• Suite de la correspondance de la famille de Condé de 44 à 73.

    Annonce du décès du cardinal de Rohan au prince de Condé.

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    44. Enghien à Condé.18 février 1803.
    « Nous avons été ici, tous ces jours, bien agités par de fortes sensations, non pas personnelles, mais relatives à l'être que j'aime. Le cardinal de Rohan vient de succomber à une maladie nerveuse et inflammatoire, en neuf jours de temps. L'étoile du margrave n'a pas même permis qu'il eût la peine d'avoir à décider de son sort à venir. Le cardinal a fait une belle fin ; il a rempli les devoirs d'un bon chrétien, est mort avec toute sa connaissance, et nous a réellement édifiés : vous en serez étonné autant que je l'ai été moi-même. Sa fin a été déchirante pour la princesse Charlotte. Il a été deux jours avec la gangrène dans les poumons, par conséquent sans aucun espoir, et ne se doutant pas de son état, croyant même qu'il était mieux et le disant. Vous jugez de ce qu'a eu à souffrir le cœur sensible de cette malheureuse : elle vous aurait touché, si vous en aviez été témoin. Malade elle-même d'un gros rhume (maladie épidermique qui règne en ce moment), elle n'a voulu quitter son chevet ni jour ni nuit. Le cardinal a dicté ses dernières volontés et les a remises entre les mains de la justice, cachetées. J'ai su, par l'indiscrétion du secrétaire, qu'elles étaient toutes en faveur de la princesse, et vous pouvez juger de mon bonheur de la voir enfin tirée de la position gênée où elle se trouve depuis si longtemps, et tout à coup dans l'aisance. De plus, son père s'étant décidé, pour assurer un sort à ses enfants, de faire sa soumission, a été rayé tout de suite et va jouir d'une fortune honnête. Il cherchera à réaliser le tiers qui appartient, par les lois de la République, à sa fille, et l'autre tiers, s'il se décide à faire sortir sa seconde fille, afin de leur assurer ces deux parts en pays étranger ; ce qui fait qu'elles auront à l'avenir une jolie fortune, et, à la mort du père, rentrant dans les bois, elles seront fort riches. Vous comprendrez, cher papa, facilement combien cette certitude me fait plaisir, moi qui les ai vues si longtemps avec la perspective de mourir de faim d'un jour à l'autre. »

    <o:p>  </o:p>45. Enghien à Condé.28 février 1803.
    « J'ai été aujourd'hui à un service pour le repos de l'âme du cardinal. Il en a été chanté un très solennel à Strasbourg, auquel a assisté l'évêque nouveau. Le deuil était représenté par des bourgeois de la ville. Toute la cathédrale était tendue de noir, avec des trophées d'armoiries, comme ci-devant. J'ai été surpris que l'on ait osé faire cette cérémonie. On attend toujours les héritiers naturels pour l'ouverture du testament. »

    <o:p> </o:p>Les allusions de la famille de Condé au sujet de l'escapade du duc d'Enghien à Paris ou  à Strasbourg. (En 1802).

      46. Condé à Enghien.16 juin 1803.
    « On assure ici, depuis plus de six mois, que vous avez été faire un voyage à Paris ; d'autres disent que vous n'avez été qu'à Strasbourg. Il faut convenir que c'était un peu inutilement risquer votre vie et votre liberté ; car, pour vos principes, je suis très tranquille de ce côté-là ; ils sont aussi profondément gravés dans votre cœur que dans les nôtres. Il me semble qu'à présent vous pourriez nous confier le passé, et, si la chose est vraie, ce que vous avez observé dans vos voyages.
    À propos de votre santé, qui nous est si chère à tant de titres, je vous ai mandé, il est vrai, que la position où vous êtes pouvait être très utile, à beaucoup d'égards : mais vous êtes bien près ; prenez garde à vous, et ne négligez aucune précaution pour être averti à temps, et à faire votre retraite en sûreté, au cas qu'il passât par la tête du Consul de vous faire enlever. N'allez pas croire qu'il y ait du courage à tout braver à cet égard : ce ne serait qu'une imprudence impardonnable aux yeux de tout l'univers, et qui ne pourrait avoir que les suites les plus affreuses. Ainsi je vous le répète, prenez garde à vous, et rassurez-nous en nous répondant que vous sentez parfaitement ce que je vous demande, et que nous pouvons être tranquilles sur les précautions que vous prenez. Je vous embrasse. »

    <o:p>  </o:p>47. Enghien à Condé.18 juillet 1803.
    « ASSUREMENT, mon cher papa, il faut me connaître bien peu pour avoir pu dire ou chercher à faire croire que j'avais mis le pied sur le territoire républicain, autrement qu'avec le rang et à la place où le hasard m'a fait naître. Je suis trop fier pour courber bassement ma tête ; et le Premier Consul pourra peut-être venir à bout de me détruire, mais il ne me fera pas m'humilier. On peut prendre l'incognito pour voyager dans les glaciers de Suisse, comme je l'ai fait l'an passé, n'ayant rien de mieux à faire ; mais en France, quand j'en ferai le voyage, je n'aurai pas besoin de m'y cacher. Je puis donc vous donner ma parole d'honneur la plus sacrée que pareille idée ne m'est jamais entrée et ne m'entrera jamais dans la tête. Des méchants ont pu désirer, en vous racontant ces absurdités, me donner un tort de plus à vos yeux. Je suis accoutumé à de pareils services, que l'on s'est toujours empressé de me rendre, et je suis trop heureux qu'ils soient enfin réduits à employer des calomnies aussi absurdes.
     Je vous embrasse, cher papa, et vous prie de ne jamais douter de mon profond respect, comme de ma tendresse.
    L.A.H de Bourbon. »

    <o:p> </o:p>48. Condé à Enghien.31 août 1803.
    « Ni le public, ni moi, n'avons jamais pensé que vous eussiez pu vous avilir, au point d'aller faire votre cour à notre ennemi ; Mais on a cru que vous pouvez avoir fait la légèreté (car les jeunes princes ne sont pas plus à l'abri de ce soupçon que tous les gens) d'aller incognito voir les choses de près, pour prendre des moyens plus sûrs contre ceux qui les font. Voilà ce que l'on croyait ; et monsieur m'en ayant parlé plusieurs fois sans la plus petite aigreur, mais ayant l'air de croire à ce bruit, puisqu'il se soutenait autant, quoi que votre père et moi nous pussions faire pour le décréditer, j'ai pris le parti de m'en éclaircir avec vous. Si c'est un tort, je l'accepte de tout mon cœur ; et je recommencerais à me conduire de même, s'il s'en présentait une autre occasion. Il n'y a là, mon cher enfant, ni torts ni calomnies. Soyez plus juste une autre fois, ou écrivez qu'à votre père : lui et moi nous ne faisons qu'un. »

    <o:p> </o:p>Les inquiétudes sur un possible enlèvement du prince à Ettenheim, ainsi que les premiers soupçons qui pèsent sur lui.

