demi-sœur nommée Adèle (vrai nom : Adèlaïde-Charlotte-Louise fille de madame Michelot, danseuse d'Opéra, née en 1780).
    Et il apprend également dans cette lettre la mort de monsieur de Vibraye.

    <o:p> </o:p>24. Enghien à Bourbon.21 avril 1802.
    « Oui sûrement, j'aimerais de tout mon cœur ma petite sœur. Daignez me donner quelques détails sur elle ; parlez-lui de moi ; embrassez-la de ma part et accoutumez-la à m'aimer aussi. N'est-ce pas elle que vous avez eue de Michellot, et cette dernière n'est-elle pas à Londres, où vous la voyez souvent ? Personne ne m'a encore parlé d'elle que fort en l'air ; ainsi je suis fort ignorant sur cet article. »

    <o:p> </o:p>25. La princesse Louise à Bourbon.11 octobre 1803.
    « Mais, cher ami, vous ne me parlez jamais de votre fils. Est-ce que vous seriez brouillés ? Je le crains tant, que je n'ai encore osé vous en faire la question. Oh non, je vous en prie ; que cela ne soit pas ! Je l'aime toujours, quoique nous ne nous écrivions pas. Et vous, qui l'aimez tant ! Que l'une ne fasse pas tord à l'autre : aimez vos deux enfants..... »

    <o:p> </o:p>26. Enghien à Bourbon.30 octobre 1803.
    « Ma dernière lettre était partie deux jours, cher papa, lorsque j'ai reçu là vôtre, datée du 25 septembre. En me permettant de faire mes réflexions sur vos dispositions à l'égard de votre Adèle, j'espère bien que vous n'avez pas un instant douté de mon approbation générale pour tout ce qu'il vous a plu de faire pour un être qui vous est cher. C'est un véritable plaisir pour moi de la savoir établie d'une manière avantageuse, portant un nom connu et ayant un sort assuré. Veuillez donc faire mes sincères compliments à la jeune et jolie comtesse de Rully. Il me semble avoir connu son mari en France. N'était-il pas quelque chose au Palais-Royal, et n'avait-il pas un frère qui a été tué en Corse ? Je me rappelle confusément tout cela. Quand à la demande d'un traitement au gouvernement anglais en faveur du nom qu'elle portait, je vous avouerai que j'ai été également surpris et de la démarche et du nom. Mais, n'étant pas au fait des usages anglais, que je connais sur cette matière différente de ceux du continent, et ne connaissant aucune des raisons en vertu desquelles elle portait ce nom, je ne puis faire aucune réflexion sur ces deux articles, et je dois croire que vous avez eu de bonnes raisons pour en agir ainsi. Pardonnez ma franchise, cher papa ; vous l'avez autorisée, et, si vous ne me l'aviez permis, je n'aurais jamais osé vous entretenir de cet objet. »

    <o:p> </o:p>27. Enghien à Marans.22 novembre 1803.
     « C'est au reste un projet fort en l'air encore ; ainsi je ne vous le donne pas pour certain. Vous savez que mon père a marié son Adèle, a donné à l'époux la première place de commis dans son bureau et s'est en cela assuré le bonheur de ne jamais se séparer de cette enfant chérie. Peut-être ne me comprendrez-vous pas. Il remplace le vieux général Vibraye, celui qui menait en Brabant Clerfayt à grandes guides et qui est mort l'an passé. Connaissez-vous la jeune comtesse de Rully ?
    -Il s'est fait à cette occasion des choses qui m'ont déplu : la plus inconsidérée est la demande faite officiellement d'une pension à nos fournisseurs en faveur du nom qu'elle portait, dit-on, avant son mariage. Il est difficile d'être entraîné plus loin par l'amour paternel. Je ne sais encore si le résultat aura été heureux. »