    <o:p>  </o:p>49. Enghien à Condé.22 septembre 1803.
    « Quelques lettres de France m'ont aussi témoigné quelque inquiétude sur mon séjour si rapproché. Vous savez qu'il est difficile de prendre des précautions sûres contre une trahison, et qu'il est facile d'ajuster un coup de carabine. Ainsi ceci m'occupe peu. Quand à un enlèvement, sous prétexte d'aimer beaucoup la chasse, il est rare que je sorte de la ville, sans être deux ou trois, chacun avec un fusil à deux coups. Je ne vais du reste seul nulle part. Je suis trop vieux pour courir les filles. Ainsi vous voyez que les occasions de m'avoir à bon marché doivent être rares ; et, si quelqu'un de suspect passait le Rhin en face d'ici, je crois que je serais prévenu. »

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>50. Instruction pour Briq.19 novembre 1803.
    « M Drake étant le centre de toutes ces manœuvres à Munich, vous pourrez là en pénétrer quelques parties, et donner des renseignements sur le séjour du duc d'Enghien à Ettenheim, où il a bureaux, et entretient correspondances avec le parti. Vous correspondrez avec le ministre régulièrement, aux adresses et suivant les formes et les moyens dont il sera convenu avec vous. Avoir une personne sur la rive droite, dont on soit sur et à laquelle on adressera les lettres de Munich. Cette personne sera chargée de les mettre à la poste sur la rive gauche, à Strasbourg, ou dans une autre petite ville, à l'adresse de M Darbois, négociant, près l'arcade de l'Odéon. »
    <o:p> </o:p>*On remarque dans cette lettre, que la police, sans donner au duc d'Enghien une attention particulière, ne l'avait pas perdu de vue. Les journaux le citaient très rarement ; cependant on lisait, par exemple, dans ‘' le Journal des Débats '' du 23 novembre 1803 :
    « Le duc d'Enghien, qui continue de résider avec une suite peu nombreuse au château d'Ettenheim, dans l'électorat, a été sur le point de quitter ce séjour pour se rendre auprès du prince de Condé, son grand-père ; mais il vient de changer tout à coup de résolution, et reste à Ettenheim, où il vit d'une manière fort retirée. »
    <o:p> </o:p>51. Condé à Enghien.4 décembre 1803.
    « Toutes les nouvelles du continent paraissent confirmer cette conjoncture. Dans le cas où vous la jugeriez prête à se réaliser, je vous recommande plus que jamais de commencer par mettre votre personne en sûreté ; après quoi, les circonstances, et peut-être des ordres du Roi, décideront du parti que vous aurez à prendre. Vous auriez sûrement de nos nouvelles alors. »

    <o:p>  </o:p>52. Réal à Shée.1 mars 1804.
    « Je vous recommande, citoyen préfet, d'ordonner de suite les dispositions nécessaires pour savoir si le ci-devant duc d'Enghien est toujours à Ettenheim. Les informations que vous ferez prendre doivent être promptes et sûres, et il importe que j'en connaisse les résultats sans le moindre retard. Dans le cas où il ne serait plus dans cette ville, vous m'en informerez sur le champ par un courrier extraordinaire, et vous m'indiquerez en même temps l'époque précise où il a cessé d'y paraître, quelle route il a prise, et à quelle destination, l'on croit qu'il s'est rendu. » »
    <o:p> </o:p>* On remarque que par ce courrier, que l'on commence à s'intéresser au duc d'Enghien, ainsi qu'à touts ses déplacements.

    <o:p>  </o:p>53. Enghien à Vauborel.9 mars 1804.
    « Je connais, mon cher général, les mesures qui ont été prises pour espionner les pensionnés anglais et particulièrement ma personne. Je suis averti depuis longtemps ; mais je vous avoue que la crainte de rencontrer un gueux soudoyé ne me fera jamais faire un pas de plus ou de moins, et je ne suis pas fâché, si l'on a cru à propos d'ouvrir mes lettres, que l'on y ait reconnu ma façon de voir et de penser, et la désapprobation continuelle que j'ai toujours donnée à des mesures en dessous et indignes de la cause que nous servons ; mesures qui ont déjà fait tant de mal. Au reste, j'espère que les arrestations qui viennent d'avoir lieu en France vont tout naturellement débarrasser la bonne cause d'un tas de demis convertis qui n'y pouvaient que faire grand tort.»

    <o:p> </o:p>Interrogatoire de Georges Cadoudal du 9 mars 1804.

    Dubois : Quel est le motif qui vous a amené à Paris ?
    R : J'y suis venu dans l'intention d'attaquer le Premier Consul.
    Dubois : Quels étaient vos moyens d'attaque ?
    R : L'attaque devait être de vive force.
    Dubois : Où comptiez-vous trouver cette force-là ?
    R : Dans toute la France.
    Dubois : Il y a donc dans toute la France une force organisée à votre disposition et à celle de vos complices ?
    R : Ce n'est pas ce qu'on doit entendre par la force dont j'ai parlé ci-dessus.
    Dubois : Que faut-il donc entendre par la force dont j'ai parlez ?
    R : Une réunion de force à Paris.
    Dubois : Où cette réunion existe-t-elle ?
    R : Cette réunion n'est pas encore organisée : elle l'eût été aussitôt que l'attaque aurait été définitivement résolue.
    Dubois : Quel était donc votre projet et celui des conjurés ?
    R : De mettre un Bourbon à la place du Premier Consul.
    Dubois : Quel était le Bourbon désigné ?
    R : Charles-Xavier-Stanislas, ci-devant monsieur, reconnu par nous pour Louis XVIII.
    Dubois : Quel rôle deviez-vous jouer lors de l'attaque ?
    R : Celui qu'un des ci-devant princes français, qui devait se trouver à Paris, m'aurait assigné.
    <o:p> </o:p>Dubois : Le plan a donc été conçu et devait donc être exécuté d'accord avec les ci-devant princes français ?
    R : Oui, citoyen juge.
    Dubois : Vous avez donc conféré avec ces ci-devant princes en Angleterre ?
    R : Oui, citoyen.
    <o:p> </o:p>*Voici donc l'une des déclarations qui poussa le Premier Consul de conclure qu'il pouvait s'agir du duc d'Enghien, que l'on attendait à Paris.
    Dans un premier interrogatoire, subi un peu auparavant devant le préfet de police Dubois, Georges venait de dire : « Je ne devais attaquer le Premier Consul que lorsqu'il y aurait un prince à Paris, et il n'y est point encore ».

      54. Déclaration de Léridant.10 mars 1804.
    « J'ai entendu dire qu'il y avait un jeune prince en France ; je ne puis indiquer les personnes qui me l'on dit, ni si elles sont au nombre de celles que l'on pourrait inculper dans la conspiration.
    J'ai su de Georges qu'il voulait rétablir les Bourbons sur le trône ; mais jamais il ne m'a parlé des moyens.....
    Léridant nous a aussi assuré qu'il avait souvent entendu parler qu'on attendait un prince. Qu'il avait vu venir chez Georges, à Chaillot, un jeune homme, qui avait environs son âge, qui était très bien vêtu et très intéressant de figure ; qu'il avait une manière très distinguée. Qu'ayant entendu parler de prince, et ne lui disant ce qu'était ce jeune homme, il pensait qu'il était possible que ce fût ce prince dont il avait entendu parler... »

    <o:p>  </o:p>55. Lamothe, maréchal des logis.5 mars 1804.
    Le préfet du Bas-Rhin, chargé par lettre du 1er mars, de vérifier avec certitude et célérité si le duc d'Enghien était encore à Ettenheim, a répondu le 5 mars, en envoyant le rapport suivant.
    <o:p> </o:p>« -Renseignement pris à Ettenheim sur l'existence du ci-devant duc d'Enghien, par moi soussigné maréchal des logis de gendarmerie nationale, faisant le service de quartier maître dans la compagnie du département du Bas-Rhin.
    <o:p> </o:p>-Parti de Strasbourg le 4 mars, vers cinq heures et demie du soir, pour me rendre à Ettenheim, je me suis arrêté à Kappel, où, parlant avec le maître de poste et deux autres particuliers, j'ai appris que le ci-devant duc d'Enghien était encore à Ettenheim avec l'ex-général Dumouriez et un colonel nommé Grünstein récemment arrivé de Londres ; et l'on m'a assuré qu'on parlait, il y a quelque temps, d'un voyage que le duc d'Enghien devait faire en Angleterre, mais que maintenant il n'en était pas question.
    Arrivé à Ettenheim, l'on m'a confirmé audit lieu la présence de l'ex-duc d'Enghien, du général Dumouriez et du colonel Grünstein, ce dernier venant depuis peu d'Angleterre ; l'on m'a parlé d'un individu désigné le lieutenant Schmitt, arrivé également d'Angleterre après le colonel Grünstein. L'on m'a dit que l'ex-duc était journellement occupé à la chasse ; qu'il logeait dans une maison particulière ; qu'il avait un secrétaire qu'on dit français, sans qu'on ait pu me décliner son nom ; que Dumouriez, le colonel Grünstein et le lieutenant Schmitt logeaient chacun particulièrement.
    La correspondance de l'ex-duc est depuis quelque temps beaucoup plus active : il a reçu divers courriers d'Offenburg et de Freiburg, et en a envoyé dans les mêmes lieux. Son domestique n'est pas considérable. Il paraît très aimé à Ettenheim et dans les environs.
    L'on m'a parlé à Ettenheim d'un voyage que le duc devait faire à Freiburg, sans qu'on ait pu m'en désigner l'époque ; mais il n'a nullement été question du voyage d'Angleterre, dont on m'avait parlé à Kappel. Arrivé de nuit à Ettenheim et n'étant chargé que de m'informer si l'ex-duc d'Enghien y était ou non, et dans ce dernier cas, d'apprendre la route qu'il avait tenue et le lieu où il devait se rendre, le temps ne m'a pas permis de recueillir de plus amples renseignements.
    Parti d'Ettenheim à cinq heures et demie du matin, j'ai été rendu vers neuf heures à Offenburg, où j'ai pris divers renseignements. L'on m'a appris qu'il se trouvait en cette ville une grande quantité d'émigrés français. M'étant informé des plus marquants, on m'a désigné les nommés Milet frères, Mauroy et Lazolais, officiers généraux, ce dernier cordon rouge. L'on m'a assuré qu'en général ces émigrés, qui faisaient beaucoup de dépense à Offenburg, paraissaient être soldés par l'Angleterre.
    Dans les différents endroits où je me suis arrêté, les habitants de l'électorat de Baden, avec lesquels j'ai lié conversation, m'ont tous manifesté l'espoir d'un changement qu'ils regardaient comme certains dans le gouvernement français, et la plupart m'ont paru attaché aux intérêts de l'ex-duc d'Enghien et à ceux des émigrés français réfugiés à Offenburg. »

    <o:p>  </o:p>56. F. Desportes à Réal.12 mars 1804.
    « J'ai reçu la lettre confidentielle que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser pour m'inviter à vous transmettre, dans le plus court délai, l'état de tous les émigrés qui sont à Freiburg, avec toutes les indications propres à les faire distinguer. Comme je n'avais aucune notion précise à cet égard, je viens de faire partir pour Freiburg un homme sûr et intelligent, qui, d'après les instructions que je lui ai données, est chargé de dresser un état nominatif de tous les émigrés qui sont à Freiburg et dans les environs, et de recueillir tous les renseignements qu'il pourra se procurer sur leurs conduites, leurs démarches, leurs dispositions, leurs correspondances, enfin sur les sentiments qu'ils ont manifestés lorsqu'ils ont appris la découverte du complot dirigé contre la personne du Premier Consul et la sûreté de l'Etat. Je lui ai recommandé en même temps de prendre des informations sur la petite cour d'Ettenheim, où l'on m'assure que se trouve le duc d'Enghien.
    Comme cet agent secret a des relations et des intelligences dans le Brisgau, j'ai lieu d'espérer que sa mission ne sera point infructueuse. S'il remplit mon attente, je continuerai à l'employer toutes les fois que vous le jugerez convenable. Sous très peu de jours, j'aurai l'honneur de vous informer avec exactitude du résultat de ce premier voyage ; mais je dois vous faire observer, citoyen conseiller d'État, que pour établir avec la rive droite une correspondance habituelle de ce genre, il me faudrait des moyens pécuniaires qui ne sont point à ma disposition.
    Quand aux agents, je les trouverai sans peine. »

    <o:p>  </o:p>57. Condé à Enghien.26 mars 1804.
    « Quoique vous ne soyez pour rien dans tout ce qui vient de se faire, je vous avoue que je suis inquiet, en ce moment, de votre position trop rapprochée de la France. Je désirerais que vous fussiez un peu plus enfoncé dans l'Allemagne : vous seriez de même à portée de tout dans l'occasion, et vous seriez plus en sûreté. Je vois qu'il vous en coûterait de quitter un lieu où vous vous plaisez ; mais songez que nous avons affaire à un homme capable de tout, et que la première des considérations est de ne pas devenir sa victime, inutilement et même dangereusement pour la cause. Choisissez, croyez-moi, quelque ville un peu plus loin, plus habitée et où il y ait garnison, si cela est possible. En attendant qu'on ait besoin de votre courage, je vous exhorte à la prudence, et je dois m'en rapporter à la tendresse que vous nous avez. »

    <o:p> </o:p>Les ordres du Premier Consul pour l'arrestation du prince.