    <o:p> </o:p>*« Le prince de Condé annonça, le 20 septembre 1803, à Louis XVIII le mariage d'une sœur du duc d'Enghien. « J'ai l'honneur, écrivit-il, de demander à V. M., conjointement avec mon fils, son agrément au mariage qu'il trouve à faire pour sa fille, et je partage vivement l'intérêt qu'il prend à elle. Je ne la connais que depuis son arrivée ici, et je puis assurer V. M. que cette jeune personne m'a étonné par sa raison et par sa fermeté de ses principes. Elle a contribué, dans ce pays-ci, à nous faire supporter nos malheurs, par la douceur de son caractère et l'attachement qu'elle nous marque. J'ose répondre à V. M. que celle-là n'avilira jamais le nom qui lui a été donné, et sous lequel sa naissance (encore inconnue) a été constatée sur les registres de sa paroisse. Tout le public à Londres, où elle n'est connue que sous le nom de Mlle de Bourbon, lui rend toute justice :  elle y est véritablement estimée et même considérée tant par les émigrés que par les Anglais. Le chevalier de Rully, qui a l'honneur d'être connu de V. M., et que mon fils s'attache à la place du comte de Vibraye, mort depuis quelques temps, est un excellent sujet, rempli de l'amour de ses devoirs, et qui préfère l'honneur d'être maintenu sur la liste de l'émigration à l'aisance qu'il pourrait recouvrer  dans un pays qu'il déteste, tant que V. M. n'y sera pas rétablie, comme elle doit l'être...
    Madame Michelot, mère d'Adèle, n'assista pas au mariage : elle était alors à Paris. »

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>28. Condé à Enghien.4 décembre 1803.
    « J'ai laissé à mon fils le soin de vous instruire du mariage que nous avons fait ici. Je ne doute pas que vous n'ayez pris part au bonheur que ce petit événement a procuré à votre père : ma tendresse pour lui me l'a fait partager. Je sais que la personne vous a écrit : elle mérite véritablement votre intérêt, ainsi que le nôtre, par les qualités de son cœur, et par son attachement à nous trois. Ma fille lui a écrit, de Varsovie, une lettre charmante. »

    <o:p> </o:p>29. Enghien à Condé.17 décembre 1803.
    « J'ai reçu, il y a trois jours, la lettre de Contye, daté du 17 du mois dernier, dans laquelle en était une de monsieur de Rully, qui m'écrit à l'occasion de son mariage. Oserai-je vous prier de lui remettre ma réponse, qui ne contient que des politesses. Vous ne m'avez parlé dans aucune de vos lettres de cet objet, qui, vu la tendresse extrême de mon père pour cet enfant, en devient un intéressant pour moi. »

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>30. Condé à Enghien.30 janvier 1804.
    « J'ai remis votre lettre à monsieur de Rully, qui a été très reconnaissant de votre réponse. D'après ce que vous me dites, que je ne vous ai jamais parlé de ce mariage, il faut que vous n'eussiez pas encore reçu celle que je vous ai écrite le 4 décembre. Ce mariage réussit très bien ; ils paraissent se convenir fort.»

    <o:p> </o:p>Le duc d'Enghien apparemment n'avait confiance en aucune personne comme l'atteste cette phrase.

    <o:p> </o:p>31. Enghien à Marans.3 juin 1801.
    « Ne parlez de mes affaires à qui que ce soit de la suite de mon grand-père : je n'ai confiance en aucun. »

    <o:p> </o:p>Le départ de fidèle serviteur du duc d'Enghien. Ainsi que les déserteurs qui veulent rejoindre le duc d'Enghien, sans que lui ne puisse les prendre sous son service, faute de moyens financiers.