    <o:p>  </o:p>58. Le Premier Consul à Berthier.10 mars 1804 au soir.
    « Vous voudrez bien, citoyen ministre, donner ordre au général Ordener, que je mets, à cet effet, à votre disposition, de se rendre dans la nuit, en poste, à Strasbourg. Il voyagera sous un autre nom que le sien ; il verra le général de la division.
    Le but de sa mission est de se porter sur Ettenheim, de cerner la ville, d'y enlever le duc d'Enghien, Dumouriez, un colonel anglais et tout autre individu qui serait à leur suite. Le général de division, le maréchal des logis de gendarmerie qui a été reconnaître Ettenheim, ainsi que le commissaire de police, lui donneront tous les renseignements nécessaires.
    Vous ordonnerez au général Ordener de faire partir de Schlettstadt 300 hommes du 26° de dragons, qui se rendront à Rheinau, où ils arriveront à huit heures du soir. Le commandant de la division enverra quinze pontonniers à Rheinau, qui y arriveront également à huit heures du soir, et qui, à cet effet, partiront en poste ou sur les chevaux de l'artillerie légère. Indépendamment du bac, il se sera assuré qu'il y ait là quatre ou cinq grands bateaux, de manière à pouvoir passer d'un seul voyage les 300 chevaux.
    Les troupes prendront du pain pour quatre jours, et se muniront de cartouches. Le général de division y joindra un officier de gendarmerie et une trentaine de gendarmes.
    Dès que le général Ordener aura passé le Rhin, il se dirigera droit vers Ettenheim, marchera droit à la maison du duc et à celle de Dumouriez. Après cette expédition terminée, il fera son retour sur Strasbourg. En passant à Lunéville, le général Ordener donnera ordre que l'officier de carabiniers qui a commandé le dépôt à Ettenheim se rende à Strasbourg en poste pour y attendre ses ordres.
    Le général Ordener, arrivé à Strasbourg, fera partir bien secrètement deux agents, soit civils, soit militaires, et s'entendra avec eux pour qu'ils viennent à sa rencontre.
    Vous donnerez ordre que, le même jour et à la même heure, 200 hommes du 26° de dragons, sous les ordres du général Caulaincourt, auquel vous donnerez des ordres en conséquence, se rendent à Offenburg, pour y cerner la ville et arrêter la baronne de Reich, si elle n'a été prise à Strasbourg, et autres agents du gouvernement anglais dont le préfet et citoyen Méhée, actuellement à Strasbourg, lui donneront les renseignements.
    D'Offenburg, le général Caulaincourt dirigera des patrouilles sur Ettenheim, jusqu'à ce qu'il ait appris que le général Ordener a réussi. Ils se prêteront des secours mutuels.
    Dans le même temps, le général de division fera passer 300 hommes de cavalerie à Kehl, avec quatre pièces d'artillerie légère, et enverra un poste de cavalerie légère à Willsttet, point intermédiaire entre les deux routes.
    Les deux généraux auront soin que la plus grande discipline règne ; que les troupes n'exigent rien des habitants. Vous leur ferez donner, à cet effet, 12 000fr.
    S'il arrivait qu'ils ne pussent pas remplir leur mission, et qu'ils eussent l'espoir, en séjournant trois ou quatre jours et en faisant faire des patrouilles, de réussir, ils sont autorisés à le faire.
    Ils feront connaître aux baillis des deux villes que, s'ils continuent à donner asile aux ennemis de la France, ils s'attireront de grands malheurs.
    Vous ordonnerez que le commandant de Neu-Breisach fasse passer 100 hommes sur la rive droite, avec deux pièces de canon. Les postes de Kehl, ainsi que ceux de la rive droite, seront évacués dès l'instant que les deux détachements auront fait leur retour.
    Le général Caulaincourt aura avec lui une trentaine de gendarmes. Du reste, le général Caulaincourt, le général Ordener et le général de division tiendront un conseil et feront les changements qu'ils croiront convenables aux présentes dispositions.
     S'il arrivait qu'il y eût plus à Ettenheim ni Dumouriez ni le duc d'Enghien, on rendrait compte, par un courrier extraordinaire, de l'état des choses, et l'on attendrait de nouveaux ordres.
    Vous ordonnerez de faire arrêter le maître de poste de Kehl, et autres individus qui pourraient donner des renseignements.... »

    <o:p>  </o:p>59. Berthier à Leval.11 mars 1804.
    « Je vous préviens, citoyen général, que le général Ordener et le général Caulaincourt se rendent à Strasbourg pour des missions très importantes. Je vous ordonne, sous votre propre responsabilité, d'adhérer à toutes les demandes qui vous seront faites par le général Ordener et le général Caulaincourt, à l'effet de remplir la mission dont ils sont chargés. Ils vous feront connaître leurs instructions en ce qui vous concerne. Vous prescrirez à l'ordonnateur d'adhérer également à toutes les demandes qu'ils feront pour les vivres. Vous donnerez les ordres pour les mouvements des troupes, pour l'artillerie et les bateaux. »

    <o:p>  </o:p>60. Talleyrand à Edelsheim.11 mars 1804.
    « Je venais de vous adresser une note dont l'objet était de demander l'arrestation du comité d'émigrés français à Offenburg, lorsque le Premier Consul, par l'arrestation successive des brigands que le gouvernement Anglais a vomis en France, ainsi que par la marche et les résultats des procédures qui s'instruisent ici, a connu toute la part que les agents Anglais d'Offenburg avaient aux horribles complots tramé contre sa personne et contre la sûreté de la France. Il a appris également que le duc d'Enghien et le général Dumouriez étaient à Ettenheim ; et comme il est impossible qu'ils se trouvent dans cette ville sans sa permission de son Altesse Electorale, le Premier Consul  n'a pu voir, sans la plus profonde douleur, qu'un prince auquel il s'était plu à faire ressentir les effets les plus spéciaux de l'amitié de la France, ait pu donner refuge à ses plus cruels ennemis et les ait laissés tramer paisiblement des conspirations aussi inouïes.
    Dans cette circonstance extraordinaire, le Premier Consul a cru devoir ordonner à deux petits détachements de se porter à Offenburg et à Ettenheim pour y saisir les investigateurs d'un crime qui, par sa nature, met hors du droit des gens tous ceux qui sont convaincus d'y avoir pris part.
    C'est le général Caulaincourt qui est chargé à cet égard des ordres du Premier Consul. Vous ne pouvez pas douter qu'il me mette dans leur exécution tous les égards que peut désirer son Altesse Electorale. Ce sera lui qui aura l'honneur de faire parvenir à Votre Excellence la lettre que j'ai été chargé de lui écrire. »

    <o:p> </o:p>La patience demandée au duc d'Enghien pour un futur emploi qui ne serait pas tardé.

    <o:p>  </o:p>61. Condé à Enghien.28 février 1802.
    « Loin d'être d'un avis, dont vous n'étiez pas vous-même, il y a trois ans, puisque vous me marquiez de l'impatience de vous réunir à nous. Je persiste plus que jamais à penser que, pendant la paix surtout, vous ne devez entrer au service d'aucune puissance. À quoi bon ? Pour aller passer votre vie dans une garnison, à faire pirouetter des soldats ! En vérité ! Cela n'est pas fait pour vous, et jamais aucun des Bourbons, passés ou présents, n'a pris ce parti. Toutes les Révolutions du monde n'empêcheront pas, quoi qu'on puisse vous dire, que vous ne restiez jusqu'à la fin de votre vie ce que Dieu seul vous a fait. C'est ce qu'il faut bien vous mettre dans la tête, pour ne jamais vous conduire qu'en conséquence de cette vérité, que la perte de votre fortune ne changera jamais. »
    « Et vous voyez, par la manière dont ce gouvernement nous a traités depuis, qu'il ne m'en a pas su mauvais gré. Pendant toute ma vie, j'ai passé avec raison pour avoir le goût du militaire : eh bien ! Les circonstances m'ont forcé d'être vingt huit ans sans faire la guerre. Je n'en ai pas moins joui de tout le bonheur possible, et la considération qu'on voulait bien accorder à mes premiers succès dans les six campagnes que j'avais faites dans ma jeunesse.
    Vos cousins, les Orléans, tous plus jeunes que vous et qui sont revenus au parti du Roi, pensent-ils à s'attacher à quelque service ? Non ; ils attendent patiemment la guerre, pour la faire selon les circonstances ; et c'est ainsi que vous devez faire vous-même, étant bien sûr, par ce que vous avez fait, d'avoir beaucoup plus d'avantages que qui que ce soit de vos contemporains quand vous la recommencerez.  Mais comme on ne peut pas faire la guerre pour vous seul, il faut savoir attendre. D'ailleurs, il faudra voir les motifs et la tournure de cette guerre, et ce serait vous compromettre de la manière la plus folle, que de vous attacher, pendant la paix, à une puissance que la politique rendrait peut-être l'alliée des rebelles de la France, et de vous exposer à combattre contre la cause de votre Roi., contre vos droits, contre tous vos parents qui se réuniraient à d'autres puissances que cette même politique rendrait les ennemies des vôtres. Ne faites pas cette sottise, au nom de Dieu : vous ne vous en relèveriez jamais et (sans avoir assurément personne en vue), méfiez-vous de ceux qui voudraient vous donner un genre d'ambition déplacé, uniquement pour servir la leur. À toutes ces raisons, il s'en joint encore une, qui sans contredit est la dernière de toutes : mais soyez sûr, que si vous entrez au service d'une puissance, l'Angleterre ne vous paiera plus de pension, et que jamais vous n'en aurez l'équivalent d'aucune autre. »

    <o:p>  </o:p>62. Enghien à Condé.30 avril 1802.
    « Quand à ma pension de l'Angleterre, je suis persuadé qu'avec l'agrément de cette puissance, en la prévenant d'avance, en sollicitant son consentement, il se trouverait, peut-être pas à l'instant même, mais dans des temps plus heureux et prochains peut-être, des cas où je pourrais conserver le traitement qui m'a été assigné, lorsque je serais placé chez une puissance neutre ou alliée. Le temps seul peut éclaircir cet article intéressant. Vous paraissez craindre que je prenne un parti sur le champ. C'est toujours d'après cette idée que vous me parlez ; et pourtant dans mes lettres je ne vous ai jamais demandé que des avis, des conseils ; J'ai voulu connaître votre façon de voir, de penser. Daignez donc ne pas toujours soupçonner ma tête de prendre des partis exagérés ou faux ; daignez ne pas repousser ma confiance, ma tendresse ; parlez-moi en ami, en bon père, et non pas en juge sévère ou prévenu, et croyez alors à toute la déférence, à toute la soumission innée dans mon caractère, et que ma conduite, depuis que je suis sorti de l'enfance, a dû vous prouver. »

    <o:p>  </o:p>63. Enghien à Bourbon.25 octobre 1803.
    « Nous voici donc, cher papa, parvenus à la saison des grands événements. Les coups décisifs vont se porter, et loin de nous avoir crus dignes d'y prendre quelque part active, on n'a pas même jugé à propos d'acquiescer à notre désir. Je vous avoue que je suis au désespoir, et que je ne supporte pas l'idée de cette nullité absolue qui à chaque minute me devient plus insupportable. Je vous en conjure, au nom des sentiments de tendresse que vous m'avez toujours témoignés, faite quelque démarche en ma faveur auprès du gouvernement, auprès des ministres. Que l'on m'emploie à quelque chose ! L'Alsace et la Lorraine sont dénuées de troupes en ce moment ; l'esprit y est excellent. Pourquoi donc ne pas s'occuper d'une diversion, qui serait si utile ? »
    « Aussi, dans le fond de mon cœur, Dieu sait quelle est mon opinion sue elle. Mais peu importe ; il faut remplir son devoir, et j'en dois rechercher les occasions. Je ne vis point ici ; je grille d'impatience et de chagrin ; et d'un mot vous pourriez peut-être me rendre mon existence agréable, en me mettant à même de servir de tout mon pouvoir contre les ennemis de nos protecteurs et contre les miens propres. Si ce n'est le moment aujourd'hui, quand donc espérer que ce fortuné moment pourra venir ? Car quelle époque plus naturelle et plus favorable de nous employer pourra-t-elle arriver ? N'ayant pas une autre idée dans la tête, je ne me sens pas le courage de vous parler d'autre chose. Au reste, ma vie est ici si uniforme, chaque jour ressemble si parfaitement au jour passé, à celui qui va naître, que je ne saurais vous donner aucun détail intéressant sur mon intérieur. Mes désirs se portent sans cesse sur les jours de grande poste ; j'espère continuellement que je recevrai quelques ordres, quelques instructions ; mais, toujours déçu dans mon espoir, je me couche tristement, je m'arme autant que je suis de patience. Voici environs un mois que je n'ai eu de nouvelles de vos environs ; j'en espère à chaque courrier. Puissent-elles m'apporter quelque espoir prochain ! »
    « P.S. : Je n'ai autant appuyé dans cette lettre sur l'objet qui m'occupe, que parce que je sais qu'il existe par ici des individus plus heureux que moi. Comment est-il possible que nous ne soyons pas les premiers à recevoir ces marques de confiances, et que peut-on attendre d'indiscrets subalternes ? »

      64. Enghien à Bourbon.30 octobre 1803.
    « De la patience, nous dit-on ; mais pendant ce temps les forces républicaines vont toujours en croissant, et à force de patience, nous serons tout à fait écrasés sous les ruines de l'Europe. Aussi, je m'en réfère à ma dernière, cher papa. Si le gouvernement anglais veut faire un heureux, qu'il daigne m'employer activement contre la République française ; qu'il m'en donne du moins l'espérance ».