    <o:p> </o:p>32. Enghien à Bourbon.10 novembre 1801.
    « Je suis bien éloigné d'être aussi content de deux jeunes gens auxquels je m'intéressais comme vous le savez. Cheffontaines et Joinville viennent de me planter là pour rentrer en France, avec des manières qui m'ont déplu, surtout avec l'extrême bonté que je leur ai toujours témoigné et sachant fort bien que rien ne me déplairait d'avantage que ces voyages en France et ces ménagements à garder avec la république, ce siècle et celui des ingrats, on ne devrait pas être étonné d'en rencontrer sur son chemin. »
    « Depuis mon départ de Gratz je n'ai point entendu parler de Vassé. Il me demanda à cette époque de voyager de son côté et de l'argent pour sa route. Il me dit qu'il allait du côté de Francfort où il avait donné rendez-vous à sa femme. Depuis un arrivant de Lyon m'a assuré l'y avoir rencontré, je ne sais qu'en croire, je lui garderais son argent jusqu'à ce que je sache où le prendre. »

    <o:p> </o:p>33. Enghien à Bourbon.25 janvier 1803.
    « Picard m'a quitté. Il avait fait un voyage à Paris pendant mon séjour en Suisse, et s'était, je crois, assuré une bonne place. Il a cherché des prétextes de sujet de mécontentement, et a demandé qu'on le laisse aller. Il est amoureux d'une vieille horreur qu'il est allé rejoindre, une Mme Lefoevre, que vous connaissez sans doute.
    Pelier a fait de même, mais avec plus de formes ; sa femme est venue le chercher, et il écrit toujours pour que je le reprenne aussitôt que j'aurai besoin de lui. Ces deux retraites m'ont fait grand plaisir, ces deux hommes m'étant entièrement inutile et fort à charge ; mais je n'ai aucun sujet de mécontentement contre eux. Je me suis défait, il y a quelques jours, du pauvre vieux Balon : il ne pouvait plus aller. Des négociants de Lahr l'ont acheté. Celui-là a fait son temps ; il n'y a rien à dire.
    Adieu cher papa, je vous embrasse de tout mon cœur, et vous prie de ne jamais douter de mon respect et de ma tendresse pour vous. »

    <o:p> </o:p>34. Enghien à Condé.26 août 1803.
    « Il passe ici journellement une foule de déserteurs que les embarcations inquiètent. Ils arrivent ici avec quelque espoir de trouver où se placer ; Mais, à mon grand regret, je suis forcé de les renvoyer, sans pouvoir même leur donner quelque jour à se tirer d'affaire. Ce sont des gens perdus : c'est dommage. N'a-t-on donc aucun moyen d'utiliser les gens de bonne volonté ? Il y en a en foule. Les nationaux seront sans doute excellents ; Mais, pourtant des gens qui ont vu le loup, parsemés avec les autres, n'y feraient pas de mal. Si la constitution empêche que ce ne soit sur le tronc qu'ils se placent, eh bien ! Qu'on les mette sur les branches. Elles vont, cet automne, avoir grand besoin d'appui. Je ne parle pas de moi ; Mais, pourtant je brûle d'impatience, et je n'entends pas plus parler de projet pour moi que si je n'existais pas. Cette nullité m'est insupportable. Si l'on a assez d'officiers, eh ! Mon Dieu, qu'on me fasse soldat ! Je ne demande qu'à ne pas être nul ; et je vois des occasions de ne pas l'être m'échapper chaque jour. »
    <o:p> </o:p>*(Messieurs de Grünstein et Schmitt. Ils faisaient office d'aides de camp, à la place de messieurs de Cheffontaines et de Jonville, rentrés en France.)

    <o:p> </o:p>Le froid entre le prince de Condé et le duc d'Enghien.

    <o:p> </o:p>35. Enghien à Marans.27 mars 1801.
    « J'ai reçu, mon cher, votre dernière lettre du 25 février qui, comme vous le verrez par la date de la mienne, a fait diligence.
    Vos idées ne sont pas justes sur l'état présent de nos affaires intérieures. Je suis plus loin que jamais du projet de voyage que vous me supposez. Il est vrai que l'on fait à cet égard des propositions à mon grand-père ; mais l'état de froid extrême dans lequel je suis avec lui, depuis quelques mois surtout, me met dans l'impossibilité de savoir aucun de ses projets.
    Il serait trop long et inutile de vous détailler les raisons de ce froid. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il y a eu patience, douceur, tendresse de mon côté, et que, depuis quelques années, au lieu de réussir, je vois reculer mon but à chaque fois que je refais quelque nouvelle tentative, l'entourage est contre moi, et tant qu'on ne l'écartera pas, moi je me tiendrai à l'écart. Je suis donc, pendant toute la dernière dislocation de notre malheureux corps, resté à vingt-cinq lieues de lui, dans une belle et bonne ville, avec une société qui me plaît. »

    <o:p> </o:p>36. Enghien à Condé.30 avril 1802.
    « Vous me reprochez, à cette occasion, de chercher à élever un mur de séparation entre nous. Assurément, pendant bien longtemps j'ai cherché à repérer des liens de réunion et j'ai saisi toutes les occasions d'y parvenir. Rappelez-vous, cher papa, que vous avez toujours repoussé cette intimité qu'il m'eût été si doux d'obtenir, et ne me faites pas aujourd'hui un reproche de ce qui n'a pas été mon ouvrage. Rappelez-vous que vous m'avez non seulement toujours tenu éloigné de vous, mais que vous m'avez même témoigné défiance, lorsque j'ai voulu m'occuper avec vous de vos affaires. Rappelez-vous que, pendant dix années, il est bien rare que je sois parvenu à obtenir de vous un suffrage d'approbation : qu'au contraire, il n'est peut-être pas de jour, de fois où je vous ai vu, où je n'aie été réprimandé par vous sévèrement de quelque chose. Rappelez-vous que mes goûts, mes occupations, mes connaissances, tout vous a déplu ; que vous avez refusé toute espèce de protection aux individus que j'aimais et aime encore. Rappelez-vous notre vie intérieure, lorsque les circonstances ou mon désir constant de me rapprocher me faisaient habiter les mêmes lieux, et me mettaient dans le cas de nous voir chaque jours. N'étais-je pas pour vous un objet de gêne, d'humeur perpétuelle ? Daignez-vous ressouvenir de tout cela, et jugez vous-même si, pour notre tranquillité, notre bonheur (si je ne recouvre pas toutefois une meilleure place dans votre cœur), je dois, ainsi que vous, souhaiter une réunion constante ? Pardonnez-moi de le dire, cher papa ; mais le désirez-vous vous-même ? M'avez-vous proposé d'aller en Angleterre avec vous ? M'avez-vous témoigné un désir de m'y voir ? Si c'est au nom de votre bonheur, de votre repos que vous le désirez, je quitte tout ; si c'est au nom du mien, comme c'est toujours à ce nom que j'ai éprouvé le contraire, je préfère demeurer attaché à celui que je tiens, que d'aller courir après un chimérique auquel je ne crois pas. Que de gens n'a-t-on pas tourmenté toute leur vie au nom de leur bonheur futur !
    J'espère donc, cher papa, que vous daignerez réfléchir que, dans les malheureuses circonstances où nous sommes, il ne serait pas plus indigne de moi d'être officier général russe, ou napolitain, ou prussien, point autrichien puisque je sais que cela vous déplaît, qu'il ne l'a été au duc de Berry de l'être napolitain. Cela me mettrait dans le cas de continuer une carrière que j'aime ; cela me tirerait de l'état de bourgeois avec 25 000 livres de rente, état, je crois, fort au-dessous de celui de militaire, tel pauvre qu'il soit ; et, en vous servant de votre crédit à Londres pour me faire continuer ma pension, en employant celui de la puissance qui voudrait de moi pour l'obtenir, je ne regarderais pas la chose comme impossible. Je profiterais alors de congés, faciles à avoir en temps de paix, pour aller vous voir de temps en temps et vous remercier de vos bontés ; et, le jour où la cause générale aurait besoin de moi, je quitterais tout pour aller la servir. »