      65. Enghien à Ch. Stuart.15 février 1804.
    « C'est donc, monsieur, avec une entière confiance, que je vous répéterai ce que sans doute le général d'Ecquevilly vous a déjà communiqué de ma part. La nullité absolue dans laquelle je végète, tandis que la route de l'honneur se trouve ouverte à tant d'autres, me devient chaque jour plus insupportable. Je ne souhaite que de  donner à votre généreux gouvernement des preuves de ma reconnaissance et de mon zèle. J'ose espérer que les anglais me jugeront digne de combattre avec eux nos implacables ennemis, et me permettront de partager leurs périls et quelque portion de leur gloire.
    Absolument dénuée de tout intérêt particulier relatif à ma cause, ma demande n'a pour but qu'un grade dans votre armée ou une commission honorable. Elle diffère trop de celle qui, dans le temps, a été fait par les membres de ma famille résidant en Angleterre, pour que je ne conserve pas l'espoir fondé d'en obtenir un résultat plus heureux. Vous m'obligerez infiniment, monsieur, d'appuyer fortement sur cette différence. Il est sans doute de devoir sacré pour nous de servir jusqu'à la mort notre cause et notre Roi légitime ; mais c'en est un, bien pressant et bien cher à remplir pour moi, que de servir mes bienfaiteurs, et de leur marquer une reconnaissance aussi véritable que désintéressée. Ce désir existe depuis longtemps dans mon cœur et devient chaque jour plus ardent.
    Faites-moi donc, je vous prie, monsieur, le plaisir de m'éclairer confidentiellement sur les moyens que vous pensez devoir être les plus avantageux pour parvenir à mon but ;... »

    <o:p>  </o:p>66. Enghien à Bourbon.17 février 1804.
    « J'espère donc mon, cher papa,  que vous voudrez bien vous occuper de moi à cette occasion, et me faire employer à quelque chose dans le cour de l'année. Je ne vis pas, je végète dans cette attente. Vous ne m'avez jamais dit si, à ma prière, vous aviez parlé de moi aux ministres ou au Roi, et qu'elle avait été leur réponse.
    Daignez, cher papa, me servir de tout votre pouvoir, et ne pas vous contenter de quelques démarches insignifiantes, qui font supposer que l'on croit acquitter une dette en faisant la proposition. Ce sera bien réellement une joie parfaite pour moi que d'apprendre qu'enfin on me juge digne de me charger d'une commission quelconque. On assure qu'il se prépare pour ce printemps des expéditions intéressantes, dirigées contre l'ennemi commun. Ces expéditions n'éloignent pas du but auquel il est de devoir de tendre toujours. Mon vœu serait donc que le gouvernement anglais fût instruit de l'extrême désir, que j'ai, de partager le péril et la gloire que l'on y pourra trouver. Mon impatience devient chaque jour plus extrême : daignez donc, cher papa, vous occuper un peu de cette affaire........
    Trop jeune encore pour avoir d'autres idées, j'espère bien, cher papa, que vous ne désapprouverez pas de vouloir suivre, à toute force, la carrière pour laquelle je sens que suis né ; et, s'il faut renoncer à redevenir ce que j'étais, je crois avantageux de faire l'impossible pour acquérir de la considération, pendant que mon âge et ma santé me le permettent, dans la seule route qui me reste ouverte, celle de l'honneur. Et ce n'est pas à Ettenheim que j'y parviendrai, à moins que vous et mon grand-père vous ne soyez mes avocats pressants auprès de la seule puissance que je puis honorablement servir pour le moment présent. J'attendrai avec une grande impatience votre réponse à cet article de ma lettre. »

    <o:p> </o:p>L'avis du prince sur la conspiration de Pichegru au début de 1804. Son avis semble bien défavorable à ce type de manière d'opérer. La façon de penser du duc d'Enghien.

    <o:p>  </o:p>67. Enghien à Jacques.26 février 1804.
    « ... Voici encore une des œuvres de l'éternel Pichegru ! ... Conspiration ou non, le prétexte est pris et, à son ordinaire, il va faire des victimes, et rien de plus. Le pauvre Moreau se trouve englobé dans une affaire dont sans doute il n'avait nulle connaissance ; car je le crois trop loyal pour tremper dans toutes ces sottises ; mais le moment est bien pris pour se défaire d'un antagoniste inquiétant ....  Dieu veuille qu'il n'y en ait pas beaucoup d'autres, et que cette malheureuse histoire, comme toutes celles de ce genre, passées ou à venir, ne fasse grand tort au bon parti ! Jusqu'à présent, il paraît que le gouvernement sortira vainqueur de cette crise, si tant est que c'en soit une et que tout ceci ne soit pas supposé, chose que je ne sais ni ne désire savoir, car ces moyens ne sont pas de mon genre, etc. »

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>68. Artois à Condé.Printemps 1804.
    « J'ai été chez monsieur et lui ai communiqué les observations en question. Je lui ai dit que monsieur le prince avait désiré qu'elles lui fussent communiquées. Voici la substance de ce qu'il m'a dit :
    « Vous pouvez rapporter, comme particulier qui recueille tout ce qui se dit, que monsieur le duc d'Enghien n'avait aucune connaissance de ce qui se passait ; mais en donnant ses lettres à son grand père, il semblerait que monsieur le prince de Condé, monsieur le duc de Bourbon et moi, croyons avoir besoin de nous justifier. Il n'y a personne au monde qui n'ait aperçu que Buonaparte n'a pas même osé articuler un fait contre monsieur le duc d'Enghien, n'a pas osé produire un mot de lui qui le compromît. Monsieur le prince de Condé est trop bien connu dans le monde entier pour avoir besoin de se justifier, et il me semble que ni lui, ni monsieur le duc de Bourbon, ne doivent descendre à une justification. Monsieur le duc d'Enghien n'aurait fait que ce qu'il avait le droit de faire en cherchant à renverser l'usurpateur, et ce que nous avons tous le droit de faire ; mais il est prouvé à tout l'univers que monsieur le duc d'Enghien n'avait aucune part à la conjuration, par le silence même de Buonaparte. Moi-même je ne sais pas ce qu'on voulait faire. Buonaparte a nommé Pichegru et Moreau ; mais il y a d'autres généraux qu'il n'ose nommer. »
    La conversation s'est terminée en me disant que je pouvais faire part à monsieur le prince de Condé, que s'il venait à Londres, monsieur lui parlerait de cette affaire, et qu'elle méritait beaucoup de réflexion ; que si monseigneur ne venait pas à Londres, monsieur de Contye pourrait venir le voir et qu'ils en causeraient. »

    <o:p> </o:p>Voyage en Suisse du duc d'Enghien.

      69. Le duc d'Enghien à Froelich.19 juillet 1802.
    « J'ai une commission à vous donner mon cher, si vous n'avez rien de mieux à faire ; je compte vous envoyer à cheval à moi, à une trentaine de lieux d'ici, (environs 120km), pour environs quinze jours prenez en conséquence un petit porte manteau que vous mettrez sur ce cheval, peut-être irai-je vous joindre là où je compte vous envoyer, et peut-être, si cela vous convient, vous proposerais-je un second voyage avec moi d'une quinzaine de jours aussi. Vous voyez donc qu'il faut prendre vos précautions pour être absent de chez vous un mois environs.
    Si vous aviez des affaires qui vous empêcheraient de me donner ce temps-là, vous me le manderais, si vous n'en avait pas je vous attends ce soir ou demain au matin de bonne heure. Et vous partirez de suite.
    Il ne faut pas parler à votre arrivée ici de la commission que je compte vous donner, faite comme si vous veniez pour me voir. Comme vous serez peut-être dans le cas de faire beaucoup de chemin à pied, prenez chaussures et habillements commodes. Adieu. Signer : le duc d'Enghien. »
    <o:p> </o:p>*D'après le comte Boulay de la Meurthe le duc d'Enghien serait parti comme le dit le comte de Choulot en expédition pour la Suisse.
    « Enghien se disposait à entreprendre une nouvelle tournée en Suisse, dans les montagnes orientales de ce pays. Le 22 juillet, il sortit à cheval d'Ettenheim, avec Jacques et monsieur de Sully, et rejoignit le lendemain Frölich, qui dut ramener les chevaux. Le voyage eut Constance pour point de départ et se fit à pied.  Ce ne sont plus seulement des sites sauvages et pittoresques que je cherche, écrivait-il alors ; ce sont des leçons prises sur les lieux mêmes, où tant d'obstacle qui s'opposait à la marche des armées, ont été combattus par l'expérience des meilleurs généraux et surmontés par d'intrépides soldats. »
    Le journal du duc d'Enghien publié par le comte de Choulot, ne contient, en effet, que des remarques pittoresques ou militaires. Pourtant, c'est pendant ce voyage que le parti fédéraliste, poussé par Reding, mit à profit la retraite des troupes françaises, et commença à soulever les petits cantons. Lorsque Enghien rentra à Ettenheim, le 20 Août, cette révolte, à laquelle du reste il était resté étranger, s'était déjà propagée dans une grande partie de la Suisse.
    <o:p> </o:p>70. Enghien à Bourbon.22 août 1802.
    « J'arrive à l'instant même, cher papa, d'un voyage que je viens de faire en Suisse et dans les Grisons. N'ayant rien mieux à faire, je viens de donner un mois à mon instruction et à mon plaisir en même temps ; c'est ce qui fait que j'ai été un si long espace de temps sans vous écrire. J'étais curieux de connaître en détail les positions du Reinthal, qui ont été d'un si grand intérêt pendant cette guerre ; puis j'ai suivi Souvoroz dans toutes ses marches et contre marches en Suisse. Tout cela m'a singulièrement intéressé, et je suis bien content de ma course. »

    <o:p> </o:p>Le récit du duc d'Orléans à Saint-Jacques sur la participation du duc de Rovigo à l'exécution du duc d'Enghien, ainsi que la confidence du complot de Cadoudal à la famille de Condé.

    <o:p>  </o:p>71. Le duc d'Orléans à Saint-Jacques.21 novembre 1823.
    « .... S.A.S. parla du dîner de famille qui avait eu lieu le 17, à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du Roi, et dit qu'après que tous les officiers de bouche se furent retirés, il fut question de l'ouvrage du duc de Rovigo. Le Roi, monsieur et les princesses ont témoigné hautement leur mécontentement à ce sujet, et monsieur a dit qu'il avait ignoré jusqu'à présent que Rovigo avait eu une part aussi active à l'assassinat de monseigneur le duc d'Enghien ; qu'il avait cru jusqu'à présent que c'était Murat qui avait commandé le feu, tandis qu'il était bien prouvé que c'était Rovigo, et que c'était lui-même qui s'était dénoncé. Sur cela, monseigneur le duc d'Orléans, en étant du même avis que monsieur, a ajouté que la lettre que le baron de Saint-Jacques avait fait insérer dans les journaux, avait éclairé des faits d'une manière bien précise, et ne laissant aucun doute que Rovigo en avait imposé, surtout sur l'assertion que monseigneur d'Enghien avait écrit à Buonaparte pour obtenir du service. Le Roi est convenu du fait, en ajoutant que monsieur de Saint-Jacques avait mis beaucoup de modération dans sa lettre. Madame et monsieur sont convenus du fait ; mais ont ajouté que si monseigneur le duc d'Enghien n'avait point écrit, il était du moins prouvé qu'il avait demandé à voir Buonaparte : ceci a été répété en plusieurs fois, même avec affectation.
    Monseigneur le duc d'Orléans a remarqué que ce qu'avait écrit le baron Saint-Jacques pour prouver que monseigneur le duc d'Enghien ignorait l'existence de la conspiration, avait déplu à monsieur et madame. Monseigneur le duc d'Orléans en a été étonné, avec d'autant plus de raison que le Roi lui avait envoyé monsieur le comte d'Escars, très peu de temps avant le départ de Cadoudal et autres pour la France, pour l'assurer que le Roi désapprouvait tout ce qui se tramait contre le Premier Consul, et qu'il priait monseigneur le duc d'Orléans d'en prendre note pour s'en rappeler au besoin. L'avant-veille du départ de monsieur de Rivière pour la France, il s'est présenté chez monseigneur le duc d'Orléans, sous prétexte de lui faire une visite ; mais, dans la conversation, monsieur de Rivière finit par lui dire qu'il venait pour prendre congé ; qu'il allait en France pour tenter un coup de main, et lui donna beaucoup de détails à ce sujet. Monsieur de Polignac arriva le même jour ou le lendemain, et fit les mêmes confidences. Monseigneur le duc d'Orléans ne put s'empêcher de faire des réflexions qui n'étaient pas du tout à l'avantage de ces messieurs, et il ajouta qu'il ne pouvait avoir confiance dans la réussite d'une pareille entreprise, par l'indiscrétion de ces messieurs qui lui faisaient une pareille confidence, à lui qui ne se mêlait de rien et qui devait être la dernière personne instruite de semblables projets.
    De tous ces détails, il est résulté que le Roi et les princes ont bien à se reproché, après avoir instruit monseigneur le duc d'Orléans de tout ce qu'on allait tenter, de n'avoir pas mis monseigneur le prince de Condé et monseigneur le duc de Bourbon dans la confidence. »

    <o:p> </o:p>Lettre d'Enghien à Jacques du mois de juillet 1803. Jacques quittait le duc d'Enghien pour environ un mois. (Pour raison de santé, Jacques est allé faire une saison d'un mois aux eaux de Petersthal).
     