    <o:p> </o:p>37. Condé à Enghien.31 mai 1802.
    « J'ai reçu vos deux lettres du 30 avril et du 6 mai. En recevant la seconde, j'espérais, je l'avoue, qu'elle pourrait être une réparation de la première : je me suis trompé. Votre cœur et votre mémoire vous ont aussi mal servi l'une que l'autre dans celle du 30. Je me rappelle très bien tout le contraire de ce que vous vous permettez de me reprocher, en me créant des torts que je n'ai jamais eus. Je vous ai souvent donné, pour vous mieux conduire, des conseils utiles : c'était mon devoir. J'y mettais sans doute de la sensibilité (et ce n'est pas à vous  à vous en plaindre), mais jamais d'humeur. Vous les receviez mal, ces conseils dictés par l'expérience et l'intérêt que je prenais à vous. Vous auriez dû cependant m'en remercier, d'autant plus que lorsque j'ai eu à me plaindre de vous, ce n'a jamais été qu'à vous-même, et il n'y a rien que je n'aie dit, fait et écrit, pour cacher les chagrins que vous me donniez et pour fixer les yeux du public sur votre gloire. Au reste, je ne m'abaisserai point à une justification, parce que je n'en aurai jamais besoin vis-à-vis de personne, encore moins vis-à-vis de vous. Mais je veux bien encore une fois chercher à vous ramener à la vérité, fortement négligée dans votre lettre.
    Ce n'est point votre volonté que je soupçonne de ne pas quitter un service étranger pour venir servir le Roi : mais je sais qu'on n'en a pas toujours la possibilité. On n'est maître de soi-même que quand on est attaché à un service. Ce même volontaire (ce qui ne se peut que quand la guerre est allumée), l'honneur ne permet pas de s'absenter quand on est à portée de l'ennemi ; et c'est ce qui peut vous arriver quand on est à cinq cents lieues de l'endroit où vous pourriez être utile au Roi. Ce n'est point d'ailleurs un faux calcul que de penser que le moment peut se retrouver ;  C'en serait, au contraire, un bien faux, et surtout pour vous, que de croire que les choses resteront toujours comme elles sont. D'ailleurs la perte de votre fortune ne changera jamais rien (et je vous l'ai déjà dit) à votre naissance et à ce que vous lui devez.
    À l'égard des Orléans, dont le nom vous choque tant dans une lettre, j'avoue que je n'avais pas cru qu'il pût tomber dans le sens d'un mortel que je pusse vous les proposer comme modèles de votre conduite.  Mais, sans me donner la peine de repousser l'absurdité que vous vous permettez de me soupçonner, je vous dirai qu'ils sont revenus à la bonne cause ; qu'on n'est sans doute pas obligé de les aimer pour cela, mais que ce n'en sont pas moins des Bourbons, et que je serais fâché qu'à présent ils eussent l'air de le mieux sentir que vous. Ainsi, quand je vous en ai parlé, vous auriez dû n'y voir que de l'intérêt pour vous.
    Quand à vous avoir amené dans ce pays-ci, je ne reviens pas de ce que vous ayez oublié que je vous l'ai proposé deux fois, et que vous m'avez toujours répondu que vous aimiez mieux différer. Il faut avoir plus de mémoire quand on se permet de faire des reproches à quelqu'un, et surtout à son grand-père. D'ailleurs ce serait plutôt à moi de vous dire :
    ‘' L'avez-vous désirée vous-même, notre réunion en Angleterre ? '' Vos projets et la lettre à laquelle je réponds me prouvent, de plus que vous en êtes fort loin.
    Vous me parlez de vos amis, et vous osez me reprocher de n'avoir pas cherché à les obliger. À qui doivent-ils donc leur pension, si ce n'est à moi, qui n'ai cessé de réitérer mes sollicitations en leur faveur, tant de bouche que par écrit, soit auprès de Paul 1°, soit auprès des Anglais ? »

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