    <o:p>  </o:p>72. Enghien à Jacques.9 juillet 1803.
    « Je profite d'une occasion sûre, mon cher, pour vous donner de mes nouvelles et vous parler de nos regrets de votre absence. J'espère que la peine que j'en éprouve ne vous sera du moins pas infructueuse et que vous rétablirez votre santé. Quand vous m'écrirez, donnez-moi des détails sur votre établissement et sur les premiers effets du commencement de votre traitement. »
     «  En attendant, nulle nouvelle d'Angleterre. J'attendrai toujours réponse du ministre de la guerre avant de prendre aucun parti. La formation d'une nombreuse armée de terre pour la défense des côtes me donne quelque espoir que, même quand il n'y aurait rien de mieux, on pourrait trouver jour dans l'intérieur de l'île, surtout si le danger devenait pressant ou menaçant. Dans ce dernier cas, il faudrait sauter le pas et y aller.
    Nos jardins vont bien ; il a fait de fortes pluies qui ont dispensé d'arroser et m'ont donné la faculté de replanter diverses fleurs des caisses. Les choux glacés courent et s'étendent comme des concombres ; ils ne peuvent plus tenir sur la fenêtre. Nous avons deux cornichons. La princesse est particulièrement chargée de l'inspection journalière de cette partie. On laisse deux pieds pour avoir des concombres de bonne heure. Il se déclare journellement des quarantains ...  Les pattes de renoncules sont rentrées d'hier ; les œillets du petit jardin sont en fleur, ainsi que les cloches blanches, qui font le meilleur effet. J'ai déjà trois graines de pensée.
    Adieu, mon cher. Comme ma lettre ne part que lundi, à trois heures du matin, si la poste de dimanche m'apporte quelque chose, je vous le manderai. »
    <o:p> </o:p>« Ce dimanche, 10 heures du soir.
    J'ai reçu votre lettre. Je vous remercie des détails que vous me donnez tant sur vous que sur le pays que vous habitez. S'il vous arrivait quelques symptômes extraordinaires ou que vous pensiez qui dussent nécessiter quelque changement dans votre traitement, mandez-le-moi ; je ferai venir Timel et vous rendrai sa réponse détaillée. Je connais beaucoup la princesse Dolgorovky ; c'est l'ancienne maîtresse de Potemkine, pour laquelle il a fait venir par banque un bonnet de Paris à Otchakov, et à laquelle il donnait ces fêtes dont vous m'avez souvent entendu parler. J'ai continuellement soupé avec ou chez elle à Pétersbourg, et je serai charmé de la voir.
    Peut-être irai-je vous voir vendredi prochain ; mais ce n'est qu'un peut-être, et, si les chasses sont ouvertes de la veille, peut-être chasserai-je le samedi. Faites connaissance avec le chasseur, et dites-lui qu'il y a un de vos amis qui doit venir vous voir à la fin de la semaine et qui est grand amateur de chasse. Vous savez qu'il y a à payer. Je ne veux point être connu, afin d'être plus à mon aise. Vous tâcherez de m'avoir une chambre à deux lits, pour Grünstein et pour moi. Nous n'amènerons personne, et j'aurai mon petit paquet dans mon sac de chasse. Votre domestique nettoiera mes bottes ; prévenez-le que je ne veux pas être connu. Mais je ne suis point encore décidé à cette course ; ainsi ne m'attendez pas. Je ne prévois pas, d'ailleurs, que je pourrais arriver pour dîner, et puis, tout dépend du temps et des nouvelles que la semaine peut apporter.
    Nulle lettre d'Angleterre.
    Adieu, mon cher. J'espère que vous ne doutez pas de ma reconnaissance amitié et de tout l'intérêt que je prends à votre santé et à votre bonheur. D'Ecquevilly m'a écrit. Quand le tronc manque, on se raccroche aux branches : il veut que je l'emploie. Je ne demande pas mieux ; mais il faut que je le sois moi-même.
    La princesse me charge de mille choses pour vous. C'est après-demain qu'on lui présente le travail (succession du cardinal de Rohan). Elle est très fâchée de ne pas vous avoir pour consulter sur la réponse qu'elle doit faire. Le prince Ferdinand (de Rohan) lui a écrit une lettre fort plate et menace de plaider. Qu'il plaide ! Si je vais vous voir, je vous apporterai tous ces détails.
    Adieu. »

    <o:p>  </o:p>73. Enghien à Jacques.15 juillet 1803.
    « La pluie et la boue m'ont empêché, mon cher, d'aller vous voir. Il fait un temps d'hiver et nous sommes confinés dans nos chambres. Je pense qu'il en est de même où vous êtes. Ce changement subit de saison ne paraît pas favorable à votre santé et à la suite de votre traitement. Mandez-moi comment vous vous trouvez. Partie remise pour moi, probablement jusqu'à vendredi prochain ; car je ne veux manquer aucun jour de courrier, attendant sans cesse la réponse du ministre auquel j'ai écrit. J'ai eu nouvelle hier de mon grand-père. Un paquebot anglais a apporté sept courriers arriérés. Le mien est un des plus anciens ; ainsi les nouvelles ne sont pas fraîches. Mon grand-père paraît content des dispositions du gouvernement britannique, au commencement de cette guerre à outrance. Il me dit qu'il ne faut pas désespérer de trouver jour à y prendre part avant peu, mais que, jusqu'à ce moment, la guerre est purement maritime. Il ne me paraît pas plus rassuré que je ne le suis sur les dispositions du Premier Consul à notre égard, et il m'engage à prendre en dessous des précautions pour être averti, dans le cas où il voudrait attenter à notre liberté.  Du reste, il m'engage à demeurer dans la partie où je me trouve, pouvant devenir utile d'un jour à l'autre.
    Ce qu'il y a de charmant, c'est qu'il croit, d'après les bruits qui ont courus, que j'ai été incognito à Paris, ou du moins à Strasbourg. Vous jugez qu'il n'en est pas charmé. Voyez combien il me juge mal et connaît peu ma façon de penser. Au reste, c'est la millième fois que je suis aussi faussement et je puis dire absurdement accusé par une personne qui devrait, ce me semble, me mieux connaître.
    Ci-joint le mois de mars de mon traitement. Ecrivez en conséquence, comme de coutume. Ci-joint aussi une lettre qui m'a été remise pour vous. Je la crois d'Angleterre ; ainsi mandez-moi si l'on ne vous y dit rien d'intéressant. Dans les deux dernières que je vous ai envoyées, n'y en avait-il pas une de Sully ? Grünstein a cru reconnaître son écriture. J'ai dit au palefrenier que je vous envoie, de faire encore quelques lieues de retour demain, afin d'arriver de bonne heure dans la matinée de dimanche. Si son cheval était las, retenez-le à coucher, et ne le faites partir que dimanche matin.
    N'oubliez pas de me faire provision de bon Kirchwasser, si vous en trouvez. J'espère que vous avez soin de mademoiselle de Moor et de votre bonne hôtesse. Il est très aimable à elle d'être resté pour vous tenir compagnie dans votre solitude.
    Adieu, mon cher ; mille choses de la part de toute la colonie, et particulièrement de la part de la princesse. »

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